Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m'avoir convié ce matin pour répondre à vos questions. J'essaierai d'y répondre avec le plus de précision et de clarté possible, dans le souci de transparence et de sincérité qui m'anime depuis que j'ai pris la direction d'Orpea au mois de juillet 2022. Avec l'équipe de direction qui m'accompagne et un conseil d'administration renouvelé, nous sommes au travail depuis plusieurs mois. Si Orpea a changé, des progrès gigantesques doivent encore être faits pour améliorer sur le terrain le quotidien de nos résidents, de nos patients, de leur famille, de nos collègues dans les établissements et pour nous hisser à la hauteur des attentes collectives.
Pour commencer, permettez-moi de prendre quelques instants pour vous présenter mon parcours et l'engagement qui m'a conduit à être présent aujourd'hui devant vous. Par mon histoire personnelle, j'ai acquis la conviction que réussir, c'est être utile et changer le cours des choses. J'ai fait de mon mieux pour agir conformément à cette conviction, d'abord au service de l'État, au ministère des finances puis en rejoignant le cabinet du ministre de l'équipement, des transports et du logement Jean-Claude Gayssot à la fin des années 1990. Le combat mené à l'époque par le ministre dans ces murs pour imposer la mixité sociale dans la ville à travers la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain m'a beaucoup marqué. J'en ai retenu que la détermination politique et le rôle du législateur sont essentiels pour impulser le changement, comme vous l'avez fait l'an passé. J'ai ensuite rejoint Jean-Louis Beffa chez Saint-Gobain, où j'ai servi pendant une vingtaine d'années, jusqu'à devenir l'un des directeurs généraux adjoints. Saint-Gobain m'a enseigné la rigueur et l'organisation mais plus encore, j'y ai appris la force exceptionnelle du collectif, des femmes et des hommes qui composent l'entreprise lorsque sa mission est en adéquation avec nos aspirations et nos valeurs.
Il n'existe pas à mes yeux de mission plus juste, noble et utile que celle de prendre soin des personnes les plus fragiles et parmi eux nos aînés. Comme beaucoup de Français, la lecture du livre de M. Castanet et les propos tenus lors des auditions que vous avez menées m'ont choqué. Les conclusions du rapport d'enquête de la mission de l'Inspection générale des affaires sociales et de l'Inspection générale des finances m'ont choqué également. À travers ces lectures et ces auditions, j'ai rapidement acquis la conviction que la crise déclenchée par le livre était de la responsabilité d'une poignée de dirigeants peu scrupuleux, voire pour certains crapuleux, qui ont désorganisé l'entreprise et dévoyé sa mission d'utilité sociale.
Ce livre m'a aussi fait comprendre combien ce secteur était en souffrance. Dans le même temps, j'ai acquis la conviction que les 17 000 résidents et les 75 000 patients accueillis dans nos établissements chaque année méritaient que l'on continue à prendre soin d'eux. Il fallait s'engager auprès des 26 000 salariés de l'entreprise en France, profondément affectés par le scandale mais qui sont restés tous les jours auprès des plus fragiles, dans les 350 établissements.
Quelques mois après ma prise de fonction, j'ai réalisé que la crise que traversait Orpea était plus profonde encore que celle décrite par M. Castanet et que le groupe était au bord du dépôt de bilan, à cause d'un développement immobilier et international excessif. L'entreprise était devenue la première foncière d'Europe, ce qui n'était pas sa vocation. Nous avons pris dans l'urgence et sous conciliation des décisions nécessaires à son assainissement financier. L'entrée de la Caisse des dépôts et consignations, de la Mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF) et de la Mutuelle d'assurance du corps de santé français (MACSF) au capital d'Orpea va nous donner les moyens financiers de mettre en œuvre notre plan de refondation tel que je l'ai annoncé le 15 novembre dernier, pour construire une entreprise plus éthique et humaine, au service des plus fragiles.
Depuis ma nomination, plus de trente-quatre dirigeants ont été sanctionnés et ont quitté l'entreprise. J'ai déposé plainte contre plusieurs d'entre eux après avoir mis en évidence des malversations qui engagent leur responsabilité pénale. Concernant l'usage inapproprié des dotations publiques, nous nous sommes engagés à rembourser à l'État l'intégralité des sommes indûment perçues sur le soin à l'euro près. Je me tiens à disposition des conseils départementaux pour faire de même sur la dépendance. Cette décision était la condition première pour regagner la confiance. Comme l'a dit M. Castanet le 25 janvier dernier sur France Inter, le système tel qu'il existait avant a été stoppé.
Lors de mes quatre-vingts visites dans nos établissements, j'ai pu constater l'implication quotidienne des équipes auprès des personnes âgées. L'ensemble des collaborateurs, soignants, cuisiniers, auxiliaires de vie, directeurs d'établissement, etc., ont fait ce qu'ils pouvaient pour assurer leur mission auprès des plus fragiles. Reste que pour prendre soin des plus fragiles, il faut prendre soin des collègues dans les établissements. Ces professionnels méritent la reconnaissance de notre entreprise et de la société dans son ensemble.
Depuis juillet, Orpea change. Alors qu'il n'existait aucun dialogue social ni négociations annuelles obligatoires (NAO) abouties depuis quinze ans, nous avons d'ores et déjà signé six accords à l'unanimité avec toutes les organisations syndicales représentatives de la branche. Le glissement des tâches était la norme, sans pour autant que cela se traduise par des perspectives d'évolution pour nos collègues les moins qualifiés. Nous avons décidé d'investir davantage dans la formation initiale et continue pour leur donner enfin de réelles perspectives d'épanouissement et de progression. Dès cette année, 1 000 formations diplômantes seront proposées aux auxiliaires de vie non diplômées. Jusqu'à l'an dernier, un directeur d'établissement ne pouvait pas remplacer un salarié absent ni changer une fenêtre sans demander l'autorisation du siège. Nous avons donné dès juillet dernier aux directeurs l'autonomie nécessaire pour qu'ils puissent embaucher ou faire des travaux sans solliciter d'autorisation. La fréquence des accidents du travail est de 50 à 100 fois supérieure à celle que j'ai connue dans ma vie antérieure dans l'industrie. Nous avons désormais une ambition pour la santé et la sécurité de nos collaborateurs et avons recruté un directeur santé et sécurité, poste qui n'existait pas. Vous constaterez que dans le soin apporté à nos collègues, les choses changent.
Je souhaitais terminer par le point le plus important. Nous sommes et devons redevenir une entreprise au service des plus fragiles, de nos parents et de nos grands-parents. Le premier critère de bien-être est le temps consacré aux personnes âgées, le temps attentif, le temps de présence passé les yeux dans les yeux et la main dans la main. Je sais que dans cette enceinte, plusieurs d'entre vous ont porté des propositions pour instaurer un ratio minimum d'encadrement. J'y suis personnellement très favorable. Depuis l'automne, nous avons recruté une à deux personnes de plus par établissement. Je suis conscient que c'est insuffisant. Il faut aussi fidéliser notre personnel pour garantir la stabilité des équipes. Le fait qu'une personne différente passe chaque jour pour faire la toilette constitue une atteinte à l'intimité et à la pudeur. Il s'agit d'une forme de maltraitance. Les résidents ont besoin de repères et les familles ont besoin d'échanger avec des personnes qu'ils connaissent et qui suivent leurs proches au quotidien. Désormais, les objectifs des directeurs des établissements reposent majoritairement sur la qualité des soins et le bien-être des résidents. Auparavant, les critères étaient purement financiers.
Le professeur Krolak-Salmon, qui a créé et dirigé l'institut de vieillissement des Hospices civils de Lyon, nous a rejoints comme directeur médical et membre du comité de direction. Toute décision dans l'entreprise est prise avec lui, à l'aune du projet médico-social. La question de la bientraitance renvoie aussi à celle de l'humanité des soins et de l'accompagnement. Le professeur Hirsch nous a aussi rejoints comme directeur de l'éthique. Les travaux ont déjà commencé sur ce sujet pour améliorer nos pratiques.
Le bien-être des résidents passe également par l'alimentation. Je sais que ce sujet vous remonte fréquemment de vos territoires. J'y suis attaché parce que je suis convaincu que se nourrir doit avant tout rester un plaisir, un moment de convivialité et de soins. Nous avons d'ores et déjà augmenté de 35 % le budget des repas, tout en privilégiant un approvisionnement local et de saison.
Les choses ne vont jamais assez vite. Je suis le premier, en interne, à m'impatienter. Certains médias ont effectué récemment des reportages, qui ont choqué à juste titre puisqu'ils laissent entendre que des comportements révoltants subsistent dans certains de nos établissements. Je le dis solennellement : un soignant qui manque de respect à nos aînés n'a pas la place chez nous. Sur ces comportements, ma ligne de conduite est simple : « tolérance zéro ». Depuis notre arrivée en juillet dernier, nous changeons Orpea, dans la transparence et dans le dialogue avec les résidents et les patients, avec nos proches, nos collaborateurs et nos soignants mais aussi avec la représentation nationale et les pouvoirs publics. Le temps de l'amélioration concrète, vécue par tous, s'installe progressivement. Je suis entièrement conscient que beaucoup reste à faire. La nouvelle équipe s'engage et fait son maximum pour que nos décisions portent leurs fruits au plus vite, concrètement, dans nos établissements et nos territoires, auprès des aînés.
Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.