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Intervention de Adrien Sénécat

Réunion du jeudi 9 février 2023 à 14h30
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Adrien Sénécat, journaliste au Monde :

Bien sûr, il arrive qu'il n'y ait pas cinquante manières de rédiger un amendement, par exemple si les restaurateurs demandent une modification du taux de TVA pour fixer celui-ci à un niveau donné. La question n'est alors pas la rédaction mais la pertinence de la mesure.

En revanche, au moment des débats à l'Assemblée nationale après la loi Thévenoud, en 2015, les délais sont très serrés – la discussion avec le ministre a lieu le 21 janvier, il faut trouver en urgence le député, vite rédiger les amendements, ce pourquoi l'entreprise va missionner son cabinet, vite les transmettre au député : on peut convenir que ce n'est pas la situation idéale pour apprécier les détails d'un texte et en soupeser l'intérêt.

S'astreindre à expliquer dans quelles circonstances tel ou tel amendement a été rédigé, c'est acquérir le réflexe de dire de quelle ONG ou de quel groupe du secteur il émane. D'ailleurs, certaines ONG nous ont indiqué proposer aux parlementaires que les amendements qu'ils leur reprennent soient signés par elles. Cela permet de comprendre ce qui se joue dans le débat public. Ce qui nous a posé problème, c'est qu'il ne soit plus possible de le saisir, même en demandant des comptes après coup. Cela nous est également arrivé à l'échelle européenne ; ainsi, un ancien DG Connect – directeur général des réseaux de communication, du contenu et des technologies à la Commission européenne – n'a pas jugé bon de répondre à nos questions au motif que sa rencontre avec Uber n'était pas intéressante.

Ce qui compte est ce vers quoi on veut tendre. De ce point de vue, il est nécessaire de travailler sur la déontologie à l'Assemblée nationale : il y a une marge de progression pour ce qui est de définir des repères communs quant à la bonne conduite des parlementaires.

Les demandes d'accès à des documents administratifs sont un élément très utile à notre travail de journalistes mais aussi à tout citoyen désireux d'observer ce qui se trame dans les relations des lobbys avec les administrations ou les personnalités politiques. En théorie, le droit d'accès dont nous disposons est formidable ; nous y recourons régulièrement en écrivant à la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada) et certains de nos confrères en font eux aussi un très bon usage, y compris dans le dossier Uber. Mais le temps est un énorme écueil : il nous en faut beaucoup pour formuler nos demandes, ainsi qu'à la Cada pour les étudier, puis pour rédiger et publier ses décisions. En outre, il existe très peu de contraintes et de bonnes pratiques relatives à la transmission des documents.

Ainsi, après qu'une commission d'enquête du Sénat a travaillé l'an dernier sur les cabinets de conseil, nous avons demandé, avec des collègues du Monde et à l'instar d'autres personnes, l'accès à des documents concernant ces prestations ; ils existent, ils ont été communiqués à la commission d'enquête sénatoriale – qui ne les a pas publiés puisqu'elle les avait obtenus dans le cadre de ses propres prérogatives, ce qui est tout à fait compréhensible – mais, pour la plupart, ils ne nous sont pas transmis, au bout d'un an.

Est-ce en légiférant que l'on fera évoluer l'application de ce droit d'accès ? Est-ce en modifiant les pratiques, pour qu'il soit reconnu comme normal et d'utilité publique de savoir ce qui s'est joué avant et après le recrutement d'un ancien ministre dans un secteur qui relevait de sa compétence ministérielle ? Sans doute les deux. À défaut d'une telle évolution, on restera tributaire de la bonne volonté d'une ou de plusieurs sources qui souhaiteront signaler un problème – ce qui implique aussi qu'on ne parlera de ces sujets qu'en cas de problème jugé suffisamment important et que s'il existe des personnes assez courageuses pour le dévoiler.

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