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Intervention de Adrien Sénécat

Réunion du jeudi 9 février 2023 à 14h30
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Adrien Sénécat, journaliste au Monde :

S'agissant du contexte réglementaire, l'intérêt public de cette affaire réside dans le fait qu'Uber, comme l'ont montré nos articles, entre souvent sur les marchés au mépris des législations en vigueur. Cette stratégie du chaos est notamment appliquée en Inde, aux États-Unis et en Europe.

Ainsi, Pierre-Dimitri Gore-Coty, directeur pour l'Europe de l'Ouest, a indiqué à ses employés allemands que, si les chauffeurs UberPop sont en infraction mais ne risquent qu'une amende dans un premier temps, le service peut continuer. En interne, Uber n'y voit rien de grave : les policiers verbaliseront les chauffeurs et leur infligeront des amendes de 10 000 euros qu'Uber paiera en continuant à enfreindre sciemment la loi.

Avant même d'obtenir des nouvelles législations plus favorables, le simple fait de négocier la pression exercée sur l'entreprise pour la faire rentrer dans le rang est, pour Uber, un énorme levier, qui se situe au cœur de sa stratégie. Certes, le lobbying vise à obtenir de nouvelles lois mais ce n'est pas à vous que j'apprendrai que cela prend du temps, exige des réflexions et des discussions et n'aboutit pas forcément aux dispositions souhaitées par l'entreprise. Gagner du temps, évaluer la pression des autorités et déterminer si telle ou telle déclaration comporte un risque d'entrave à l'activité, tout cela est essentiel dans le modèle d'Uber.

Avant d'être abandonné, le service UberPop devait durer ad vitam æternam. Dès avant l'adoption de la loi Thévenoud, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a fait savoir qu'UberPop était illégal. Le jeu du chat et de la souris n'a qu'un temps et les dirigeants d'Uber prennent conscience qu'ils devront l'abandonner un jour. En attendant, ils font grandir l'entreprise autant que possible. Il s'agit de survivre et de se développer.

Vous êtes Uber ; vous lancez UberPop début 2014 et vous le fermez dix-huit mois plus tard. Que s'est-il passé ? Vous avez recruté énormément de clients en France. Vous vous êtes développé, vous avez recruté des chauffeurs. Tout cela constitue un énorme levier de pression auprès du Gouvernement qui, lors de la fermeture d'UberPop en 2015 ou de l'élaboration de la loi Grandguillaume en 2016, ne traite plus seulement avec Uber mais aussi avec des chauffeurs, qui ont une vie et des revenus, qu'Uber a embarqués et placés en porte-à-faux.

Ce que nous avons démontré grâce aux Uber Files et que Mark MacGann voulait démontrer lorsqu'il a lancé l'alerte, c'est qu'Uber a sciemment utilisé la situation à son profit. Uber n'a certes pas gagné tous ses combats juridiques ni obtenu tout ce qu'il aurait aimé obtenir des gouvernements mais a gagné du temps, puis le droit d'être présent et même invité à l'Élysée au cours des années suivantes, ce qui semblait improbable en 2015, au plus fort des controverses liées à UberPop. Ce qu'il nous a semblé important de comprendre et de raconter en publiant nos articles, c'est qu'Uber n'a pas tant négocié des faveurs que du temps, sa survie et sa croissance.

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