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Intervention de Damien Leloup

Réunion du jeudi 9 février 2023 à 14h30
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Damien Leloup, journaliste au Monde :

Au printemps 2022, plusieurs journalistes du Guardian, dont Paul Lewis, responsable des investigations du quotidien britannique, nous ont rendu visite à la rédaction du Monde. Ils voulaient nous parler d'un sujet confidentiel : les dix-huit gigaoctets de données provenant de l'entreprise Uber qu'un lanceur d'alerte leur avait confiés. Ces documents couvraient essentiellement la période allant de 2014 à 2016 ; de nombreux fichiers concernaient Uber France.

Pour analyser cette gigantesque masse d'informations, le Guardian cherchait à mettre sur pied, avec l'ICIJ, un groupe d'enquête rassemblant plusieurs médias internationaux. Avec nos confrères de Radio France, nous nous sommes plongés dans ces documents, d'abord pour déterminer leur intérêt, s'agissant de fichiers datant de presque dix ans.

Il nous est rapidement apparu qu'ils contenaient une grande quantité d'informations d'intérêt public. Les agendas, courriels, présentations et comptes rendus de réunions internes d'Uber éclairaient d'un jour nouveau la période d'installation de l'entreprise dans l'Hexagone, caractérisée par de violentes manifestations de chauffeurs de taxi et par deux projets de loi relatifs à l'activité de l'entreprise, qui faisait la une de l'actualité quasi quotidiennement.

Ces documents montraient notamment qu'Uber a multiplié les rendez-vous secrets avec de nombreux parlementaires, ainsi qu'avec le ministre de l'Économie de l'époque, Emmanuel Macron, considéré par l'entreprise comme un important soutien.

Ils montraient qu'Uber a fourni des amendements clé en main à des parlementaires sympathisants de la cause et des objectifs de l'entreprise, embauché des agences aux méthodes douteuses pour mener des campagnes d'influence, payé des universitaires pour écrire des études soigneusement encadrées pour lui être favorables, fait appel aux ressources de la diplomatie américaine et secrètement aidé à créer une organisation de chauffeurs de VTC, présentée comme indépendante mais dont elle contrôlait en réalité l'action.

Ils montraient également à quel point Uber pratiquait une optimisation fiscale agressive, cherchait à entraver des enquêtes la visant et tentait de profiter de ses contacts politiques pour échapper à des contrôles et des perquisitions.

Ces informations étaient toutes, à nos yeux, d'intérêt public. Il est regrettable qu'il ait fallu attendre que Mark MacGann choisisse courageusement de les révéler.

Les Uber Files montrent aussi que les règles de transparence régissant l'action des lobbyistes, en France comme dans d'autres pays, sont aisément contournables. Face à des multinationales disposant de moyens quasi illimités, grâce à des levées de fonds considérables, les registres de transparence, à Paris comme à Bruxelles, ne font pas le poids.

Nous pensons que la presse, s'agissant du lobbying, a un rôle important à jouer, celui de vigie. Face à ces multinationales, les enquêtes collaboratives internationales, menées par des dizaines, voire des centaines de journalistes, sont devenues une nécessité. Toutefois, elles ne seront jamais suffisantes si elles ne sont pas assorties d'une réelle volonté politique de transparence, laquelle est une composante vitale de toute démocratie fonctionnelle.

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