Intervention de Karim Asnoun

Réunion du jeudi 9 février 2023 à 9h00
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Karim Asnoun, CGT-Taxis :

Les grands groupes privés ont toujours cherché à influencer les pouvoirs publics pour favoriser leurs intérêts personnels. Avec M. Macron, nous avons toutefois constaté une aggravation de l'abandon de l'intérêt général au profit de ces intérêts privés. Les Uber files ne constituent qu'une illustration de ce phénomène omniprésent. La « République exemplaire » promise par l'actuel Président semble bien théorique.

L'association des plateformes d'indépendants, un groupement privé qui défend l'intérêt des plateformes, est ainsi dirigée aujourd'hui par l'ancien secrétaire d'État au tourisme, Hervé Novelli, qui a introduit les modifications législatives relatives à l'auto-entrepreneuriat et aux VTC, sans lesquelles ces plateformes n'auraient pas pu s'implanter en France. Cet ancien ministre est donc employé aujourd'hui par ceux qui lui doivent leur implantation.

C'est plus généralement une pratique courante pour Uber de recruter des agents des États où elle souhaite s'implanter : on peut citer Neelie Kroes, ancienne commissaire européenne à la concurrence ; Grégoire Kopp, ancien conseiller du ministère des Transports ; Alexandre Quintard Kaigre, ancien des services de Matignon. Cette porosité entre l'État et les grandes entreprises privées est un vrai sujet de débat.

L'enquête du collectif de journalistes révèle une relation privilégiée entre une multinationale « voyou », Uber, et le ministre Macron, qui lui a accordé un soutien immodéré, en totale contradiction avec des fonctions ministérielles ou présidentielles, tant cette multinationale personnifie le rejet des valeurs constitutives de l'État.

Les syndicats de taxis et la CGT-Taxis n'ont pas du tout bénéficié du même traitement de faveur, bien au contraire. Nous sommes à cet égard très étonnés que Monsieur Haddad, président de cette commission, ait déclaré à la commission des lois du 16 novembre dernier qu'« Emmanuel Macron, ministre de l'Économie, a échangé avec les acteurs du monde des taxis, les syndicats ». Cette affirmation est fausse, puisque M. Macron, que ce soit comme ministre, candidat à l'élection présidentielle ou Président de la République, ne s'est jamais donné la peine d'échanger avec nous, ni même de répondre à nos doléances, alors même que, comme vous l'avez rappelé Monsieur Haddad, ce dossier affecte en premier lieu le taxi.

Cette absence d'échange avec les syndicats de taxis, qui lançaient pourtant l'alerte sur les nombreuses infractions commises par les plateformes, nous a contraints à multiplier les mouvements sociaux en 2014, 2015, 2016 et 2019. Seules ces actions nous ont enfin permis d'amorcer un dialogue avec les représentants des gouvernements concernés, mais jamais directement avec M. Macron, pourtant très impliqué dans ces dossiers, comme le révèle cette enquête.

Nous sommes d'autant plus choqués de cette différence de traitement et de ce parti-pris que cette multinationale n'a cessé de s'illustrer par ses méthodes illégales, violentes, sexistes, comme en général par une attitude antirépublicaine et antisociale.

En 2014 et 2015, Uber développe le service Uber Pop, soit un transport de personnes effectué, non par des VTC ou des taxis, mais par des particuliers, en violation de toutes les lois françaises. Lors du procès Uber Pop au pénal (dont une grande partie des syndicats ici présents étaient partie civile), Uber a d'ailleurs montré à travers sa défense une véritable organisation de type mafieux, utilisant tous les stratagèmes pour se soustraire à la justice et organiser son irresponsabilité juridique.

Comment un élu de la République peut-il encore aujourd'hui se faire l'avocat d'une multinationale qui a multiplié les scandales en quelques années, tout en revendiquant une optimisation fiscale agressive, par définition contraire aux intérêts du pays ?

L'argument d'une création d'emplois, qu'aime à rappeler l'ancien ministre Macron, est fallacieux puisque cette entreprise sans scrupule constitue surtout la caricature de la « casse » des droits des travailleurs. Uber ne crée pas des emplois mais de la précarité : c'est un fait avéré. Le mois dernier, Uber vient encore de se faire condamner par le tribunal prud'homal de Lyon à requalifier en « salariés » ceux qu'elle nommait « partenaires ». Le but ultime d'Uber est même de se passer des chauffeurs en s'appuyant sur les progrès des voitures autonomes.

Pour conclure, le fait que l'article 2 de la loi 2016-1920, dite « Grandguillaume », n'ait jamais été appliqué, montre bien le dysfonctionnement de notre République. Il visait précisément à poser les bases d'un contrôle de ces plateformes. Cette loi, promulguée en décembre 2016, n'a vu son décret d'application publié que trois années plus tard. Or, il était lui-même soumis à un arrêté, qui a encore mis deux ans à être publié, en octobre 2021. Il a donc fallu cinq ans pour obtenir des textes réglementaires, qui aujourd'hui, malgré nos nombreuses alertes, ne sont toujours pas appliqués. Les plateformes ne sont donc toujours pas contrôlées, ce qui est évidemment au détriment des travailleurs du taxi.

Nous comptons donc sur votre commission pour mettre fin à cette opacité. Un lobbyiste ne devrait pas pouvoir dicter sa loi aux représentants du peuple.

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