Ce rapport a été remis en juin 2010 ; je n'ai été nommée ministre qu'au mois de novembre.
Vous avez employé l'expression de « sûreté constante ». Or, un des principes de la politique nationale en matière de sûreté est qu'elle n'est pas constante : elle doit évoluer au fur et à mesure des avancées technologiques. C'est l'une des différences avec la doctrine de la Commission de réglementation nucléaire des États-Unis.
L'exemple de Fessenheim est révélateur à cet égard. La prolongation du parc était débattue. J'ai lancé l'élaboration du cahier des charges pour les visites décennales. La nécessité de les répartir en différentes phases avait été évoquée. Nous nous intéressions également aux bénéfices et aux inconvénients d'un parc très standardisé : en effet, si l'effet de série peut représenter un avantage, il pose des difficultés en cas de malfaçon. Ces considérations ont des conséquences sur la visite décennale. Enfin, nous réfléchissions aux particularités de certains sites, plus sensibles, soit en raison de leur emplacement géographique – qui peut présenter un risque sismique ou de perte d'approvisionnement en eau – soit pour d'autres raisons techniques plus complexes.
Le site du Fessenheim, en l'occurrence, était assez spécifique. Pour une raison que j'ignore, le radier – sorte de plancher en béton de la centrale – y était plus fin que celui d'autres centrales. Or, l'épaisseur du radier commande la cinétique du passage du cœur fondu en cas d'accident dans la nappe phréatique alsacienne. Lors du lancement de l'appel d'offres, si le cahier des charges était standardisé, il tenait compte des spécificités de certaines centrales. Puisque la doctrine française exige que la sûreté suive l'acquisition progressive des améliorations technologiques, pour prolonger Fessenheim, il aurait donc été nécessaire de s'interroger sur l'épaississement du radier.
Lorsque les visites décennales ont été lancées, les jeux étaient faits. EDF considérait que la décision avait déjà été prise. Ainsi, il me semble que la centrale de Fessenheim n'a pas été intégrée aux visites décennales : nous ne savons donc pas s'il était techniquement possible d'épaissir le radier ni combien cela aurait coûté.
Ainsi, l'ASN est indépendante, mais les avis qu'elle rend ont des conséquences potentielles sur des choix de politique énergétique qui ne relèvent pas de cette instance.