Les deux sujets sont différents. Une base industrielle d'éolien terrestre existe en Europe, mais elle n'est pas localisée en France. Le lancement de notre politique de développement de cette filière a été plus tardif qu'en Allemagne ou dans les pays du Nord. La France représentait une part relativement faible du volume du marché. Dans ce contexte, il était difficile de lancer une base industrielle nationale. Le problème était donc lié à la maturité de cette industrie, qui, par ailleurs, avait pu se développer en Europe.
Le solaire, au contraire, avait fait l'objet d'embryons d'industries en Europe. Dans le cadre du CEA, notamment, des programmes de recherche avaient été entamés dans les années 1970 – trop tôt, peut-être. Ce qui restait de cette base industrielle peinait à se maintenir, tandis que la production de panneaux se développait en Chine. Nous atteignions donc nos objectifs, puisque nous augmentions la quantité de solaire installé ; cependant, une proportion croissante de panneaux chinois était utilisée. Le financement des champs solaires ne bénéficiait que très ponctuellement à l'emploi local – au travers des activités d'installation et de maintenance. Or, je ne trouve pas légitime que le consommateur d'électricité français s'engage à payer sur sa facture les usines de production de panneaux en Chine. Nous avons donc dressé un moratoire – qui n'était pas rétroactif, contrairement à ce qu'ont tenté de faire d'autres pays, qui ont été sanctionnés. Cette situation a été assez mal vécue.
Ce coup d'arrêt n'était pas seulement motivé par des raisons financières : nous n'étions pas satisfaits du déploiement industriel de la filière. Nous avons tenté de remonter des politiques de soutien plus sophistiquées ciblant le solaire innovant. De cette manière, nous pouvions obtenir des spécifications, que nous avons renforcées en demandant des bilans carbone, afin de soutenir l'émergence d'une filière nationale ou européenne. Au départ, nous avons rencontré un peu de succès. Cependant, ces politiques doivent se développer dans la durée ; or, assez rapidement, ces appels d'offres ont abandonné les spécifications que nous avions tenté d'introduire – et qui différaient assez peu de celles adoptées pour l'éolien en mer. Je n'étais plus en fonctions lorsque je l'ai constaté. Je me suis demandé si ce choix découlait d'une volonté d'accélérer le développement des mégawatts installés en faisant baisser les prix. Des responsables de mon ancienne administration m'ont toutefois fait savoir que la Commission européenne s'était montrée plus regardante à ce sujet que sur l'éolien en mer.
Je travaille désormais dans les investissements dans les technologies vertes aux États-Unis. L' Inflation Reduction Act prévoit 700 milliards de recettes, dont 370 milliards seront consacrés au soutien à la politique industrielle verte, et le reste au désendettement de l'État. Le dispositif de financement est donc solide. Le budget de 370 milliards présente des critères de localisation et de développement d'une base industrielle locale robustes. L'un des outils majeurs de cette loi, l' Investment Tax Credit, consiste en un crédit d'impôt pour les investissements dans une vaste catégorie de technologies – le solaire, l'éolien, l'hydrogène, le gaz naturel. Ce crédit d'impôt ne définit pas un taux fixe : plusieurs critères sont nécessaires pour prétendre au taux de 30 %, auquel s'ajoutent ensuite des bonus. Ces critères ont explicitement partie liée avec la politique industrielle. Ils ne consistent pas en des contournements similaires à ceux auxquels nous avons dû procéder dans nos appels d'offres : si le panneau solaire utilisé n'est pas américain, le taux de crédit d'impôt ne sera pas le même.