Le monde change vite et le temps du rectangle blanc figurant sur nos écrans pour interdire aux jeunes l'accès à des programmes jugés néfastes semble bien lointain. Les choses s'emballent et bientôt, des enfants plus vrais que nature pourront faire tout et n'importe quoi sur nos écrans, puisqu'ils ne seront pas vraiment des enfants. En effet, les images virtuelles ont acquis un tel niveau de technicité qu'il devient impossible de faire la différence entre les images de personnes réelles et celles de synthèse. Il nous faudra donc faire preuve d'une grande imagination et d'une grande faculté prospective pour légiférer efficacement, tant nos lois et décrets, comme les écrans, deviennent vite obsolètes.
Nous sommes probablement toutes et tous d'accord sur les constats posés par l'exposé des motifs de cette PPL. L'addiction de nos enfants aux écrans est désormais programmée, pensée par des fabricants mercantiles et sans scrupule. Les réseaux sociaux font partie du quotidien de nos enfants et de nos adolescents, qui n'en sont pas suffisamment protégés. Les faits tragiques qui font la une de nos journaux nous en convainquent.
Notre responsabilité d'élus et d'adultes consiste à élaborer des réponses appropriées et des lois pouvant mettre en sécurité nos enfants. Pour ce faire, nous ne devons pas craindre d'être contraignants, exigeants et exemplaires. Quand la moitié de notre jeunesse déclare avoir déjà été victime de cyberharcèlement ou de cyberviolence, il parait important de légiférer, surtout pour contraindre les plateformes à mettre en place un arsenal de mesures pour protéger les mineurs, premières victimes de ces règles trop peu contraignantes.
La majorité numérique constitue une piste intéressante, même s'il n'est pas simple d'imaginer comment la mettre en place sans contrevenir au respect de la vie privée et en respectant les données sensibles des internautes. Il nous semble donc indispensable de renforcer la PPL en imposant aux plateformes des actions complémentaires.
Je voudrais attirer votre attention sur le rôle que doivent jouer les premiers protecteurs et éducateurs des enfants : les parents. Il leur revient en priorité de contrôler le temps passé devant les écrans et la nature des contenus consultés. L'impact de l'usage des écrans sur le développement physiologique des enfants doit nous préoccuper mais la régulation des contenus est cruciale. Elle passe en priorité par les parents des mineurs, qui doivent valider le contrôle de l'âge des jeunes s'inscrivant sur les plateformes, mais aussi informer leurs enfants et s'informer eux-mêmes. Il apparaît que 80 % des parents ne savent pas ce que font leurs enfants quand ils naviguent sur la toile ; nous devons nous attacher à réduire ce chiffre énorme.
Les dangers que courent leurs enfants sont multiples mais, la plupart du temps, ils n'en sont pas informés. L'information doit être diffusée par les plateformes mais cela ne suffit pas. Des programmes pédagogiques doivent être développés au sein de l'école et s'adresser aux familles, aux enfants et parfois même aux enseignants, dans un esprit de co-éducation.
Il faut également que les parents puissent veiller aux échanges de leurs enfants et supprimer un compte quand ils estiment que les propos tenus dérapent. Si cette loi autorise les parents à inscrire leurs enfants sur Instagram, Snapchat ou TikTok avant que ceux-ci n'aient atteint leur majorité numérique, fixée à 15 ans, il leur faudra savoir repérer d'éventuels comportements d'addiction, de prédation ou de manipulation. Rappelons que 87 % des enfants français de 11 à 12 ans ont un compte sur un réseau social.
Cette PPL vise à assurer la sécurité des enfants mais il faut aller plus loin. Pour mettre en place la majorité numérique, il faudra trouver des procédés qui respectent la vie privée des mineurs et empêchent la diffusion voire la vente de données sensibles. Les mesures envisagées ne suffiront pas à elles seules à résoudre les problèmes graves qui se posent à nos enfants et adolescents lorsqu'ils usent et abusent des écrans. D'ailleurs, nous, les adultes, avons aussi du mal à en faire un usage raisonné.
Il faudra que les législateurs que nous sommes soient au moins aussi efficaces et inventifs que ces entreprises qui vendent du rêve à nos enfants, sans les prévenir que les usages addictifs peuvent rapidement tourner au cauchemar. Nous ne voulons pas d'une société entièrement vouée à la marchandisation des échanges sociaux, d'une jeunesse surconnectée, dépendante, anxieuse et entravée. Nous devons être prêts à assumer que des lois restrictives et coercitives s'imposent à ces entreprises, afin que nos enfants soient libres et heureux. Nous réserverons notre vote et nous déciderons en fonction de l'évolution des débats. Nous remercions le rapporteur d'avoir entrepris cette démarche.