C'est avec plaisir que je me trouve aujourd'hui devant la commission des Affaires culturelles et de l'éducation, pour présenter ce texte dont l'origine remonte à mon élection, au printemps 2022. Se pencher sur le sujet des jeunes et des réseaux sociaux, devenu incontournable et préoccupant, m'avait alors semblé primordial.
Cette proposition de loi (PPL) aborde la question avec humilité mais non sans ambition et ce texte, sur lequel je travaille avec mon équipe depuis plusieurs mois, sera inscrit dès la première journée réservée à l'ordre du jour du groupe Horizons, dont j'ai l'honneur d'être le président.
Il me semblait nécessaire de lancer une initiative législative susceptible de provoquer ici une véritable discussion, pour que nous prenions pleinement part au débat public déjà engagé dans les grands médias comme au sein des familles.
Un véhicule législatif aussi modeste ne permet pas d'embrasser toute l'étendue des problématiques liées aux réseaux sociaux. La proposition que je soumets n'est pas infaillible et nous faisons face à des acteurs puissants. Mais j'espère apporter, avec votre concours, une pierre non négligeable à la construction d'une meilleure protection des jeunes sur les réseaux.
Le texte, qui se concentre sur les réseaux sociaux et que les auditions et consultations menées ont rendu plus opérationnel, peut permettre d'atteindre cet objectif grâce à un effort transpartisan. Nous ressentons tous l'urgence de ces enjeux. Dans notre pays, les enfants possèdent aujourd'hui un premier écran personnel à un âge moyen de 9 ans et 9 mois. Il ne s'agit pas de le déplorer ni de tenir un discours moralisateur ni de condamner des usages de plus en plus répandus parmi les jeunes. Cette position serait non seulement dépassée mais aussi inefficace.
Toutefois, il nous faut prendre conscience de la précocité croissante de cette puberté numérique et de la puissance des outils mis à la disposition de nos jeunes. Nous ne pouvons pas nous contenter d'en observer les potentiels dommages – ce que nous ne faisons pas toujours et la PPL vise aussi à remédier à cette lacune. Nous devons agir pour poser les garde-fous indispensables à la protection de nos enfants.
Nos sociétés sont désormais confrontées à un double défi de santé publique et de protection de l'enfance. Le constat posé par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) en 2021 est sans appel : nous assistons à la massification et à l'autonomisation des pratiques numériques chez les jeunes.
Ainsi, 82 % des enfants de 10 à 14 ans se rendent régulièrement sur internet sans leurs parents et ce chiffre s'élève à 95 % pour les jeunes de 15 à 17 ans. De plus, 70 % des enfants de tous âges regardent seuls des vidéos sur internet. Enfin, s'agissant des réseaux sociaux, la Cnil constate que la première inscription semble intervenir en moyenne à 8 ans et demi et que plus de la moitié des enfants de 10 à 14 ans y sont présents.
Les parents sous-estiment de façon structurelle les activités numériques de leurs enfants. L'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique (Open) et l'Union nationale des associations familiales (Unaf), deux associations dont j'ai rencontré des représentants dans le cadre de mes travaux, fournissent à ce sujet des éléments de diagnostic inquiétants. Ainsi, selon les parents, les enfants de 7 à 10 ans et de 11 à 14 ans utilisent respectivement 1,9 et 3,2 réseaux sociaux en moyenne. Cependant, les enfants évoquent une présence sur 2,5 réseaux pour les 7 à 10 ans et sur 3,6 réseaux pour les 11-14 ans. Les jeunes sont massivement présents sur les réseaux sociaux et s'y inscrivent de plus en plus tôt. Or, si les réseaux peuvent constituer des espaces d'opportunités pour les jeunes utilisateurs, ils entraînent aussi des risques multiples.
Je mentionnerai d'abord le risque de la propagation des fausses informations et du complotisme, dont nous connaissons les impacts profonds sur la confiance dans les institutions et les conditions à la tenue d'un débat démocratique.
L'accès à des contenus problématiques, voire dangereux, entraine également des risques psycho-sociaux. Les mineurs n'accèdent pas à ces contenus seulement sur les sites pornographiques mais aussi sur les réseaux sociaux.
Il ne faudrait pas non plus négliger l'impact psychologique de contenus apparemment plus anodins, qui abiment l'estime de soi des adolescentes et adolescents. À cet égard, nous constatons une explosion des demandes de chirurgie esthétique formulées dans l'objectif de se rapprocher des images produites par les filtres offerts par les réseaux sociaux. Pire encore, des adolescents sont conduits au suicide par des algorithmes qui les enferment dans des spirales de contenus délétères et je veux avoir ici une pensée pour la jeune Molly Russel, dont le cas a fait grand bruit au Royaume-Uni.
Enfin, je voudrais mentionner le cyberharcèlement ayant lieu en milieu scolaire, dont les cas sont trop nombreux, dont la propagation ne connaît aucun répit et qui peut conduire à des drames, comme l'actualité nous le rappelle trop souvent.
La nature addictive des réseaux sociaux, inscrite dans leur modèle économique, doit nous pousser à mieux protéger les mineurs – particulièrement les enfants de moins de 15 ans – de ces potentiels effets néfastes, qui ne résument pas l'intégralité de l'expérience vécue dans ces espaces. Il s'agit pour chacun – parents, entreprises et jeunes – de prendre ses responsabilités. Dans cet objectif, les limites doivent être clairement posées ou rappelées, et leur dépassement doit être plus franchement sanctionné ; c'est le sens de cette PPL.
L'article premier vise à inscrire dans notre droit national la définition des réseaux sociaux récemment adoptée par l'Union européenne au sein du DMA (Digital Markets Act), le règlement relatif aux marchés numériques. Bien que le règlement soit d'application directe, cette inscription semble importante pour renforcer la sécurité juridique de son application et garantir son utilisation ultérieure dans d'autres champs que celui délimité par le DMA.
Cette définition, suffisamment large pour tenir compte de la grande diversité des réseaux sociaux, doit être reprise très fidèlement. Toutefois, les travaux menés m'ont conduit à vouloir modifier le lieu de son insertion dans le droit national, pour permettre de renforcer son caractère opérationnel et de mieux respecter les champs de compétences respectifs des différentes autorités de régulation. Je proposerai un amendement allant dans ce sens.
L'article 2 de la PPL vise à renforcer l'obligation de moyen à laquelle sont soumis les réseaux sociaux quant à la vérification des conditions d'âge et d'autorisation parentale pour les mineurs de 15 ans. Je défendrai un amendement proposant une nouvelle rédaction afin de garantir la pleine effectivité du dispositif, en l'assortissant notamment d'une sanction qui ne figurait pas dans le texte initial. Il s'agira également de mieux contrôler les dispositifs techniques de vérification utilisés par les réseaux sociaux en les soumettant à un référentiel élaboré par les autorités administratives compétentes. Ce deuxième article constitue le cœur de ma proposition : il vise à mettre un terme aux inscriptions de mineurs de 15 ans sur les réseaux sociaux quand une autorisation expresse d'un détenteur de l'autorité parentale n'a pas été donnée et n'a pas été sérieusement contrôlée par les réseaux.
L'article 3 de la PPL vise à mieux armer la justice dans sa lutte contre la haine en ligne. À cet effet, le texte initial prévoyait une sanction renforcée en cas d'absence de réponse des réseaux sociaux aux réquisitions judiciaires. Après avoir mené des auditions et consulté la Chancellerie, j'ai souhaité que cette sanction évolue pour que le dispositif soit mieux proportionné, plus efficace et conforme aux plus récentes évolutions du droit européen, dont elle conduira même à anticiper de trois ans la mise en œuvre. Ce sera le sens de l'amendement que je présenterai sur cet article.
Enfin, l'article 4 vise à demander un rapport au Gouvernement sur les conséquences de l'utilisation des réseaux sociaux sur la santé physique et mentale des jeunes. La littérature scientifique en la matière reste insuffisante, ce que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a récemment reconnu. Un rapport produit par le Gouvernement ne saurait se substituer à une production universitaire mais il s'agit d'appeler de façon solennelle à l'établissement d'un état des lieux des connaissances disponibles, qui pourra déboucher sur une nouvelle impulsion, favorisant le développement de publications scientifiques.
Il ne s'agit pas d'envisager les réseaux sociaux par le seul angle répressif, mais bien d'entamer ensemble une réflexion globale quant aux effets de leur fréquentation sur notre jeunesse et de préserver celle-ci des risques les plus patents, en posant de justes garde-fous. Par ailleurs, cette démarche devra s'accompagner d'efforts en matière d'éducation aux médias, sur lesquels reviendront aujourd'hui deux collègues.
Cette PPL peut constituer une réelle avancée pour mieux protéger les jeunes dans leurs usages des réseaux sociaux. Elle permettra aussi de mettre chacun face à ses obligations et à ses responsabilités. Je suis convaincu que cet enjeu peut nous rassembler de façon large et au-delà des clivages. Enfin, je vous remercie pour les nombreuses propositions d'amélioration du texte portées par vos amendements.