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Intervention de Jean-Christophe Combe

Séance en hémicycle du mardi 28 février 2023 à 15h00
Baisse démographique en france

Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées :

Selon le COR, qui s'appuie, en la matière, sur les projections de l'Insee, le nombre des cotisants était, dans les années 1970, de trois pour un retraité. Ce ratio a décru depuis : il est actuellement de 1,7 cotisant par retraité et pourrait s'établir, à l'horizon 2050, à 1,2. C'est sur le fondement de ces faits que le Gouvernement a construit son projet d'allongement de la durée d'activité. En réalité, l'enjeu dépasse la seule question des retraites, mais celle-ci montre bien les menaces que les transitions démographiques font peser sur notre système de protection sociale.

Il en va de même pour notre système productif : je viens d'évoquer la baisse du nombre de cotisants par retraité ; j'aurai pu raisonner en termes d'actifs. Aux évolutions scientifiques et techniques s'ajoutent des transitions démographiques qui, si nous n'y prenons pas garde, mettront en péril certaines professions, certains secteurs. Un exemple tiré, là encore de l'actualité : celui du monde agricole. D'ici à dix ans, après avoir dédié leur vie active à produire, 166 000 exploitants ou coexploitants agricoles seront partis à la retraite, soit plus d'un tiers d'entre eux. Qui prendra leur place ? Quelle jeunesse les relaiera ? Telles sont les questions posées dans le cadre de la concertation en cours pour construire un pacte et une loi d'orientation et d'avenir agricoles auxquels œuvre mon collègue Marc Fesneau.

Le troisième type de conséquences est sociétal. Quelle société voulons-nous ? J'évoquai en introduction la peur du déclassement que certains éprouvent face à ces perspectives démographiques. Elles ne sont pas neuves : le taux de natalité d'un pays a toujours été l'un des critères retenus pour mesurer sa force et sa vigueur. L'accroissement de la population n'est pas une fin en soi : nous ne voulons pas être plus nombreux pour être plus nombreux. Mais nous voulons que la France continue.

Nous voulons qu'elle soit un pays de transmission, d'innovation, de création, de développement des arts et des techniques. Et, pour cela, nous comptons sur nos enfants, nos petits-enfants, sur des êtres qui ne sont pas encore là et qui apporteront au pays et au monde leurs singularités, leurs vulnérabilités et leurs talents.

C'est pourquoi nous voulons que celles et ceux qui veulent avoir des enfants puissent aller au bout de leur projet. Nous voulons soutenir cette ouverture à la vie et à sa transmission. Le désir d'enfant est de 2,38 enfants par femme ; il suffirait donc de s'en approcher pour assurer le renouvellement des générations et éviter que tant d'individus souffrent, que tant de vies soient empêchées dans la réalisation de leur souhait de fonder une famille.

Nous voulons, enfin, que la natalité soit l'expression collective d'une volonté de construire ensemble, l'expression d'une nation solidaire qui place les familles, parents et enfants, au cœur de son projet de société. Désir individuel et engagement collectif : tels sont les deux piliers de la politique familiale que nous défendons. Car le collectif sans la volonté individuelle est un totalitarisme, et le désir personnel sans le sens du collectif est un individualisme.

On dit souvent que le taux de natalité est le signe de la confiance des familles dans l'avenir. Mais, en réalité, il est aussi le reflet des moyens que la société se donne pour leur faciliter la vie et répondre à leurs aspirations. C'est pourquoi notre politique familiale a un objectif que nous comptons atteindre en actionnant un levier. Son objectif est de réduire l'écart entre le désir d'enfant exprimé dans la population et le taux de natalité observé dans les faits ; le levier consiste à compléter la politique d'allocations familiales par une politique de services aux familles, des services qui répondent à leurs besoins. C'est ainsi que nous permettrons aux Français de faire plus d'enfants.

C'est pourquoi nous bâtissons une politique familiale à deux dimensions.

La première dimension est son universalité. Il s'agit de s'adresser à l'ensemble des familles pour les soutenir et leur offrir un environnement favorable à l'accueil d'un enfant. C'est une marque de solidarité de la nation à l'égard des familles, qui assurent le renouvellement et l'éducation des générations. Tel est le sens de la stratégie des 1 000 premiers jours de la vie, mise en œuvre lors du quinquennat précédent, et de mesures telles que l'allongement du congé paternité à un mois. Tel est le sens également du chantier structurant que j'ai lancé en vue d'élaborer un service public de la petite enfance.

Promise depuis plus de trente ans sans jamais être réalisée, cette réforme marquera profondément l'histoire sociale du pays. De fait, en matière d'accueil du jeune enfant, 40 % des besoins potentiels ne sont pas couverts et près de 70 % des parents nous disent que la garde de leur enfant est la première de leurs préoccupations. Nous avons posé ensemble la première brique de ce service public dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 en réformant le complément de mode de garde, comme Mme Bellamy l'a souligné.

Cette réforme permet en effet, grâce à la « linéarisation » du barème en fonction du nombre d'heures et des ressources des parents, de réduire le reste à charge des familles qui ont recours à une assistante maternelle pour qu'il soit équivalent à celui des familles qui mettent leur enfant en crèche. Par ailleurs, nous avons étendu, pour les familles monoparentales, le bénéfice de ce complément aux enfants de 6 à 12 ans, et nous avons permis qu'il soit partagé en cas de garde alternée. Cette réforme sera mise en œuvre à partir de 2025.

L'objectif est que chaque famille dispose d'une solution accessible et adaptée à ses besoins. À cette fin, nous devons continuer à développer une offre diversifiée. Cette priorité sera au cœur de la prochaine convention d'objectifs et de gestion entre l'État et la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) ainsi que des travaux du comité de filière petite enfance que nous avons constitué.

Dans le cadre du service public de la petite enfance, se pose aussi la question des congés de naissance, notamment du congé parental. Je souhaite ouvrir une réflexion sur ce sujet, en m'appuyant sur le rapport de la commission des 1 000 premiers jours, qui recommandait de raccourcir ce congé, de mieux l'indemniser et de faire en sorte qu'il soit réellement davantage partagé entre les parents. La question de la conciliation entre vie familiale et carrière est essentielle.

Nous devons, à ce propos, mentionner la responsabilité des entreprises. Nous évoquons depuis longtemps leurs responsabilités environnementales et sociales ; il est temps d'introduire la notion de responsabilité familiale. Nous devons aussi soutenir davantage l'offre en matière de soutien à la parentalité mais aussi en matière de prévention et d'accompagnement des ruptures des liens familiaux.

Les parents, ces « aventuriers du monde moderne » dont parlait Péguy, ont besoin de notre soutien à chaque étape. Ils ont entre leurs mains l'éducation des enfants du pays, qui est la mère de toutes les batailles.

Ces questions m'amènent tout naturellement à évoquer la seconde dimension de notre politique familiale : le renforcement de l'accompagnement des familles qui en ont le plus besoin, pour réduire les inégalités de destin. Je pense en particulier aux familles monoparentales : 30 % d'entre elles vivent sous le seuil de pauvreté et il s'agit bien souvent de femmes élevant seules leurs enfants. C'est pour elles que nous avons créé un système de lutte contre les impayés de pensions alimentaires. C'est pour elles que nous avons revalorisé l'allocation de soutien familial. C'est pour elles que nous avons élargi le bénéfice du complément mode de garde aux enfants de 6 à 12 ans.

Pour faire le point sur les mesures déjà prises et tracer des perspectives pour l'avenir, je vous donne rendez-vous à la prochaine conférence des familles que j'organiserai avant la fin de l'année. Elle rassemblera toutes les parties prenantes et elle portera spécifiquement, je vous l'annonce, sur l'enjeu de la natalité et les moyens d'enrayer son attrition.

Avant de conclure, je voudrais évoquer une question rarement abordée et pourtant essentielle, sur laquelle je souhaite mettre l'accent dans les prochains mois, avec mon collègue ministre de la santé, François Braun. Cette question, je l'ai indiqué tout à l'heure, est au cœur de notre débat et, surtout, au cœur de millions de situations douloureuses. Pourtant, elle n'est presque jamais abordée dans le débat public. C'est celle de l'infertilité, notamment l'infertilité masculine, qui est un tabou dans notre société.

J'ai évoqué tout à l'heure l'âge des parents, qui est la première cause d'infertilité, y compris pour les hommes. Nous connaissons également, bien sûr, le rôle dramatique que joue le tabac dans ce domaine. Mais je pourrais également parler de l'alcool, de l'obésité et de la sédentarité, de l'alimentation et de problèmes médicaux comme l'endométriose chez la femme ou les lésions des voies génitales chez l'homme.

Autant de phénomènes qui sont à l'origine de situations douloureuses pour près de 3,5 millions de nos concitoyens : l'infertilité touche un couple sur quatre ! Nous aurons l'occasion, dans les prochains mois, de discuter de cet enjeu de société et de santé publique majeur et d'aborder beaucoup plus vigoureusement les causes environnementales de l'infertilité. Les polluants, et pas seulement les perturbateurs endocriniens, sont nocifs pour la santé mais aussi à chaque étape de la procréation.

Le lien étroit entre natalité, infertilité et environnement souligne combien le thème de notre débat est au carrefour de tous les enjeux de notre temps. La politique familiale seule ne permettra pas de relever tous ces défis, mais nous assumons d'en faire un des piliers de notre politique sociale. Car investir dans les familles, c'est le meilleur investissement social qui soit. Un investissement pour le renouvellement des générations, mais aussi pour la vie de la nation dans toutes ses dimensions. Et cela doit nous conduire à promouvoir un récit résolument positif.

Et c'est par ce point que je veux terminer. Pour soutenir la natalité, il faut soutenir les familles – notamment celles qui en ont le plus besoin – en leur donnant accès à des services qui leur facilitent la vie, mais aussi en les inscrivant dans un discours positif et enthousiaste plutôt que décliniste et anxieux.

Vous connaissez l'engagement du Gouvernement dans la lutte contre les violences intrafamiliales, contre les inégalités de destin et pour les libertés acquises par l'éducation et le travail. Les familles peuvent être des lieux de souffrance et des carcans, mais il faut rappeler encore et toujours qu'elles sont le plus souvent des lieux d'éducation, d'entraide, d'amour et de protection. Il faut le dire encore et encore : les familles sont les cellules les plus essentielles de la solidarité et une valeur refuge intemporelle.

Nous avons besoin d'un grand récit mobilisateur pour relever les défis de notre temps. J'ai la conviction que les familles peuvent être le cœur de ce récit positif, qui insiste sur le développement des capacités des personnes, les liens qui les unissent et les milieux de vie qui permettent leur épanouissement.

Je vous remercie et, en notre nom à tous, je souhaite la bienvenue aux trente nouveau-nés qui ont poussé leur premier cri en France depuis que je suis monté à la tribune.

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