J'ai quelques difficultés à entrer dans la logique de ce débat. Quels en sont le soubassement et la motivation ? Il porte sur le déclin démographique de la France, mais on peut aborder ce concept selon deux angles. Dès lors, les perspectives qui en découlent sont assez différentes.
Sur le plan de la réalité comptable d'abord, on ne peut évoquer un déclin absolu. Pour ne prendre que ces dix dernières années, la population française s'est accrue de 2,271 millions d'unités ; le bilan naturel a été excédentaire de 1,537 million de personnes et le bilan migratoire de 734 000 – il a été réévalué par l'Insee à 1,414 million. Au cours de la même période, le glissement de la structure d'âge vers une maturation croissante s'est certes poursuivi, mais en restant dans la logique des pays occidentaux, et sans dérive excessive. On remarquera d'ailleurs que ce glissement exprime une meilleure prise en compte des besoins qualitatifs et que l'évolution contraire aurait signifié une augmentation, au moins dommageable, de la mortalité. Pour résumer, on ne peut évoquer un déclin démographique pour une population en croissance constante.
Ensuite, une autre approche consiste à mettre cette évolution démographique en perspective avec ce qui se passe dans le monde. Il est vrai que la part relative de la population française recule, mais les perspectives de la population mondiale ont quelque chose d'affolant : elle comptait 1,6 milliard de personnes en 1900, 2,5 milliards en 1950, 5 milliards en 1985, 6 milliards en 1998, 7 milliards en 2011 et 8 milliards actuellement.
Faut-il s'inscrire dans cette dynamique pourvoyeuse de misère, de recul continu du milieu naturel et de toutes les ressources ? Faut-il envier l'Afrique et ses 23,7 ‰ annuels de croissance démographique ? Plus largement, le bonheur réside-t-il dans les grands nombres ou dans une société libre, bien équipée, bien nourrie, bien formée et bien soignée ? En somme, faut-il pousser, à coups d'avantages fiscaux et d'artifices, la croissance de la population dans la perspective vaine de suivre la vague générale, ou vaut-il mieux aider les pays du Sud à dominer leur mal-développement, à améliorer le sort des femmes et à ainsi maîtriser une fécondité pour l'heure galopante ? En ce qui me concerne, les réponses à ces questions relèvent du simple bon sens, nourri par le spectacle que nous offrent chaque jour les boat people tentant de fuir le dénuement et la misère sur des bateaux surchargés.
À sa propre échelle, la population française connaît le même type d'évolution que la population mondiale : elle comptait 40 millions de personnes en 1900, 52 millions en 1966, 60 millions en 1998 et en compte 68 millions actuellement. Jusqu'où faudrait-il aller pour apaiser les angoisses : 80 millions, 100 millions ? Et après ? La solution réside pour nous dans l'assainissement des conditions sociales, dans une vie démocratique renforcée, dans l'insertion en une véritable dynamique de respect du milieu naturel et de soutenabilité, et dans le rayonnement des vitalités territoriales.
Car un aspect différent de la question nous interpelle : celui de l'inégalité des dynamiques régionales. Entre 2012 et 2022, l'écart est grand entre la croissance de 11 % du dynamisme de la Corse, de 8,43 % de celui de l'Occitanie et de 7,57 % de celui des Pays de la Loire, et les reculs de ceux de la Bourgogne-Franche-Comté ou de la Normandie. Outre-mer, l'écart est grand également entre la croissance galopante du dynamisme de la Guyane – + 25 % – et le net recul, de 11 %, de celui de la Martinique. Une bonne politique consisterait sans doute à s'intéresser aux situations concrètes des territoires et à mieux les prendre en compte en adaptant les politiques publiques aux réalités tangibles du terrain.
Devrais-je me réjouir de la croissance galopante de la population corse qui, sans assainir le moins du monde les médiocres conditions sociales, emporte tout ? Elle pousse à l'acculturation, marginalise les relations sociales séculaires, installe un reclassement par l'argent et déchaîne la spéculation. Elle érode chaque jour un peu plus le vivre-ensemble et le sentiment d'appartenance à une communauté au profit d'une société sans âme, sans passé et sans culture, au profit d'une coexistence de communautés qui s'ignorent. Voilà le résultat, chez moi, d'une croissance démographique non maîtrisée, qui s'impose à nous comme un viol. Combien aurions-nous préféré une évolution plus paisible, sans rupture, une société respectueuse des différences individuelles, liées par le ciment d'un projet de vie commun ! Là est le sens profond de notre engagement citoyen et de notre combat politique ; là se situe l'enjeu majeur et premier de l'évolution institutionnelle que nous souhaitons.
La production économique, sociale et culturelle, le bien-être, la solidarité et le rayonnement passent avant le nombre, qui n'est qu'un facteur relatif. Voilà l'état d'esprit qui est le nôtre, porté par les leçons du passé et le spectacle du monde.