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Intervention de Rima Abdul-Malak

Séance en hémicycle du lundi 27 février 2023 à 21h45
Hyperconcentration des dépenses du ministère de la culture en Île-de-france : une fatalité

Rima Abdul-Malak, ministre de la culture :

Je me réjouis que nous puissions dans cet hémicycle parler de culture et je remercie vivement le groupe LIOT d'avoir choisi de mettre à l'ordre du jour ce débat passionnant. Je ne partage toutefois pas totalement le constat qui a été dressé, j'y reviendrai.

Vous avez tous déjà fait des citations de mes illustres prédécesseurs, je me dispenserai donc de vous lire celles que j'avais prévues. Vous avez souligné aussi la richesse de notre tissu culturel, avec nos multiples festivals, nos scènes nationales, nos trente-huit CDN, nos centres d'art, nos bibliothèques, nos cinémas. Je ne reviendrai pas sur les détails.

Des données statistiques ont été évoquées. Les chiffres bruts, madame la présidente Rabault, recouvrent des réalités beaucoup plus complexes qu'il n'y paraît. Certes, en 2022, 58,7 % des crédits du ministère sont affichés comme ayant été dépensés en Île-de-France, contre 41,3 % dans les autres régions, mais ce taux ne reflète pas les actions menées réellement. Les sommes allouées aux établissements ayant leur siège à Paris leur permettent de mener des projets dans tout le territoire. Par ailleurs, cette répartition ne résulte pas d'un choix de ce gouvernement, elle s'inscrit dans une histoire longue : la Comédie française existe depuis 1680, le Louvre depuis 1793, l'Opéra Garnier depuis 1869 et les galeries du château de Versailles sont ouvertes au public depuis 1837. Il incombe à tout ministre de la culture, quel que soit son bord politique, la responsabilité d'entretenir ce patrimoine à la fois matériel et immatériel pour le transmettre aux générations futures. Voudriez-vous que nous arrêtions les nécessaires travaux de rénovation de ces lieux, que nous nous abstenions de restaurer le Centre Pompidou, le Grand Palais ou le château de Versailles, que nous laissions ces bâtiments se délabrer au fil des ans ?

Comme Jérémie Patrier-Leitus l'a souligné, ces lieux alimentent le tourisme, part importante de notre PIB et vecteur de notre force culturelle à travers le monde. Les touristes viennent à Paris aussi pour les monuments et les salles de spectacles, ce qui rejaillit sur notre économie. En 2019, l'Île-de-France a ainsi concentré un tiers des nuitées d'hôtel passées en France. Ne simplifions pas le débat.

Notons aussi que ces institutions culturelles sont fréquentées par un public venu de toute la France. En 2022, la proportion de visiteurs français non franciliens était de 41 % pour le musée d'Orsay, 44 % pour le Louvre et 52 % pour le château de Versailles. Toute la France se rend dans ces grands établissements qui font partie de l'histoire de notre pays et de notre âme culturelle.

Plus important encore, les missions de ces établissements culturels basés à Paris ont un caractère pleinement territorial. Depuis 2017, nous n'avons cessé de renforcer cette dimension dans leurs cahiers des charges, dans leurs missions, dans leurs projets. Il faut savoir, par exemple, que 89 % des 293 millions d'euros dont dispose l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) pour son budget servent à financer des actions de diagnostic archéologique déployées hors de l'Île-de-France alors même que l'Institut a son siège à Paris et que l'affichage des crédits peut laisser supposer qu'ils ne sont destinés qu'à la capitale.

Prenons encore l'exemple du pass culture dont 2,5 millions de jeunes bénéficient partout en France. Il y a eu autant de jeunes ayant utilisé leur pass dans les QPV que partout ailleurs en France. Une grande majorité des 20 000 acteurs culturels participant à ce dispositif se situent bien évidemment hors de Paris et 79 % des dépenses faites par les jeunes dans ce cadre sont localisées hors de l'Île-de-France.

Depuis 2017, le budget consacré à l'EAC hors pass culture a doublé et vous vous doutez bien que nos priorités ne sont pas réservées à l'Île-de-France. Nous visons un déploiement dans les zones rurales et dans les quartiers défavorisés. Je remercie Philippe Lottiaux et Soumya Bourouaha d'avoir évoqué cette politique qui me tient particulièrement à cœur.

Mme Anthoine a cité les opérateurs parisiens du patrimoine mais il faut bien voir que ceux-ci gèrent des monuments partout en France. Le Centre des monuments nationaux (CMN) a la responsabilité de 100 monuments répartis sur l'ensemble du territoire, de la Villa Cavrois, dans le département du Nord, au cloître de la cathédrale de Fréjus dans le Var en passant par l'abbaye de Cluny, en Saône-et-Loire. La Réunion des musées nationaux (RMN), dont le siège est également à Paris, anime un réseau de musées dans toute la France, du musée national de la voiture à Compiègne au musée national Marc Chagall à Nice. Elle produit des expositions présentées partout dans notre pays : celle consacrée aux arts de l'Islam, élaborée avec le Louvre, a ainsi circulé dans dix-huit villes et le projet Muse, développé en collaboration avec le Grand Palais, a permis le déploiement d'expositions immersives à Saint-Dizier et Maubeuge et bientôt dans d'autres villes.

Quant à l'établissement public de La Villette, si son budget est bien localisé à Paris, il coordonne depuis 2017 le magnifique projet des Micro-Folies partout en France : 370 sont déjà implantées et le cahier des charges prévoit d'en ouvrir beaucoup d'autres. Ces plateformes permettent de décentraliser nos collections, même s'il est bon aussi que les œuvres elles-mêmes circulent. Je citerai celle installée au musée de Nevers, gratuit pour les étudiants comme beaucoup d'autres musées de nos régions, celle du Carladès, première à avoir été mise en place dans le Cantal, celles de Corse, de Guadeloupe, de Mayotte, de La Réunion qui en compte deux.

Venons-en à la Bibliothèque nationale de France (BNF), qui a la mission magnifique, depuis que le dépôt légal a été instauré par François Ier en 1537, de préserver les documents de toute nature édités ou diffusés dans toute la France, presse comprise. Le portail Gallica, où sont présentés les documents qu'elle conserve sous forme numérisée, permet à quiconque sur notre territoire et même dans le monde d'accéder à ses trésors. Je mentionnerai aussi l'ouverture à Amiens de l'un de ses nouveaux pôles pour un investissement de plus de 100 millions d'euros.

De nombreuses pièces montées à la Comédie française partent en tournée. Chaque saison, 100 à 150 représentations sont ainsi données en région. L'itinérance est une part importante de son cahier des charges comme de celui de toutes les scènes subventionnées par le ministère de la culture – je rejoins Violette Spillebout sur ce point. L'Opéra national de Paris vient de lancer le projet L'Opéra en Guyane, projet auquel je tiens beaucoup, orienté vers la détection de nouveaux talents afin de les préparer à intégrer l'école de danse et l'Académie et vers le développement d'ateliers sur l'ensemble des territoires ultramarins. Je pourrais continuer ainsi pendant longtemps. Vous voyez bien que les actions menées par les grands établissements publics du ministère ne s'arrêtent pas aux frontières de l'Île-de-France mais se diffusent sur l'ensemble de nos territoires pour l'ensemble des publics.

Bien sûr, nous devons aller encore plus loin, conformément aux engagements pris par le Président de la République et par le Gouvernement depuis 2017. L'exemple le plus emblématique est la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts. Pour en prendre véritablement la mesure, il faut rappeler que les projets lancés par les précédents présidents de la République étaient tous situés à Paris : Georges Pompidou avec son centre éponyme, Valéry Giscard d'Estaing avec la transformation de la gare d'Orsay en musée, François Mitterrand avec le Grand Louvre, le parc de La Villette, l'opéra Bastille, le site Tolbiac de la BNF, Jacques Chirac avec la création du musée du quai Branly et du musée de l'histoire de l'immigration. Emmanuel Macron fait la différence : l'État a investi près de 200 millions dans la restauration du château, abandonné depuis des décennies, de Villers-Cotterêts, commune rurale de 10 000 habitants du département de l'Aisne dans les Hauts-de France. La Cité s'appuie sur une ambition forte : présenter la langue française dans un dialogue avec les langues régionales et les langues qui l'influencent dans le monde. Il s'agit d'un projet d'ouverture et d'attractivité pleinement ancré dans un territoire.

Quant aux Drac, je ne peux pas laisser dire qu'elles sont asphyxiées. Leur budget n'a jamais été aussi élevé : nous avons dépassé pour la première fois en 2023 le milliard. Et je suis heureuse que certains d'entre vous aient souligné le travail extraordinaire que mènent leurs équipes.

En matière de patrimoine, 92 % des crédits du plan de relance ont été dépensés hors Île-de-France – je viens de faire la synthèse de toutes les dépenses après sa clôture à la fin de l'année 2022. Dans le budget 2023, j'ai décidé de donner la priorité en matière d'investissement aux projets situés hors de Paris : chantier de l'abbaye de Clairvaux, rénovation d'écoles d'art ou d'architecture – école d'art de Limoges, école d'architecture de Lille notamment –, et du château de Gaillon dans l'Eure, pour ne citer que quelques exemples.

Toutefois, nous n'allons pas renoncer aux responsabilités qui sont les nôtres s'agissant de l'entretien de monuments parisiens. C'est ainsi que nous allons aussi rénover le musée d'Orsay et le théâtre de Chaillot dans un objectif d'amélioration de leurs performances énergétiques pour qu'à terme, les coûts de fonctionnement soient réduits, ce qui permettra à mes successeurs d'avoir moins à en parler.

Pour les années qui viennent, j'aimerais insister sur quelques dispositifs importants. Nous allons poursuivre le plan Cathédrales : 80 millions issus du plan de relance ont permis de sécuriser et de restaurer quatre-vingt-neuf édifices du culte appartenant à l'État répartis sur tout le territoire, de la cathédrale de Sens à celles de Rodez et d'Albi, en passant par celles de Chartres et Clermont-Ferrand. Le FIP, que vous avez été quelques-uns à citer et auquel je tiens beaucoup, a bénéficié de 2022 à 2023 d'une augmentation de 20 % de ses dotations : 600 opérations ont déjà été financées depuis 2018, dont les travaux de l'église Saint-Martin de Villers-sur-Mer, en Normandie, et de l'hôtel de ville de Châtillon-en-Diois dans la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Dans le cadre du plan France 2030, nous avons insisté sur l'importance de nouveaux pôles territoriaux. Je citerai deux appels à projets : l'un pour la grande fabrique de l'image qui va favoriser le développement des infrastructures de tournage, des studios d'animation et de postproduction d'effets visuels dans différentes régions de France, pour un budget total de 350 millions d'euros ; l'autre pour les pôles territoriaux d'industries culturelles et créatives, avec une priorité donnée aux métiers d'art dans la perspective de créer des pôles en région et de redynamiser les savoir-faire, pour un budget de 46 millions.

Je mentionnerai aussi la commande artistique Mondes nouveaux. Il s'agit d'ouvrir un acte II pour ce programme, doté de 30 millions d'euros, qui a permis d'ancrer la création dans l'ensemble des territoires, avec une priorité donnée aux monuments du CMN et aux zones préservées par le Conservatoire du littoral, y compris en outre-mer. Très peu des 264 projets retenus, même en dehors du CMN et du Conservatoire, étaient implantés en Île-de-France.

Je remercie Violette Spillebout d'avoir mentionné le plan Fanfare qui a permis d'aider 500 projets, dont 48 % en zone rurale.

Ceux qui ont pu venir aux vœux au ministère ou qui ont lu mes interviews connaissent peut-être déjà le projet que j'ai autour de la relève. Je tiens à revivifier le tissu des professionnels de la culture qui dirigent et animent nos institutions. Il s'agit de repérer 101 jeunes, un par département, destinés à incarner le visage culturel de la France de demain.

J'espère qu'ils apporteront avec eux la force de chacun de ces territoires et que, demain, nous pourrons les nommer à la tête des grandes institutions qui viennent d'être mentionnées et dont ils prendront les rênes petit à petit, afin que les directeurs des scènes nationales ne soient pas uniquement des personnes formées à Paris ou des Parisiens envoyés un peu partout en France.

Vous le constatez, la culture n'a pas de frontières ; elle se partage sur l'ensemble du territoire. J'aurais pu mentionner également les aides à la presse : je remercie Mme Sophie Taillé-Polian de les avoir évoquées. Nous faisons beaucoup en faveur de la presse quotidienne régionale, des radios locales, sans oublier le rôle de l'audiovisuel public avec France 3 ou France bleu. C'est cette proximité que nous soutenons lorsque nous défendons leurs budgets, tout comme d'ailleurs celui du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). J'aurais en effet pu parler aussi du cinéma et des tournages : chaque euro investi dans un film génère, d'après les études du CNC, 7,60 euros de retombées économiques directes ou indirectes dans les territoires. Certes, le budget du CNC apparaît parmi les crédits alloués à Paris, mais il faut imaginer que tous les cinémas irrigués par les aides aux exploitants sont répartis dans l'ensemble du territoire ; de même, tous les tournages favorisent l'activité économique et l'attractivité des territoires. Ainsi, vous avez pu voir lors de la cérémonie des Césars le sacre du film de Dominik Moll, La Nuit du 12, qui a été tourné à Saint-Jean-de-Maurienne en Savoie et à Grenoble. Voilà un exemple, parmi d'autres, de tournages qui font aussi du bien aux territoires.

Ne soyons donc pas caricaturaux. Oui, la France est riche de sa diversité, cher Paul Molac. Ma mission sera toujours de faire le maximum pour rapprocher les Français de la culture, là où ils sont, et favoriser l'égalité d'accès à la culture. Je veux tout faire pour les impliquer, leur donner la parole et toute leur place afin de redynamiser notre vie culturelle. Il n'y a aucune fatalité : notre responsabilité est de toujours renouveler cette ambition d'égalité.

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