La pénibilité physique s'exerce sur le dos, les épaules, les genoux et les chevilles. Si on exécute mal un transfert, si on bascule mal le corps de la personne, c'est l'épaule qui prend. Et il faut parfois beaucoup de temps pour récupérer. Ma blessure au dos, due à un accident du travail, a duré dix-huit mois.
La pénibilité psychologique découle des violences dont les auxiliaires de vie sont victimes. On peut se prendre des coups, finir à l'hôpital avec des doigts cassés. On peut subir des agressions physiques, ou sexuelles – peu en parlent. Il est difficile aussi de se trouver aux côtés d'une personne en fin de vie.
Tout cela peut arriver dans une même journée, puisqu'on voit sept personnes à la suite – quinze le week-end – de huit heures à vingt et une heures, l'amplitude horaire pouvant atteindre treize heures.
C'est durant le covid que nous avons eu affaire aux plus grandes difficultés. Pendant le confinement, on a supprimé les prises en charge à domicile – kinés, psychologues, orthophonistes – sans l'expliquer aux personnes, qui se sont retrouvées avec leur auxiliaire pour seul lien. Nous, nous sommes allées au front – sans masque, car nous n'étions pas prioritaires. En plus de notre propre angoisse, nous avons dû absorber toute l'anxiété de ceux dont nous prenions soin. Nous n'avions pas de sas de décompression ; quelques entreprises ont installé un numéro vert, mais c'est d'une présence que nous avions besoin.
Pour moi, le mois de mars a été très compliqué à vivre. Beaucoup de mes collègues, qui élèvent seules leurs enfants, ont dû s'arrêter. Du coup, j'ai travaillé sans relâche, sans un seul jour de repos. C'est la raison pour laquelle j'ai créé le collectif. Je suis devenue le réceptacle de toutes les angoisses – il fallait bien que les personnes les évacuent. Il était difficile de les entendre répétées, jour après jour, sans avoir personne à qui en parler.
Car nous sommes isolées, ce qui constitue une autre forme de pénibilité. Autrefois, on pouvait parler au responsable de secteur, aujourd'hui, c'est un logiciel qui nous envoie des SMS pour nous informer des modifications d'emploi du temps.
Nous souffrons aussi du stress lié au manque de temps. Le téléphone portable est devenu notre pointeuse. On n'a que trente minutes pour lever une dame, lui faire prendre son petit-déjeuner et préparer son déjeuner. Or, lorsqu'elle est à peine réveillée, qu'elle s'est levée du pied gauche, qu'elle est fatiguée et qu'elle a des problèmes de déglutition, on n'a pas terminé lorsque la sonnerie de fin se déclenche. Alors on pointe, mais comme on ne va pas l'abandonner en plein repas, on continue à la nourrir, avec le stress du tic-tac qui n'arrête pas… Il faut ensuite se dépêcher pour rejoindre le domicile d'après, en risquant un accident de voiture. Et ainsi de suite, toute la journée.