Bien que la mission ait impliqué une forme d'urgence et un départ assez rapide pour la maison centrale d'Arles, nous l'avons menée de manière habituelle. Le lendemain des faits, qui datent du 2 mars 2022, nous sommes partis tous les trois, accompagnés de notre collègue chargé de la communication – car nous nous attendions à d'éventuelles interpellations des médias aux abords de l'établissement, ce qui n'a pas été le cas. Nous sommes restés sur place deux jours pour dresser des premiers constats. En même temps, nous avons sollicité de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP), sous forme dématérialisée, la transmission de renseignements concernant la vie de l'établissement et le profil de la victime et de l'auteur de l'agression.
Nous n'avons rencontré aucune difficulté dans notre manière de travailler ou d'obtenir ces renseignements. Tous les échelons hiérarchiques – la direction d'établissement, la direction interrégionale et la DAP – nous ont communiqué rapidement et intégralement tous les documents demandés.
Ce premier déplacement a été suivi d'un deuxième, du 10 au 12 mai. Entre-temps, nous avons auditionné soixante-trois personnes – des fonctionnaires pénitentiaires, des magistrats, des personnes détenues écrouées à la maison centrale d'Arles – et nous avons rendu successivement deux rapports.
Trois raisons principales conduisent au fait survenu aux alentours de dix heures le 2 mars. D'abord, comme nous l'écrivons d'une manière assez détaillée dans notre rapport, nous avons constaté un défaut de surveillance dans l'aile gauche du bâtiment A. Le surveillant chargé de ce secteur de l'établissement appartient à une brigade : il a en charge la surveillance, certes de l'aile gauche, mais aussi de l'aile droite. Cette question a suscité d'importantes discussions au cours des auditions que vous avez menées : ce surveillant – bon agent, bien noté par sa hiérarchie – chargé d'un secteur assez large, aurait-il pu vaquer à des occupations normales dans l'autre aile ? Ce n'est pas le cas, et j'insiste sur ce fait. Nous avons vérifié en détail ce qui aurait pu l'amener à se rendre dans l'autre aile : or, il s'avère qu'il n'y était pas présent.
Nous avons vérifié les mouvements des personnes détenues. En effet, dans ce type d'établissement, dès lors que plusieurs personnes incarcérées sont regroupées dans un lieu pour une activité, elles doivent faire l'objet d'une surveillance active déployée par un membre du personnel. Or, aucune activité collective n'était organisée dans l'autre aile. Il a été question dans le rapport de l'organisation d'une activité de formation ce jour-là : ce n'était pas le cas.
Le 2 mars, ce surveillant n'avait pas de raison particulière de se rendre dans l'autre aile. Il s'est absenté durant une vingtaine de minutes, et notamment pendant les neuf minutes au cours desquelles a eu lieu l'agression dramatique.
Il n'était pas demandé au surveillant d'être présent physiquement dans la salle de musculation, parce qu'il aurait alors fallu que d'autres surveillants le soient dans la salle adjacente – un lieu de convivialité –, dans la bibliothèque, ou encore dans le salon de coiffure. Il est demandé à cet agent d'exercer une surveillance constante, mais aléatoire : il doit se déplacer dans l'aile entière. D'ailleurs, lorsque nous l'avons interrogé à deux reprises, il a très bien décrit sa fiche de poste, qu'il maîtrise, puisqu'il exerce ses fonctions depuis de nombreuses années dans l'établissement, et qu'il y est apprécié. Il a la réputation de bien effectuer son travail. La question ne porte donc pas sur sa présence dans la salle de musculation, mais bien dans le secteur. Or, c'est de ce secteur qu'il s'est absenté pendant une vingtaine de minutes, durant lesquelles il n'est pas capable de nous décrire ce qu'il a fait. L'absence du surveillant pendant une durée importante est la première raison qui a rendu possible cette agression.
La deuxième concerne la vidéosurveillance. L'établissement est correctement équipé : il compte plus de 280 caméras. L'équipement est pour partie récent : un certain nombre d'écrans ont été remplacés quelques mois avant mars 2022. Cependant, leur paramétrage et leur utilisation posent divers problèmes. Le jour des faits, le paramétrage est organisé de manière à surveiller principalement les circulations dans les zones d'hébergement, là où la population pénale est à proximité et en relation avec le personnel. Il est normal que l'administration s'assure que les personnels qui circulent avec la population détenue dans les couloirs soient protégés par cette surveillance de proximité.
Les caméras sont réparties entre le poste central d'information (PCI), à l'entrée de l'établissement, et le poste interne du bâtiment A. Cette question est essentielle : les agents qui tiennent ce second poste précisent qu'ils ne modifient pas le paramétrage car ils n'ont pas été suffisamment formés ou familiarisés à une bonne utilisation ou à un bon séquençage des images. Ils se contentent donc de regarder l'écran. Or, le jour des faits, ces images ne sont pas directement utiles, puisque les écrans ne rendent pas compte de ce qui se passe dans la salle de musculation. D'ailleurs, l'auteur de l'agression le sait bien : en visionnant les faits, on se rend compte qu'à quelques reprises, son attention est davantage mobilisée sur la porte qui donne accès à la salle de musculation – il veut vérifier si le surveillant va rentrer –, mais qu'il est totalement indifférent à la présence des caméras. Il a donc déduit que la vidéosurveillance n'était pas efficace.
Enfin, la dernière raison est la présence même de l'agresseur au sein de l'établissement. À deux reprises, durant son parcours d'exécution de peine, des cadres pénitentiaires ont proposé qu'il soit affecté en QER. En 2019, lorsqu'il est détenu à Condé-sur-Sarthe, les professionnels réunis dans la commission pluridisciplinaire unique (CPU) débattent de son évolution et proposent qu'il soit affecté en QER. La directrice interrégionale des services pénitentiaires de Rennes relaie cette proposition ; cependant, l'administration centrale n'affecte pas l'auteur de l'agression en QER, mais à la maison centrale d'Arles, sur la base – nous a-t-on dit – des avis défavorables émis par le magistrat du parquet et le juge de l'application des peines antiterroriste (JAPAT) qui estiment qu'il n'est pas opportun, à ce moment-là, de l'affecter en QER. Or, les normes définissant les QER, d'après une note de février 2017, modifiée le 31 janvier 2022, font état de deux exceptions à l'affectation de ces condamnés en QER : il faut que la personne soit parfaitement connue, ou qu'il existe une « impossibilité judiciaire ». Or, l'auteur de l'agression ne relevait d'aucune de ces deux exceptions.
En 2020 et en 2022, à quatre reprises, la CPU, unanimement, propose à la cheffe d'établissement de transmettre une proposition d'affectation de l'auteur de l'agression en QER. 6 % des 500 personnes étiquetées terroristes islamistes (TIS) rentraient dans les deux exceptions citées, ce qui signifie que depuis la mise en service des QER, la quasi-totalité de ces détenus y a été affectée.
À ces quatre reprises, la cheffe d'établissement n'a pas transmis la proposition de la CPU. Nous l'avons interrogée deux fois : elle n'a pas su nous en expliquer la raison.
Il est possible d'interpeler la direction interrégionale et la DAP sur l'exercice de leur pouvoir hiérarchique de contrôle de non-transmission du dossier. Nous ne disons pas que rien n'a été fait : une collaboratrice du directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille a tenté de faire aboutir la démarche. Mais en tout état de cause, à quatre reprises, la directrice ne transmet pas les informations ; c'est un de ses collaborateurs, un officier responsable du bureau de la gestion de la détention qui, en janvier 2022, après en avoir parlé à l'une des directrices adjointes de l'établissement, transmet le dossier à la direction interrégionale de Marseille.
C'est certainement la conjonction de ces trois facteurs qui amène au drame du 2 mars 2022.