Sans revenir sur le profil de Franck Elong Abé qui transparaît des éléments que je vous ai donnés, je partagerai mon expérience de directeur général de la sécurité intérieure dans le suivi de ce type de personne, et je m'efforcerai d'imaginer ce que peuvent être les contraintes, les interrogations et les difficultés auxquelles est confrontée l'administration pénitentiaire dans la gestion de ce type de personne.
On trouve des profils tels que celui de Franck Elong Abé en détention et hors détention. Certains peuvent passer à l'acte à l'extérieur de la détention – j'ai un cas en tête – et je comprends la réaction de l'opinion publique, des autorités, du Parlement, qui tous s'interrogent : tel service savait que cet individu était violent, radicalisé, instable, et pourtant il est passé à l'acte. Mais je sais l'extrême difficulté à gérer ce type de profil. Je ne me prononce pas sur ce cas spécifique, mais j'ai la conviction que face à ce type d'individu, toute inattention, toute décision prise pour des raisons qui peuvent sembler fondées, justifiées ou opportunes, peut être interprétée, après le passage à l'acte, comme une défaillance. Ces individus demandent une vigilance presque permanente ; cela vaut aussi lors de leur suivi à l'extérieur.
Si j'essaye de me mettre à la place de l'administration pénitentiaire, je constate qu'elle a affaire à un individu instable, violent et radicalisé, dont elle sait aussi qu'il sera libéré dans moins de deux ans. Je n'ai eu d'échanges à ce sujet ni avec l'ancienne directrice de l'établissement ni avec le directeur de l'administration pénitentiaire, mais j'imagine la difficulté, pour un directeur d'établissement, de devoir se dire à la fois « plus j'isole cet individu impulsif et mieux je minimise le risque pour la détention » et « parce que je dois protéger la société, ma mission est aussi de faire que dans deux ans ce détenu sorte avec une dangerosité potentielle moindre ». J'ai rendu hommage au personnel pénitentiaire car je sais l'extrême difficulté des arbitrages quotidiens. Vous savez que le statut de détenu particulièrement signalé (DPS) n'empêche pas de travailler – on comprend pourquoi –, et je me garderai de dire que face à ce type de profil, la solution est l'isolement jusqu'à la veille de leur sortie. Une telle déclaration ne ferait d'ailleurs pas l'affaire de la DGSI, chargée de récupérer ces individus instables, impulsifs, dangereux et radicalisés le lendemain de leur sortie. Cela étant dit, quel doit être le régime de détention applicable ? La prudence s'impose, car c'est toute la difficulté de ce métier complexe.
Je ne suis pas en mesure de vous dire avec qui Franck Elong Abé échangeait à l'extérieur. Je sais en revanche qu'au moment où je vous parle, strictement aucun élément judiciaire ou de renseignement n'étaye la piste selon laquelle il aurait reçu un commandement ou qu'il aurait été en contact avec quelqu'un, à l'intérieur ou à l'extérieur de la maison centrale, qui lui aurait commandé d'agir. Par ailleurs, je note, sans trop m'appesantir puisqu'une procédure judiciaire est en cours, que Franck Elong Abé assume totalement son acte au nom de son idéologie. Il le fait de manière froide et clinique, disant : « Il a blasphémé, il a insulté le prophète, je me devais de réagir ». Il assume cette motivation, qui vient manifestement du plus profond de lui.
A-t-il tenté d'être transféré à Arles pour se rapprocher d'Yvan Colonna ou, une fois à Arles, aurait-il pu faire pression afin d'intégrer un dispositif lui permettant d'évoluer en liberté aux côtés d'Yvan Colonna ? Je n'ai non plus connaissance d'aucun début de commencement d'élément laissant penser que cette agression aurait pu résulter d'un plan concerté et mûrement réfléchi. Son environnement décrit plutôt qu'au cours de leurs premières semaines de fréquentation, les relations entre les deux hommes étaient plutôt bonnes et respectueuses. Ils aimaient discuter ; Franck Elong Abé est décrit comme passionné de géopolitique et de relations internationales et, de ce que j'en sais, il traitait beaucoup de ces sujets avec Yvan Colonna. Imaginer que l'assassinat résulterait d'un plan, d'une préméditation coïncide assez peu, me semble-t-il, avec le profil psychologique ou psychiatrique de cet individu. Faire mûrir ce plan pendant des mois suppose un profil rationnel, calme, pondéré et très précis ; on a plutôt affaire à quelqu'un dont le parcours carcéral a démontré l'extrême instabilité et l'impulsivité. Il n'y a aucun élément en ce sens, et ma conviction personnelle est que cela ne s'est pas passé ainsi.