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Intervention de Pierre-Louis Bras

Réunion du jeudi 19 janvier 2023 à 13h30
Commission des affaires sociales

Pierre-Louis Bras, président du Conseil d'orientation des retraites (COR) :

Je vais essayer de me faire le porte-voix du COR. Je préside cette institution, qui compte quarante-deux membres, dont plusieurs parlementaires, quatre députés et quatre sénateurs – je salue d'ailleurs M. Marc Ferracci, qui nous a récemment rejoints ; l'ensemble des partenaires sociaux – organisations d'employeurs et de salariés, ainsi qu'un représentant des professions libérales, un représentant de l'Union nationale des associations familiales (UNAF), un représentant de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles) ; toutes les administrations intéressées par la question des retraites – direction du budget, direction du Trésor, direction de la sécurité sociale, etc. ; ainsi que cinq ou six personnalités qualifiées. Toutes ces organisations, vous vous en doutez, n'ont pas la même vision et la même orientation quant à ce qu'il faut faire en matière de retraite.

Jusqu'à présent, nous parvenons à dresser des bilans, à travers un rapport annuel, qui est d'ailleurs prévu par la loi. J'insiste sur le fait que ce rapport, avant d'être publié, doit faire consensus : je ne le publie qu'après avoir demandé à l'ensemble des membres du Conseil s'il y a des oppositions à ce qu'il soit publié en tant que rapport du COR. Quand je ferai référence directement au rapport, il s'agit a priori d'éléments qui font consensus. Celui-ci n'est possible que parce que nous travaillons sur des données et des constats. Si nous tentions au sein du COR de converger sur des propositions, vous vous doutez que j'aurais quelque mal à y parvenir. Je n'ai sûrement pas le talent pour arriver à pacifier cette question.

Je voulais débuter, puisqu'il me semble qu'il s'agit de l'indicateur le plus synthétique, par vous présenter le poids des dépenses de retraite dans le PIB. Comment les retraites fonctionnent-elles ? L'on prélève sur la richesse produite par les actifs pour permettre le financement des retraites de ceux qui ne travaillent plus. En 2021, les dépenses de retraites représentaient 13,8 % du PIB. Il faudrait donc prélever 13,8 % de la richesse produite par les actifs au cours de l'année si l'on voulait que le système soit à l'équilibre, ce qui était justement le cas en 2021.

Les projections d'évolution des dépenses de retraite que nous avons établies se fondent, jusqu'en 2030, sur les hypothèses économiques du Gouvernement. Après 2030, il n'existe pas d'hypothèses économiques du Gouvernement ; nous sommes donc obligés de choisir des hypothèses de base. Nous avons besoin de deux hypothèses économiques fondamentales : le taux de chômage et la croissance de la productivité du travail, sachant que dans notre modèle, qui est très simple, les salaires augmentent comme la productivité horaire du travail.

Pour le chômage, nous retenions traditionnellement une hypothèse de 7 %, et nous avions une variante à 4,5 % que nous n'utilisions quasiment plus, car lorsque nous l'évoquions, nous croulions sous les sarcasmes de tous les journalistes, qui nous trouvaient trop optimistes. Cette année, un bouleversement majeur s'est produit : le Gouvernement a prévu pour 2027 le retour à un taux de chômage à 5 %. Par rapport à notre hypothèse à 7 %, cela faisait une dépréciation très forte. Nous avons donc refait nos calculs avec une hypothèse de chômage à 4,5 %, qui est le prolongement du taux de 5 % auquel le Gouvernement envisage d'aboutir en 2027.

Quatre hypothèses sur la productivité horaire du travail sont retenues. L'hypothèse la moins favorable prévoit une augmentation de 0,7 % de la productivité horaire du travail par an, et l'hypothèse la plus favorable prévoit une augmentation de 1,6 % par an. Les résultats sont extrêmement différents selon l'hypothèse choisie, ce qui s'explique principalement de la manière suivante : les pensions étant indexées sur l'inflation, en cas de forte croissance des salaires, le poids des retraites dans la richesse est moins important que lorsque la croissance des salaires est moins forte.

Le COR dit toujours qu'il ne privilégie aucune de ces quatre hypothèses. Néanmoins, et c'est logique, le Gouvernement ne peut présenter un projet de loi en s'encombrant de quatre hypothèses. Il fait donc un choix. Dans le cadre de cette réforme, il a décidé de reprendre l'hypothèse faisant état d'une croissance de la productivité du travail à 1 %. Lors des débats sur la précédente réforme, dite du régime universel, le Gouvernement avait fait le choix de l'hypothèse à 1,3 %.

Les résultats sont extrêmement différents. En résumant, les dépenses de retraite sont globalement stabilisées ; à très long terme, elles diminuent dans trois hypothèses sur quatre. Dans l'hypothèse la plus défavorable (productivité à 0,7 %), elles augmentent, sans que cette augmentation soit très importante, puisqu'elles passent de 13,8 % à 14,4 % du PIB.

Les dépenses de retraite ne dérapent pas, elles sont relativement maîtrisées ; dans la plupart des hypothèses, elles diminuent à terme. Dans l'hypothèse retenue par le Gouvernement, elles diminuent un peu. En règle générale, ce propos suscite un certain étonnement : « La France vieillit, et le COR ne le sait pas ». Si la France vieillit, les retraites doivent exploser. Bien évidemment, nous savons que la France vieillit : aujourd'hui, il y a 1,7 cotisant par retraité ; en 2070, il n'y en aura plus que 1,2. C'est l'effet du vieillissement de la population : il y aura moins de personnes en âge de travailler relativement aux personnes ayant vocation à être à la retraite. N'y aurait-il que ce phénomène, les dépenses de retraites déraperaient par rapport au PIB et exploseraient.

Si l'on analyse le montant des pensions des retraités rapporté au montant des rémunérations des actifs, on constate une diminution de ce rapport, laquelle est liée à l'indexation des pensions sur l'inflation et non sur les salaires, comme c'était le cas avant les années 1990. Il y aura moins de cotisants par rapport au nombre de retraités, mais ce que l'on donnera à chacun des retraités par rapport à ce que gagne chacun des cotisants sera moindre. Nous sommes devant un problème de physique élémentaire : il y a deux forces, dont la résultante est une stabilisation, dans la plupart des hypothèses, des dépenses de retraites par rapport au PIB. Cela permet au COR d'affirmer que les dépenses de retraites ne dérapent pas dans le cadre des hypothèses convenues, malgré le vieillissement de la population.

Il existe bien sûr un revers au fait que les dépenses ne dérapent pas : le montant des pensions par rapport aux rémunérations diminue. Aujourd'hui, grâce au montant de ces pensions, les retraités ont un niveau de vie légèrement supérieur à celui de l'ensemble de la population. Du fait de l'évolution que je viens d'évoquer, le niveau de vie relatif des retraités sera demain inférieur à ce qu'il est aujourd'hui. Je parle bien du niveau de vie relatif des retraités : par rapport aux actifs de demain, ils auront moins, mais par rapport aux retraités d'aujourd'hui, les retraités de demain auront des niveaux de pensions et des niveaux de vie supérieurs. N'enlevez pas le mot « relatif ». Certains journalistes le font parfois, et passent de « le niveau de vie relatif des retraités va diminuer » à « le niveau de vie des retraités va diminuer », ce qui est complètement différent. La seconde affirmation est angoissante. La première est une question, un problème, mais elle est moins angoissante.

J'en viens au solde de l'ensemble du système des retraites – régimes de base et régimes complémentaires. Ce solde n'est pas celui que vous examinez en loi de financement de la sécurité sociale, dans lequel ne figurent que les régimes de base ; or, il se trouve que ce sont les régimes complémentaires qui sont excédentaires. Lorsque l'on considère l'ensemble du système, nous constatons un très léger excédent de 900 millions d'euros en 2021.

Vous entendrez souvent dire que le COR dissimulerait 30 milliards d'euros de déficit. Cette thèse est maintenant reprise par la plupart des journalistes. Je ne vais pas l'examiner en profondeur, même si je suis prêt à avoir un jour ce débat avec vous, mais je reviens sur l'affirmation selon laquelle le COR « cache » 30 milliards de déficit. Le COR reprend les données pour les régimes de base qui sont fournies par le Gouvernement dans les lois de financement de la sécurité sociale, et sur la base desquelles vous discutez. Je tiens à dire que le COR ne cache pas 30 milliards. Si 30 milliards sont cachés, c'est par le Gouvernement, avec la complicité du Parlement, tous groupes politiques confondus – car je n'ai jamais vu de débat au Parlement sur les données de base du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Ce débat de fond peut avoir lieu. Si le Parlement change la façon de comptabiliser le déficit en LFSS, il est clair que les membres du COR changeront la manière dont ils calculent le déficit.

Les dépenses de retraite n'ont pas la même part dans le PIB selon les hypothèses. De même, le solde n'est pas le même selon les hypothèses. En 2022, nous serons en excédent, mais ensuite le solde va se creuser. Dans une seule hypothèse,celle d'une productivité du travail à 1,6 %, nous revenons à l'équilibre en 2045. Dans l'hypothèse qui sert de référence dans le cadre de la réforme, le déficit perdure jusqu'en 2070.

Il s'agit d'un second sujet d'étonnement. Alors que les dépenses ne dérapent pas et que la situation est à l'équilibre, comment le solde peut-il se creuser ? Quand nous projetons les ressources, nous le faisons à taux de cotisations constant. Comme la base des cotisations augmente comme le PIB, si les dépenses ne dérapent pas, il ne devrait pas y avoir de solde négatif. C'est là que se produisent des évolutions qui ne sont pas du tout intuitives. Le solde va se creuser en raison d'évolutions négatives des ressources, qui ne tiennent pas au fait que l'on aurait projeté une baisse de telle ou telle cotisation.

Trois phénomènes assez particuliers vont expliquer cette baisse de ressources pour les retraites.

Premièrement, les ressources qui vont au régime des fonctionnaires de l'État ne sont pas déterminées par un taux de cotisation, mais par une convention, selon laquelle le régime des retraites de l'État est toujours à l'équilibre. Comme les dépenses de retraite de l'État pour ses fonctionnaires vont diminuer, les ressources vont également diminuer.

Deuxièmement, la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) est un régime où le taux de cotisation, qui s'élève à 41 %, est bien supérieur au taux de cotisation appliqué aux salariés du privé, à savoir 28 %. Or, la part des rémunérations relevant de la CNRACL dans l'ensemble des rémunérations va diminuer. Ceux qui paient le plus vont peser moins. Les hypothèses sur l'évolution des rémunérations et des effectifs dans ce régime (hôpitaux et collectivités territoriales) sont particulières ; l'évolution sera moindre que dans l'ensemble de l'économie, et notamment dans le privé. Par un effet de structure, cela fera baisser la part des ressources des retraites dans le PIB.

Troisièmement, certaines ressources des retraites viennent de la branche famille ou du régime d'assurance chômage. Comme nous prévoyons qu'il y aura moins d'enfants et moins de chômeurs demain, les ressources venant de ces régimes seront moindres.

L'évolution du solde peut être décomposée entre un effet « dépenses » et un effet « ressources ». Dans l'hypothèse d'une croissance de la productivité du travail à 1 %, avec un chômage à 4,5 %, qui est l'hypothèse de référence du Gouvernement pour la réforme, en 2027, le solde du régime des retraites s'établira à – 0,4 % du PIB, parce que nous aurons eu – 0,1 % de PIB sur les dépenses, et – 0,3 % de PIB sur les ressources. En 2046, le solde sera à – 0,7, mais l'effet « dépenses » sera à 0. Le solde négatif sera alors lié à un effet « ressources », tenant aux trois phénomènes que j'ai évoqués plus tôt et qui ne sont pas complètement intuitifs.

Le message du COR n'est pas aussi contradictoire qu'on le dit. Il est possible de dire à la fois que les dépenses ne vont pas déraper et qu'il y aura des déficits. La clé de cette contradiction apparente réside dans le fait que les déficits s'expliqueront en très large partie par un effet « ressources ».

Une telle évolution n'est pas compatible avec les objectifs de finances publiques actuels du Gouvernement. Les dépenses ne dérapent pas, mais elles vont augmenter en réel de 1,8 % dans les cinq ans qui viennent. Or, le Gouvernement poursuit un objectif en matière de dépenses publiques dans leur globalité, et les dépenses des retraites représentent 25 % de ces dépenses publiques. Cet objectif est de réduire le déficit public à 2,9 % en 2027, de maîtriser voire réduire un peu les prélèvements obligatoires. Il s'en déduit un objectif sur les dépenses : les dépenses publiques ne doivent pas augmenter en réel de plus de 0,6 % par an. Or, dès lors que 25 % des dépenses publiques augmentent de 1,8 %, il est quasiment impossible de limiter l'augmentation de l'ensemble à 0,6 %, car cela imposerait de limiter très fortement la croissance des 75 % restants, qui sont consacrés à l'économie, à la défense, à l'éducation, à la police, à la justice, à la santé. Les dépenses de retraites ne dérapent pas, mais elles ne sont pas compatibles avec les objectifs de politique économique et de finances publiques du Gouvernement.

Cette analyse est évidemment inscrite dans le rapport du COR, mais certains membres ont indiqué qu'ils ne se sentaient pas engagés par les objectifs de politique économique du Gouvernement. Nous avons pris soin de noter cette contradiction dans notre rapport.

Chaque année, nous essayons de présenter la situation patrimoniale nette du système de retraite. Ce dernier compte des réserves et des dettes. Les dettes sont essentiellement portées à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), ainsi qu'au Fonds de réserve pour les retraites (FRR). Fin 2021, la situation patrimoniale nette du système de retraite s'établissait à 163 milliards d'euros, soit 6,5 % du PIB. C'est une partie du patrimoine net des administrations publiques. L'Insee évaluait fin 2021 ce patrimoine à 15 % du PIB. Le problème est que ces réserves n'appartiennent pas à tout le monde ; ce n'est pas un bien collectif. Elles font partie de régimes complémentaires, qui sont d'ailleurs les régimes excédentaires. Pour l'essentiel, il s'agit de réserves de l'Agirc-Arrco.

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