. – Cette note scientifique est la suite logique du travail que j'avais réalisé l'année dernière sur le déclin des insectes. Un certain nombre de causes avaient alors été identifiées, dont le réchauffement climatique, la destruction des habitats liée aux cultures intensives, l'emploi d'insecticides, les espèces invasives et, justement, la lumière.
Comme les données numériques que nous venons d'aborder, la pollution lumineuse participe à la transformation de la société.
L'éclairage public est apparu dans les villes au XVIIe siècle. Jusqu'alors et depuis la préhistoire, le feu était l'unique source d'éclairage et permettait d'éviter les attaques de bêtes sauvages.
Les pouvoirs publics ont ainsi montré qu'ils avaient la capacité de prolonger le jour et d'abolir la nuit. Cela a permis de sécuriser l'espace public, de surveiller, de faciliter les déplacements, de renforcer l'attractivité des villes et de prolonger les plages horaires disponibles pour différentes activités humaines nocturnes, économiques, sportives ou culturelles.
À ce jour, l'éclairage public représente environ 70 % de la lumière émise contre 30 % pour l'éclairage privé. De légères variations existent, comme à Paris où la proportion d'éclairage public est plus faible et celle de l'éclairage privé plus importante, en raison des commerces et des enseignes.
Cette pollution lumineuse – le mot nuisance n'est désormais plus utilisé depuis que les effets de cette lumière ont été étudiés – peut prendre plusieurs formes. Il s'agit d'abord de la surillumination, mesurée par deux paramètres : le nombre de points lumineux et l'éclairement. L'éblouissement, ensuite, est dû à une trop forte luminance ou à un contraste trop intense entre les zones éclairées et les zones sombres. Cet éblouissement est accru lorsque la surface émettrice de la lumière est petite. C'est fréquemment le cas avec les diodes électroluminescentes (LED). Le halo lumineux, enfin, est visible parfois à des dizaines de kilomètres, parce que la lumière émise en direction du ciel est réfléchie par les particules présentes dans l'atmosphère – pollution, brouillard, gouttelettes d'eau, vapeur d'eau…
Il faut savoir que 85 % du territoire métropolitain subit la pollution lumineuse. Celle-ci est massive et, surtout, en pleine expansion à l'échelle mondiale. Cela s'explique par plusieurs facteurs : la croissance de la population mondiale, l'urbanisation toujours plus forte, le développement des infrastructures humaines, la baisse des coûts d'éclairage et, surtout, l'utilisation de nouvelles technologies dont les LED.
Tout cela aboutit à une explosion des émissions lumineuses. En France, le nombre de points lumineux est passé d'environ 7,2 millions en 1990, à 9,5 millions en 2015 pour atteindre plus de 11 millions aujourd'hui.
Les effets de cette pollution lumineuse sont très nombreux.
D'abord, elle dégrade les paysages nocturnes et notre rapport à la nuit. Les astronomes ont été les premiers à tirer la sonnette d'alarme, en s'apercevant qu'ils avaient des difficultés à observer les étoiles. Près de 36 % de la population mondiale, 60 % des Européens et 80 % des Nord-Américains ne voient plus la Voie lactée. C'est regrettable car cela « déconnecte » les individus de la société et de l'environnement qui les entoure. Centrés sur l'humain, nous oublions que nous faisons partie d'un tout, d'un univers et que nous avons une place bien spécifique à trouver. Pendant très longtemps, l'obscurité a influencé notre appréhension sensorielle du monde. Or cette pollution lumineuse a appauvri notre relation à l'obscurité dans tous ses aspects, artistiques, culturels ou historiques.
La pollution lumineuse contribue évidemment au gaspillage énergétique et au changement climatique. Selon les études menées par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), la consommation électrique annuelle, éclairage public et éclairage des bâtiments inclus, s'élève à 2 900 térawattheures (TWh) dans le monde, ce qui représente 13 % de la production totale d'électricité, et à 56 TWh en France soit environ 10 % à 11 % de notre production électrique.
Les LED, dont on pensait qu'elles permettraient de réduire la consommation d'énergie, ont finalement engendré une réduction moins importante qu'attendu. En effet, elles participent à l'augmentation du nombre de points lumineux – leur coût étant inférieur, on peut en installer davantage – et à celle de la quantité de lumière émise. Les LED ont aussi des effets sur les émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, elles sont majoritairement produites en Chine, où l'électricité est fortement carbonée, et qui possède les terres rares nécessaires à leur production.
La pollution lumineuse participe, de façon conséquente, au déclin de la biodiversité. L'alternance du cycle du jour et de la nuit est un élément structurant pour le monde vivant. Les besoins d'obscurité sont de deux ordres : les besoins spatiaux et les besoins temporels.
En ce qui concerne les besoins spatiaux, 28 % des vertébrés et 64 % des invertébrés vivent, totalement ou partiellement, la nuit. Éclairer la nuit perturbe complètement ces espèces. La lumière influera sur leurs mouvements par un effet de répulsion ou, au contraire, d'attraction, ce qui les empêchera de vivre convenablement.
Les besoins temporels s'expriment l'échelle quotidienne ou à l'échelle saisonnière. À l'échelle quotidienne, il s'agit du système circadien, qui concerne des activités comme chasser, se nourrir, se déplacer, chanter, que la lumière perturbe. À l'échelle saisonnière, c'est le système circannuel. Des espèces qui ont besoin d'hiberner sont ainsi perturbées. Des décalages en matière de reproduction sont observés. La lumière influe aussi sur la mue, sur la migration et sur la pollinisation.
La pollution lumineuse a des effets sur le comportement et sur la physiologie des animaux. Elle contrarie la mobilité des espèces, qui se déplacent la nuit, et perturbe le mécanisme d'orientation des oiseaux migrateurs. Ainsi, les insectes lucipètes sont attirés et piégés par la lumière, car ils restent à proximité de la source lumineuse, tandis que les espèces lucifuges sont détournées de leur chemin habituel pour rejoindre des zones sombres. Cela engendre des pertes de repères, d'habitats et de nourriture.
Chaque année, des centaines de millions d'oiseaux et des milliards d'insectes meurent du fait de la pollution lumineuse. Ainsi, entre 400 et 1 600 insectes meurent chaque nuit autour d'un seul lampadaire pendant l'été, et 2 000 milliards d'insectes meurent en France chaque année. Selon une étude américaine, environ 100 millions d'oiseaux migrateurs meurent aux États-Unis, en heurtant des bâtiments éclairés qu'ils prennent pour un éclairage naturel.
La lumière artificielle nocturne est aussi néfaste lors de certaines phases de l'existence, comme la ponte, la nidification des oiseaux ou la dispersion juvénile des tortues marines. Les jeunes tortues, habituellement attirées par la différence de couleur entre la mer et le ciel à l'horizon, sont au contraire attirées vers la terre, en raison des halos lumineux ou des éclairages plus proches. Elles sont alors soumises à de trop fortes températures, qui provoqueront leur dessèchement, ou à des prédateurs.
La pollution lumineuse gêne également l'acquisition de la nourriture ainsi que la communication intraspécifique. Ainsi, les lucioles femelles s'éclairent pour attirer les mâles, qui ne les remarquent plus lorsqu'elles sont sous les lumières, empêchant alors la reproduction. De même, les chants d'oiseaux ou de grenouilles sont troublés.
Des perturbations des fonctions physiologiques et métaboliques existent également. Certaines études montrent que la lumière a un effet sur la masse corporelle, sur la fécondité, sur le sommeil et sur la structure neuronale.
La pollution lumineuse altère aussi le fonctionnement de tous les écosystèmes. Elle perturbe les relations interspécifiques, car les espèces diurnes augmentent leur période d'activité sous l'effet de la lumière et empiètent sur les niches temporelles des espèces nocturnes. Un déséquilibre existe aussi dans les relations proies-prédateurs, avec une présence disproportionnée de prédateurs, comme les chauves-souris ou les araignées, attirés par ces proies piégées par la lumière près des lampadaires.
La pollution lumineuse favorise aussi les espèces dont les comportements sont les moins influencés par la lumière artificielle, ce qui est un nouveau mode de sélection des espèces.
Le spectre de la lumière émise par les LED présente un pic de lumière bleue, qui est très nocive. La lumière bleue nuit particulièrement à la santé humaine. Comme les autres espèces animales, nous avons une horloge biologique circadienne, située au niveau de l'hypothalamus. La lumière bleue, captée par la rétine, stimule des cellules ganglionnaires qui envoient leurs messages vers les noyaux suprachiasmatiques de l'hypothalamus, siège de l'horloge biologique centrale. Des effets très importants sont alors observables sur l'éveil, le sommeil, la cognition, l'humeur, le métabolisme, les divisions cellulaires et les réparations de l'ADN. La sécrétion de mélatonine, l'hormone du sommeil, est aussi inhibée par l'exposition à la lumière bleue.
La lumière bleue est émise par les écrans, les téléphones, les tablettes, les ordinateurs. Sur certains appareils, il est possible de couper cette lumière bleue, mais tout le monde ne le sait pas ou ne le fait pas. Plus grave, la majorité des veilleuses destinées aux enfants émettent en bleu, alors que cela ne favorise pas le sommeil. Or personne ne dit rien.
Une étude, conduite par le docteur Ducanda, a montré que l'exposition abusive à la lumière des écrans interfère au niveau des signaux et provoque des symptômes faisant penser à ceux de l'autisme. Cependant, la suppression de ces écrans et de la lumière fait disparaître ces symptômes.
La lumière bleue a aussi des effets phototoxiques sur la rétine, perceptibles surtout chez les enfants et les nourrissons. Une réglementation fournit une gradation : le risque 0 correspond à une absence de risque et le risque 1, à un risque faible. Les lumières relevant de ces niveaux de risque sont autorisées, mais la réglementation ne s'applique pas aux lampes torches ou aux phares de voitures pour lesquels n'importe quelle lumière à n'importe quelle puissance est utilisée, pouvant provoquer des dégâts considérables sur la rétine. Les enfants et les jeunes adultes sont particulièrement concernés, car ils ont un cristallin très transparent ; la rétine est donc atteinte directement.
Une réglementation contre la pollution lumineuse a été instaurée – la première est issue des lois Grenelle et la dernière date de 2022 – et essaie de répondre à ces problèmes. Elle est de trois types. Tout d'abord, elle porte sur la temporalité. Ainsi, ont été précisées la durée des éclairements ou au moins l'obligation d'éteindre – une heure après la fin des activités jusqu'à sept heures du matin le lendemain –, par exemple pour les locaux professionnels, les parcs, les jardins. S'agissant des bâtiments patrimoniaux, des vitrines, des publicités et des enseignes, la fourchette s'étend de 1 heure à 6 heures du matin. Ensuite, la réglementation prévoit des recommandations techniques : ne pas éclairer vers le ciel, limiter l'éclairement latéral, réduire la température de couleur, réguler aussi la densité. Enfin, le troisième type de règles concerne des règles génériques, par exemple l'interdiction d'éclairer les surfaces en eau.
Cependant, de nombreux arrêtés d'application n'ont pas été publiés et les sanctions prévues ne sont jamais appliquées, faute de contrôles. En effet, ceux-ci sont laissés à des acteurs – élus, policiers municipaux – qui ont d'autres charges et qui ne connaissent pas la réglementation. La temporalité, dans certains cas, est laissée à la discrétion des autorités locales. En outre, les prescriptions temporelles et techniques n'existent pas pour certains types d'éclairages, utilisés par exemple pour des évènements extérieurs et des équipements sportifs. Enfin, l'éclairage vers le ciel n'est absolument pas régulé à l'exception des éclairages de voirie et des parcs de stationnement.
La première réponse à cette pollution lumineuse doit être la sobriété de l'éclairage. Nous devons d'abord nous interroger sur ce qui doit être éclairé. On a beaucoup parlé de trames vertes et de trames bleues afin de permettre la circulation des espèces, sur terre ou dans le milieu aquatique. On commence à parler de trames noires, qui seraient des zones dépourvues d'éclairage pour favoriser la biodiversité et la recolonisation de certains espaces.
Il existe un certain nombre de labels, de chartes et d'actions de sensibilisation. Aux États-Unis existe la réserve internationale de ciel étoilé. En France, il s'agit du label « villes et villages étoilés ». Des campagnes de sensibilisation sont réalisées par les associations. L'objectif est d'éclairer de façon juste.
En France, 40 % des installations ont plus de vingt-cinq ans. Leur remplacement a débuté, car il permet de réaliser de 40 % à 80 % d'économie en utilisant des LED. La rénovation s'accélère sous l'effet de l'augmentation du coût de l'énergie. Pour les communes, l'éclairage public représente 37 % de la facture d'énergie. Voilà quelques années, 3 % des éclairages étaient remplacés chaque année. Aujourd'hui, nous sommes à 5 % à 7 % des éclairages qui sont rénovés chaque année.
Les élus doivent cependant mener une réflexion globale, en associant de préférence la population : que doit-on éclairer et comment ? De plus en plus de communes ont choisi d'éteindre la nuit, selon différents horaires. Les LED permettent également de faire varier l'éclairage, qui peut être coupé et se déclencher brièvement au passage d'une personne.
Quelles sont mes recommandations ? Tout d'abord, il s'agit de faire respecter la réglementation existante, aussi bien en matière de temporalité que de règles techniques, en développant les contrôles et surtout l'information. Il s'agit également de s'adapter finement au contexte local et aux besoins réels des usagers.
La législation pour lutter contre la phototoxicité devrait être complétée et une politique de sensibilisation aux dangers de la dérégulation du cycle circadien devrait être également menée.
Enfin, un important travail est à réaliser sur les écrans présents dans les vitrines des magasins, qui sont situés dans un site privé, mais qui éclairent vers l'extérieur.
Je voulais attirer également votre attention sur le fait qu'il existe un vide juridique et législatif, lorsque les communes éteignent leur éclairage la nuit pour faire des économies d'énergie. Pour l'instant, si une personne tombe ou se casse une jambe, la responsabilité du maire peut être engagée. Des questions écrites portant sur ce sujet ont été déposées, mais sont restées sans réponse pour l'instant. En revanche, la ministre déléguée Dominique Faure nous a confirmé que les maires pouvaient être touchés en cas d'action en justice.
J'attire aussi votre attention sur l'enveloppe du fonds vert dédiée au remplacement des anciens éclairages par des LED : à ce titre, les communes peuvent recevoir une subvention représentant jusqu'à 40 % de cette dépense. Cela étant, il faut faire attention à la couleur des LED, qui doivent tirer vers l'ambré et non vers le bleu.