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Intervention de Angèle Préville

Réunion du jeudi 26 janvier 2023 à 9h35
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure :

. – Qualifiée par l'Organisation mondiale de la santé de « première épidémie non infectieuse de l'histoire de l'humanité », l'obésité constitue l'un des principaux fléaux sanitaires auxquels doit faire face notre société. La France compte 32 % d'adultes en surpoids et 17 % d'obèses, ce qui emporte de lourdes conséquences en termes de mortalité et de morbidité. Le surpoids et l'obésité ne constituent cependant qu'une partie des impacts associés à une mauvaise alimentation, lesquels incluent également de nombreuses maladies chroniques, au point que l'alimentation représente, en France, le premier facteur de risque de perte d'années de vie en bonne santé, devant le tabac et l'alcool. Aussi, la promotion d'un régime alimentaire sain permettant de prévenir l'ensemble de ces maladies apparaît comme un véritable impératif de santé publique.

Historiquement, les aliments sont appréciés et classifiés en fonction de leur composition en nutriments et cette approche sert de guide pour la construction des politiques publiques nutritionnelles. Récemment, le concept d'alimentation ultra-transformée a émergé comme un nouveau paradigme. L'objectif de cette note est de le présenter et d'évaluer sa pertinence et sa maturité pour construire de nouvelles politiques publiques.

Compte tenu des opinions divergentes qui existent sur ce sujet dans la communauté scientifique, j'ai proposé que soit organisée le 22 septembre dernier une audition publique devant l'Office. Nos débats ont été très riches et j'ai complété cette réunion par une dizaine d'auditions rapporteure. En revanche, malgré mon souhait, je ne suis pas parvenue à visiter une usine de transformation agroalimentaire, ayant essuyé plusieurs refus de la part d'industriels.

Le concept d'alimentation ultra-transformée est né il y a une dizaine d'années après le constat qu'une approche seulement nutritionnelle était insuffisante. Des chercheurs ont ainsi proposé de la compléter par la prise en compte des transformations subies par les aliments et ont développé de nouvelles méthodes de classification. Parmi celles-ci, la classification Nova s'est imposée dans la communauté scientifique ; elle répartit les aliments en quatre groupes selon l'ampleur et l'objectif de la transformation subie : les aliments bruts ou peu transformés, les ingrédients culinaires, les aliments transformés, enfin – dans la catégorie Nova 4 –, les aliments ultra-transformés. Ces derniers ont subi des procédés de transformation importants, utilisant des additifs non nécessaires à la sécurité alimentaire ou des substances issues de l'industrie, que l'on appelle « briques alimentaires », tels que des huiles hydrogénées, des amidons modifiés, de la maltodextrine ou des protéines hydrolysées, dans le but d'imiter ou d'améliorer les qualités sensorielles des aliments. Une distinction est donc réalisée entre les transformations traditionnelles, susceptibles d'être utilisées dans un contexte domestique, et les procédés plus récents, issus des progrès des sciences et technologies alimentaires que sont, par exemple, l'extrusion et l'hydrogénation. Par conséquent, la notion d'alimentation ultra-transformée n'est pas équivalente à celle d'alimentation industrielle ; elle concerne une classe spécifique de nouveaux aliments, conçus pour être des mélanges à la fois pratiques et particulièrement attrayants sur le plan gustatif. En raison de ces caractéristiques, et parce qu'ils sont largement disponibles, relativement bon marché et accompagnés d'un marketing important, ces aliments tendent à se substituer aux aliments moins transformés, au point de représenter aujourd'hui entre 30 et 35 % des calories ingérées par les adultes français.

Au travers d'études épidémiologiques, plusieurs équipes de chercheurs se sont intéressées aux conséquences de cette consommation. Il a ainsi été montré que la consommation d'aliments ultra-transformés pouvait être significativement associée aux risques de surpoids et d'obésité, de diabète de type 2, de maladies cardiovasculaires, d'hypertension, de dépression et de mortalité toutes causes confondues. Des études isolées suggèrent également d'autres associations, qui sont détaillées dans la note. Pour autant, ces associations ne sont pas nécessairement causales. Malgré des ajustements statistiques minutieux, il n'est pas possible d'exclure complètement l'impact de facteurs non mesurés ou non mesurables. Toutefois, l'accumulation d'études épidémiologiques convergeant vers des résultats identiques, ainsi que la plausibilité des mécanismes biologiques impliqués, sont des arguments forts en faveur d'une causalité.

Plusieurs explications sont avancées pour rendre compte de ces associations. Une première s'appuie sur la composition des aliments ultra-transformés, qui sont en moyenne de moins bonne qualité nutritionnelle que les autres aliments, étant à la fois plus riches en énergie, en graisses saturées, en sucre et en sel, tout en étant plus pauvres en protéines, en fibres, en vitamines et en minéraux ; une autre évoque l'impact direct des opérations de transformation, lesquelles, en modifiant la structure physique de la matrice alimentaire, auraient un impact sur le degré de mastication de ces aliments et, donc, sur la vitesse d'ingestion des aliments et sur le sentiment de satiété. Fortement caloriques et peu rassasiants, pratiques à consommer et attrayants, les aliments ultra-transformés favoriseraient les apports énergétiques excessifs. De plus, l'important marketing dont ils font l'objet, leur omniprésence dans les magasins alimentaires et leur prix relativement bas sont autant d'éléments qui promeuvent leur achat et participent à leur surconsommation.

Cependant, ces deux hypothèses ne permettent pas d'expliquer, à elles seules, les effets de ces aliments sur la santé ; d'autres mécanismes semblent donc être impliqués, justifiant la pertinence et l'utilité de ce nouveau type de classification. Outre les impacts physiques sur la texture des aliments, les modifications de la matrice alimentaire qui résultent des opérations de transformation sont susceptibles d'affecter la digestibilité et la biodisponibilité des nutriments ingérés ainsi que les éventuelles synergies qui peuvent exister entre différents composés.

Par ailleurs, les aliments ultra-transformés contiennent des additifs variés, dont l'impact sur la santé est susceptible d'être délétère sur le long terme. Des études suggèrent que certains d'entre eux pourraient ainsi perturber le microbiote intestinal ou le système endocrinien, avoir des effets cancérogènes ou inflammatoires. En outre, d'autres composés potentiellement dangereux sont susceptibles d'être retrouvés dans les aliments ultra-transformés et de participer à leur nocivité. Au cours des opérations de transformation, certaines molécules peuvent ainsi être dégradées et conduire à la formation de nouveaux composés ; des substances issues des emballages alimentaires sont également susceptibles de contaminer ces aliments ; enfin, des résidus d'auxiliaires technologiques, utilisés pour faciliter ou optimiser des étapes de transformation, peuvent se retrouver dans les produits finis. L'ensemble de ces molécules variées présente alors un risque d'effet de cocktail.

Outre ces conséquences sanitaires, les aliments ultra-transformés sont également suspectés d'exercer un effet délétère sur l'environnement. La production de leurs matières premières s'appuierait sur une utilisation extensive d'engrais et de produits phytopharmaceutiques et conduirait à un appauvrissement de la diversité des matières premières agricoles, tant animales que végétales. De plus, en standardisant l'offre alimentaire à l'échelle de la planète, l'alimentation ultra-transformée tend à menacer certaines traditions culinaires, partie intégrante de notre patrimoine culturel.

Malgré ces résultats, la pertinence du concept d'alimentation ultra-transformée n'est pas pleinement reconnue par la communauté scientifique. La principale critique qui lui est opposée concerne la définition des aliments ultra-transformés proposée par la classification Nova. Sous une apparente simplicité, celle-ci se révélerait en réalité complexe et manquerait de robustesse, des études ayant montré la difficulté de classer certains aliments sans équivoque. En outre, cette classification se révélerait trop large, en regroupant l'ensemble des aliments ultra-transformés en une seule catégorie, sans analyse spécifique des transformations et des additifs utilisés, tous considérés comme nocifs a priori. Aussi, aux yeux de certains chercheurs, les incertitudes induites par ces défauts de définition fragiliseraient la fiabilité des études épidémiologiques portant sur cette alimentation. Ils en concluent que le concept n'est pas suffisamment mature et que son utilisation comme outil de politiques publiques est prématurée.

Nonobstant ces résultats, les recommandations alimentaires de plusieurs pays, de sociétés savantes et de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) encouragent le choix d'aliments peu transformés. En France, le quatrième programme national nutrition santé (PNNS) affichait également comme objectif de « réduire la consommation des produits ultra‑transformés de 20 % entre 2018 et 2021 ».

J'en viens à mes recommandations.

Il paraît primordial d'intensifier les recherches publiques consacrées à l'alimentation ultra-transformée afin de combler les lacunes existantes dans l'état des connaissances, notamment concernant les additifs et les effets de cocktail qui découlent de leur utilisation. Les nombreuses pistes identifiées quant aux impacts de ces aliments et aux mécanismes sous-jacents doivent être consolidées. Sur la base des résultats qui seront obtenus, une définition consensuelle et scientifique des aliments ultra-transformés, suffisamment robuste pour être utilisée comme outil de politiques publiques, devra être élaborée.

Cependant, la nécessité d'études complémentaires ne doit pas se traduire par un statu quo. Au vu des résultats actuels de la recherche, il paraît nécessaire de mettre en œuvre des actions permettant de parvenir à l'objectif de réduction de consommation fixé par le PNNS.

À cet effet, des programmes de promotion de la santé et de marketing social doivent sensibiliser la population aux risques susceptibles d'être présentés par ces aliments et encourager les consommateurs à choisir préférentiellement, lorsque cela est possible, des produits peu transformés. Ces campagnes doivent être accompagnées de politiques publiques qui ciblent les facteurs systémiques et environnementaux, susceptibles d'avoir un impact plus important.

En s'appuyant sur l'usage du Nutri-Score, des actions ambitieuses visant les produits trop gras, trop salés, trop sucrés doivent être mises en place.

Des politiques publiques ciblant spécifiquement les enfants doivent également être conduites, ceux-ci consommant une part importante d'aliments ultra-transformés, ce qui détermine leurs préférences alimentaires. L'éducation nationale doit jouer un rôle de formation, en réintroduisant notamment ce qui existait auparavant : des cours de cuisine dans le cadre de travaux manuels, avec une dimension nutritionnelle, qui permettraient de valoriser la culture culinaire française en faisant vivre notre patrimoine gastronomique, inscrit au patrimoine culturel immatériel de l'humanité.

Une réglementation du marketing alimentaire ambitieuse doit être portée. La loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique, dite « loi Gattolin », doit être généralisée à l'ensemble des programmes, les enfants subissant la publicité à toute heure.

Enfin, avec l'élaboration d'une définition reconnue des aliments ultra-transformés, on pourrait envisager de mettre en place des réglementations fiscales, en ajoutant une taxe spécifique sur ces aliments, permettant, en parallèle, de rendre plus abordables les aliments plus sains. De telles réformes devront toutefois être menées avec la plus grande précaution pour éviter toute précarisation de la population.

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