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Intervention de Jason Saniez

Réunion du mercredi 25 janvier 2023 à 13h55
Groupe de travail sur le développement durable de l'assemblée nationale

Jason Saniez, chef de projet « administration publique », The Shift Project :

Je vous remercie pour cette invitation et je commencerai par vous présenter le contexte du rapport qui a été produit. Celui-ci intervient effectivement dans le cadre du plan de transformation de l'économie française (PTEF), initié au début de la crise du Covid-19, et qui vise à définir des leviers et une trajectoire pour aligner l'économie française sur l'ambition des objectifs de Paris ainsi que sur la stratégie nationale bas carbone (SNBC). Ce rapport se décompose en quinze grands secteurs, dont l'un porte sur l'administration publique. Celle-ci, composée de l'État, de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique territoriale, représente effectivement une part des actifs physiques et des émissions de gaz à effet de serre du territoire : il est donc nécessaire qu'elle produise sa part d'effort sur le sujet.

En outre, un aspect symbolique caractérise les travaux menés sur l'administration publique, car si elle est en mesure d'appliquer ce qui est demandé aux citoyens, elle acquiert une légitimité et une crédibilité certaines. Face aux enjeux de changement climatique et de dépendance aux énergies fossiles, l'État et les administrations vont réfléchir aux moyens d'être résilients vis-à-vis des différents chocs afin de garantir la continuité du service public. Enfin, l'investissement dans ces enjeux produit un effet d'entraînement à la fois sur le sujet de la commande publique, sur les agents et sur les usagers qui se présentent dans les établissements. En effet, l'inscription de l'administration publique dans une trajectoire de décarbonation ambitieuse crée un effet moteur sur les autres pans de la société.

Nous avons réalisé un diagnostic de l'état des administrations publiques vis-à-vis de ce sujet. Nous avons constaté que cette transition était bel et bien engagée, notamment avec des agents et des élus qui portaient un discours sur la volonté de transformation des organisations. Cependant, cette transition est insuffisante et elle doit être davantage alignée avec les accords de Paris ou la SNBC.

Le premier pilier pour parvenir à une bonne stratégie correspond à la réalisation du bilan de gaz à effet de serre (bilan GES), car celui-ci représente un élément indispensable à l'identification des bons leviers et à la définition d'une trajectoire. Au moment de la sortie du rapport, nous avions constaté qu'environ 20 % des établissements publics avaient réalisé et publié leur bilan GES. En outre, le taux de conformité de ces bilans vis-à-vis des scopes 1, 2 et 3 était de l'ordre d'un sur dix. Cependant, la qualité de l'information disponible au départ est importante pour la définition d'un plan. Si nous ne savons pas quels sont les impacts des établissements publics, il est en effet impossible d'identifier les points sur lesquels concentrer l'action.

En outre, nous manquons d'ambition par rapport à la trajectoire. Les objectifs présentés s'appuient sur des indicateurs qui ne sont pas forcément directement en lien avec l'objectif de 1,5 degré ou de neutralité carbone à horizon 2050. Par exemple, certains objectifs de niveau de décarbonation de la flotte de véhicule peuvent être poursuivis sans ambition de présenter des objectifs de réduction des émissions liées aux déplacements engendrées par ces véhicules. À l'époque de la sortie du rapport, nous ne parlions pas encore de sobriété et celle-ci n'était donc pas encore identifiée comme un levier de décarbonation. La situation a évidemment évolué, même si le plan de sobriété s'inscrit dans un contexte de tension sur l'approvisionnement des énergies. Il reste cependant à examiner les usages relatifs au logement, au déplacement et à la consommation.

Les leviers d'action sont connus pour les administrations comme pour les entreprises. Ils portent, pour une administration publique, sur les bâtiments, les déplacements, la restauration collective et les achats, qui regroupent la partie numérique, les fournitures et les prestations de service. Le volet numérique pourrait d'ailleurs être isolé et constituer un levier d'action à part entière.

Au sujet des bâtiments, nous pouvons par exemple réduire les consommations énergétiques, utiliser des modes de chauffage moins carbonés et avoir recours à des systèmes de pilotage de la consommation. En outre, le périmètre des bâtiments intègre également les questions liées à la construction et à la rénovation. Par exemple, nous pouvons nous interroger sur l'intérêt de construire de nouveaux bâtiments ou d'optimiser des surfaces existantes. Plus précisément, il est possible de déterminer la surface par agent actuelle et de réfléchir à la manière de l'optimiser afin de consacrer certains bâtiments existants à d'autres usages.

Par ailleurs, j'aimerais insister sur le cadre qui permet la réussite de la mise en œuvre d'un plan d'action et d'une stratégie de décarbonation. L'intérêt de réaliser un diagnostic réside dans la connaissance de la situation de départ, notamment via la définition d'ordres de grandeur. En effet, il est difficile de présenter les résultats d'une mesure appliquée, à la flotte de véhicule par exemple, si l'impact initial de celle-ci n'est pas connu. Lorsque nous réalisons le bilan GES, nous réutilisons des données d'activités et des données monétaires. Il est nécessaire de s'appuyer sur cette base de données initiale pour réaliser une trajectoire de décarbonation et la mettre en œuvre. Par exemple, nous pouvons prendre en compte les kilomètres parcourus et la quantité de carburant consommé pour les déplacements afin de réfléchir à la manière d'agir sur un de ces deux postes. Toutes ces données permettent d'objectiver les débats sur les mesures à mettre en place et de partager ces ordres de grandeur au plus grand nombre. De plus, ce point est essentiel dans l'acceptation des mesures qui seront prises, celles-ci pouvant d'ailleurs être spécifiques au contexte de l'administration. Cet exercice de transparence permet également de montrer aux collaborateurs ainsi qu'aux citoyens quel est l'objectif recherché et de communiquer sur la capacité d'atteinte de celui-ci.

Par ailleurs, il est nécessaire d'évaluer régulièrement l'atteinte des objectifs. Par exemple, nous proposons dans le rapport de réaliser un bilan GES tous les ans plutôt que tous les trois ans afin de s'assurer que les objectifs sont atteints ou non. D'ailleurs, si les objectifs sont atteints plus tôt que prévu, il sera possible de communiquer sur le sujet. Dans le cas contraire, la trajectoire pourra être réorientée plus rapidement.

Nous recommandons en outre de suivre l'approche méthodologique "éviter-substituer- améliorer", ou " avoid-shift-improve" en anglais, qui a notamment été reprise dans le dernier rapport du GIEC. La partie « éviter » concerne la réduction des usages consommateurs d'énergie ou des produits à fort contenu GES. Dans le secteur du transport et des déplacements, il est par exemple possible de réduire les kilomètres parcourus. La partie « substituer » induit de privilégier des modalités moins consommatrices d'énergie. Toujours dans le secteur des transports, il est par exemple possible de remplacer les véhicules thermiques par des véhicules électriques. Enfin, la partie « améliorer » porte davantage sur les processus résiduels qui sont encore carbonés et sur lesquels il est nécessaire de mettre en place l'efficacité énergétique. Par exemple, même si des véhicules thermiques sont encore utilisés, il est possible de réfléchir au covoiturage ou à la mutualisation des véhicules. Il est en outre important de respecter l'ordre de cette méthodologie lors de la réflexion sur les mesures à mettre en place. La partie « éviter » est cependant la plus importante, car dans chaque scénario, nous ne pourrons pas décarboner l'ensemble des usages énergétiques actuels à la même hauteur. Dès lors, nous devons réduire l'assiette de la consommation énergétique et actionner des leviers de sobriété.

La technologie et les gains d'efficacité énergétique qu'elle amènera ne suffiront jamais à eux seuls à réduire les consommations énergétiques finales à hauteur de l'apport des capacités de production d'énergie décarbonée. Concrètement, la technologie présente des limites et il sera nécessaire de basculer vers des modalités moins consommatrices.

Lorsque nous avons été auditionnés pour le plan de sobriété, nous avions identifié des critères de priorisation. Certains d'entre eux permettent concrètement de réduire les consommations énergétiques. D'autres revêtent plutôt un aspect symbolique et montrent que l'Assemblée nationale joue le jeu de la décarbonation. En outre, des mesures permettent la sensibilisation et la motivation des agents et des élus : elles doivent être mises en place rapidement afin d'embarquer tout le monde. Si ce n'est pas le cas, il est probable que nous n'arrivions pas à conserver la trajectoire de réduction dans la durée.

Par ailleurs, il est nécessaire d'appliquer une planification à un juste rythme, car il n'est pas forcément judicieux de s'engager dans l'ensemble des leviers d'un seul coup. En effet, il est demandé de respecter une trajectoire de réduction à hauteur de 5 % par an. Nous constatons que les administrations, et notamment les collectivités, disposent d'une liste importante de leviers à actionner, mais les réflexions portant sur la manière dont ils permettront d'atteindre les objectifs ne sont pas toujours suffisamment menées. Il est donc judicieux d'identifier les leviers qui permettront de respecter la trajectoire à court terme et sans trop de frais. Il faut ensuite réfléchir aux leviers qui seront mis en place dans le temps et qui permettront d'enregistrer des gains à une plus large échelle de temps. De cette manière, personne ne sera surpris par l'évolution et le cadencement de ces leviers. De surcroît, définir un calendrier ou une marche à suivre facilite l'acceptation des efforts qui doivent être consentis.

Enfin, le pilotage passe par l'évaluation. Concrètement, le choix des leviers à mettre en place doit prendre en compte la difficulté à piloter et à évaluer les gains engendrés par ces différents leviers. Nous recommandons en effet de communiquer sur les gains réalisés, ce pour quoi il est nécessaire d'évaluer les mesures mises en œuvre.

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