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Intervention de Johnny Hajjar

Réunion du mercredi 1er février 2023 à 9h35
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJohnny Hajjar, rapporteur :

J'ai l'honneur de vous présenter une proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur le coût de la vie dans les départements et régions d'outre-mer, les Drom. Ce texte est inscrit en deuxième position à l'ordre du jour de la « niche » parlementaire du groupe Socialistes et apparentés, le 9 février.

Je ne m'attarderai pas sur le volet juridique et réglementaire, la recevabilité de ce texte, qui répond aux trois critères détaillés dans le projet de rapport qui vous a été remis, étant acquise. Plus encore qu'opportune, la création de cette commission d'enquête est impérieuse et urgente. La lutte contre la vie chère constitue un enjeu et un défi majeurs pour les territoires ultramarins. C'est l'une des missions politiques essentielles que mes collègues et moi assumons pour et au nom de nos peuples respectifs, dans le respect de la République.

La population hexagonale souffre depuis de longs mois d'une inflation élevée, qui avoisine les 6 %. Dans les outre-mer, l'inflation lui est supérieure de 40 %, de manière historique et structurelle. Lorsqu'on y ajoute l'inflation conjoncturelle, nos territoires font face aujourd'hui à une inflation comprise entre 43 et 47 %. Imaginez le niveau de difficultés et de souffrances dans lesquelles se trouvent nos peuples, captifs et légitimement exaspérés. Pire, cette situation menace de donner le coup de grâce aux plus fragiles, aux plus vulnérables et aux plus démunis, qui font face aux épreuves quotidiennes de la vie, et depuis de trop longues décennies à un mal ancien et bien connu : la vie chère.

La vie chère est un phénomène ancien, aux racines historiques et structurelles. Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023 devant notre commission, en octobre dernier, j'avais déjà choisi de consacrer la partie thématique de mon avis budgétaire sur la mission Outre-mer à cette question brûlante. Chers collègues, vous ne pouvez pas avoir oublié les émeutes contre la vie chère qui ont secoué nos territoires de manière récurrente entre 2009 et 2020. Face à la spirale inflationniste qui frappe encore des territoires déjà structurellement appauvris par la vie chère et le mal-développement, les outre-mer pourraient de nouveau se transformer en poudrière sociale.

La vie chère dans les outre-mer résulte de la conjonction de quatre phénomènes. C'est d'abord une question de revenus et de niveau de vie. D'après une étude du conseil économique, social et environnemental régional (Ceser) de La Réunion, la vie chère s'expliquerait à 80 % par un problème de revenus et à 20 % par un problème de prix. Les revenus et les niveaux de vie dans les outre-mer sont structurellement inférieurs à ceux de l'Hexagone, en raison notamment d'un taux de pauvreté, de précarité et de chômage beaucoup plus élevé et d'un accroissement des inégalités. En 2018, le niveau de vie annuel médian s'établissait entre 3 000 et 17 000 euros dans les Drom, alors qu'il s'élevait à près de 24 000 euros en Île-de-France.

Il reviendra à la commission d'enquête d'établir un diagnostic actualisé du niveau de vie et de revenus en identifiant les causes de cette situation dans les territoires ultramarins, et de proposer des préconisations pour y remédier. Plusieurs réformes fiscales récentes ayant directement réduit le pouvoir d'achat des ultramarins, la commission d'enquête devra également, à travers une analyse fine, éclairer les raisons et l'impact sur les revenus des populations des Drom de la baisse du plafond de l'abattement fiscal de l'impôt sur le revenu des ménages, laquelle a provoqué une diminution importante, directe, immédiate et continue du pouvoir d'achat des ménages imposables. La commission d'enquête devra proposer des solutions concrètes pour améliorer le pouvoir d'achat des ménages concernés par cette hausse des impôts.

La vie chère est en second lieu liée au niveau des prix. La dernière enquête exhaustive de l'Insee sur les prix dans les outre-mer constatait en 2015 des écarts criants, de 28 % à 38 %, sur les produits alimentaires. Dans le secteur des nouvelles technologies, le prix de l'abonnement internet était en 2019 de 35 % plus élevé dans les Drom que dans l'Hexagone. Les prix sont largement supérieurs dans tous nos territoires et dans tous les domaines, en particulier pour les dépenses contraintes et obligatoires des ménages.

Plusieurs facteurs expliquent ces écarts de prix, dont l'insularité et l'éloignement géographique avec l'Hexagone, qui entraînent des coûts d'approche importants des biens importés, mais aussi l'exiguïté des territoires. La commission d'enquête devra porter son attention sur les processus de formation des prix, d'accumulation des marges, de concentration verticale, en mettant en lumière plus particulièrement la consolidation des phénomènes oligopolistiques et monopolistiques, et par conséquent le faible niveau de concurrence des économies des Drom. Dans le cadre de mon avis budgétaire, je vous avais également alertés sur la position dominante, dans la desserte des outre-mer par le fret maritime, de l'armateur CMA CGM (Compagnie maritime d'affrètement - Compagnie générale maritime), qui va se renforcer avec la disparition de son concurrent, Maersk. J'estime nécessaire d'auditionner la direction de la compagnie lors des futurs travaux de la commission d'enquête, et de mobiliser l'étendue des moyens offerts à un tel organe afin de faire toute la lumière sur la manière dont cette société décompose précisément le calcul de ses tarifs de fret maritime à destination des Drom.

On peut également citer parmi les facteurs responsables indirects de la vie chère le sous-financement structurel des collectivités territoriales ultramarines, un problème souligné dans le rapport Patient-Cazeneuve de 2019. À ce sous-financement structurel s'ajoute un sous-financement conjoncturel : l'obligation pour les collectivités locales des quatre DOM historiques, déjà exsangues, de contribuer au redressement de la dette publique. La chute de leurs recettes, à la suite de la diminution des dotations de l'État, a encore accru leurs difficultés à faire face à l'augmentation des dépenses.

Malgré la reconnaissance de ces inégalités et de ces iniquités par le Président de la République et la Cour des comptes, la péréquation mise en place par l'État n'a que très partiellement et insuffisamment réduit ce manque important de moyens financiers. En effet, alors que l'État a compensé intégralement la perte des ressources au titre de la contribution au redressement des finances publiques de plus de 10 000 communes de l'Hexagone, il n'a pas opéré le même choix pour les Drom. De manière cumulée, l'État a ainsi réduit de 869 millions d'euros le budget des communes de ces DOM, ce qui engendre un déficit net de près de 400 millions d'euros en 2022, après la hausse de la péréquation.

La dégradation des comptes de la grande majorité des collectivités territoriales ultramarines handicape d'autant plus ces territoires qu'ils ne bénéficient pas du niveau d'investissement public nécessaire pour rattraper les retards accumulés et pour répondre au mal-développement chronique dont ils souffrent. La commission d'enquête devra analyser le cercle vicieux qui affaiblit considérablement l'institution publique de proximité, incapable de jouer son rôle de régulateur, de soupape et d'initiative, ce qui provoque la dégradation des conditions de vie, accroît la pauvreté et le chômage, incitant in fine les jeunes à l'exil ou les reléguant vers des trafics en pleine expansion. La commission d'enquête devra également proposer des solutions adaptées pour mettre fin à cet engrenage, qui ne peut conduire qu'au chaos social.

Enfin, la fiscalité locale dans son ensemble – TVA, octroi de mer –, qui contribue au renchérissement du coût de la vie, est à prendre en considération dans le processus de formation des prix. Dans ce cadre, la commission d'enquête devra évaluer le rôle exact de chaque élément de la fiscalité ainsi que son poids global dans l'augmentation des prix en outre-mer, du fait notamment de l'addition de l'octroi de mer et de la TVA, dont il faudra déterminer si elle est légale, justifiée et raisonnable. La commission étudiera également les solutions qui permettraient de résoudre l'équation associant baisse du coût de la vie et préservation des moyens d'action des collectivités.

Le quatrième phénomène agissant indirectement sur la vie chère est le traitement inéquitable et injuste de l'État à l'égard des territoires ultramarins. En effet, un ensemble de dispositifs qui soutiennent l'économie et le pouvoir d'achat des ménages et des entreprises ultramarins a déjà été restreint, et pourrait disparaître afin de réduire le déficit de l'État. Leur disparition dégraderait la situation des ménages et des entreprises au détriment de la production, de l'investissement, et in fine de la création d'emploi. Je prendrai deux exemples : la suppression en 2018 de la TVA non perçue récupérable des entreprises, qui représentait 100 millions d'euros ; et la diminution de 40 millions de l'allègement des cotisations sociales des travailleurs indépendants à partir de 2018.

L'iniquité de traitement se traduit particulièrement à travers le montant de la dotation de continuité territoriale affectée aux territoires d'outre-mer. La commission d'enquête devra faire la lumière sur l'ensemble de ces inégalités, évaluer leur impact et proposer des mesures de sauvegarde, de rétablissement de l'équité, ainsi que les solutions globales qui s'imposent. Dans mon avis budgétaire, je faisais le constat que les instruments prévus pour lutter contre la vie chère – qui ont le mérite d'exister – produisent des effets insuffisants : le bouclier qualité prix mérite d'être amélioré ; les observatoires des prix, des marges et des revenus manquent cruellement de moyens pour fonctionner.

De plus, lors des auditions budgétaires, je m'étais heurté au manque de données et de statistiques actualisées sur l'évolution des prix, des marges et des revenus dans les Drom. En l'état, cette insuffisance d'éléments empêche de conduire toute étude ou enquête approfondie sur les mécanismes concourant au coût de la vie dans les outre-mer. Il est donc nécessaire d'actualiser les données et connaissances relatives à cette question, dont la majorité date au mieux de 2019, soit avant la crise sanitaire liée au covid, qui a, de fait, aggravé la situation des populations et des territoires dans l'ensemble des Drom. La création de cette commission d'enquête permettrait de pallier le nombre limité d'enquêtes et d'analyses existant sur le sujet, et de déterminer précisément le rôle et la responsabilité de chaque acteur dans la chaîne des prix, des marges et des revenus dans les Drom.

Le 17 mai 2022, les présidents des régions des Drom et de Saint-Martin signaient l'appel de Fort-de-France. Ils insistaient à cette occasion sur la nécessité de refonder la relation entre les territoires ultramarins et la République, afin de résoudre concrètement les problèmes structurels de ces territoires, par la construction et la prise en main de manière endogène d'outils, de moyens, de compétences et de pouvoirs locaux réels. La question du coût de la vie dans les Drom se situe au cœur de ces préoccupations quotidiennes. La création de la commission d'enquête chargée d'évaluer cette question et de proposer des solutions s'inscrirait ainsi dans la lignée de l'appel de Fort-de-France ainsi que des initiatives en faveur d'une adaptation de la construction des politiques publiques à venir.

Je suis convaincu de la nécessité pour la représentation nationale de mieux comprendre les mécanismes complexes concourant au coût de la vie dans les Drom et de proposer des solutions réalistes découlant de ce diagnostic et s'inscrivant en cohérence, en convergence et en consolidation avec les résolutions inscrites dans les projets de territoire. À cette fin, il est nécessaire qu'une commission d'enquête parlementaire puisse consacrer à ce sujet brûlant six mois de travaux effectifs, en donnant à ses rapporteurs des pouvoirs d'investigation exorbitants du droit commun des missions d'information.

J'espère vous avoir convaincus, au nom des populations ultramarines, de l'opportunité de créer une commission d'enquête parlementaire sur le coût de la vie dans les Drom. J'ajoute qu'après avoir échangé avec leurs représentants, j'envisage d'étendre le périmètre de cette commission d'enquête aux collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution.

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