Je suis heureux d'être auditionné pour la première fois par votre délégation en tant que ministre délégué à la ville et au logement.
Mon portefeuille doit s'articuler avec les collectivités, à chaque échelon, en particulier celui des collectivités locales et des maires. Les élus sont des partenaires essentiels dans les domaines du logement et de la ville. Élu municipal depuis plus de vingt-cinq ans, je suis très attaché aux collectivités. Celles-ci ont toute leur part à prendre dans les politiques du logement et la politique de la ville, que j'entends tourner vers les territoires.
La politique du logement doit reposer sur un dialogue entre l'État et les maires, pour répondre à une situation qui n'est pas bonne : les prix de vente et les loyers sont toujours plus élevés, le pays compte 2 millions de demandeurs de logement social, la remontée des taux d'intérêt fragilise la demande, l'accès au crédit est un enjeu important et l'on déplore un déficit de l'offre ainsi que de la production de logements en zones tendues, tandis que les freins à la construction restent trop importants.
Ma mission est de faire en sorte que le logement ne soit pas la « bombe sociale » de demain. À cette fin, nous devons travailler étroitement avec les élus locaux.
S'agissant du logement social, il est essentiel de maintenir un dialogue permanent avec les maires et les autres élus. Je connais bien les réalités auxquelles ils sont confrontés. Je souhaite ouvrir un échange autour de la question des attributions de logements sociaux. La gestion en flux simplifiera les demandes, mais ne rendra pas nécessairement ce mécanisme plus compréhensible par les différents échelons. Il importe que l'attribution ne déconnecte pas les élus de leurs habitants. Je souhaite donc travailler avec vous pour qu'un maire puisse accomplir son mandat en attribuant des logements sociaux suivant la vision qu'il a de sa ville et pour laquelle il a été élu, dans le respect des principes fixés par les financeurs.
Vous connaissez mon attachement à la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), qui a fait l'objet de débats lors de l'examen du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS). Le bon équilibre a été trouvé. La loi et ses exigences ont été pérennisées, tout comme un dialogue local intelligent. C'est le sens des contrats de mixité sociale, que je souhaite signer avec toutes les communes volontaires. C'est aussi celui du bilan triennal de la loi SRU.
Il importe également de réconcilier la France avec l'acte de construire. Les maires ont une responsabilité centrale en la matière. Nous devons regarder collectivement la réalité en face. En l'occurrence, il est de plus en plus difficile d'obtenir des permis de construire, notamment dans les grandes villes et en zones tendues, avec des exécutifs municipaux parfois frileux face à l'acte de construire et des oppositions locales de plus en plus fortes. Regarder la réalité en face, c'est aussi constater qu'il n'y a pas suffisamment de logements sociaux produits en zones tendues, où se trouvent pourtant les besoins les plus élevés. C'est avec l'engagement des élus que nous parviendrons à réconcilier la France avec l'acte de construire.
Nous devons collectivement réfléchir aux outils permettant de répondre à la fragilisation de la demande du fait de la hausse des taux, et accompagner financièrement les élus volontaristes, que l'on appelle les maires bâtisseurs, pour qu'ils puissent accueillir de nouveaux habitants dans de bonnes conditions. Pour y parvenir, je lancerai le chantier d'une décentralisation efficace, comme l'a souhaité le Président de la République. Les discussions que je tiendrai avec les parlementaires et les associations d'élus, ainsi que les échanges dans le cadre du Conseil national de la refondation du logement, seront l'occasion d'avancer collectivement. Je veux trouver avec vous le chemin pour redonner aux élus l'envie de construire, et de construire des logements pour tous.
Il faut certes construire plus, mais aussi construire mieux. À cet égard, une dynamique a été engagée. Les promoteurs, les architectes et les entreprises du bâtiment et de travaux publics transforment leur activité en profondeur pour répondre à cette ambition environnementale ainsi qu'aux exigences de la réglementation environnementale 2020 (RE2020). Ce cadre réglementaire ambitieux fixe plusieurs objectifs pour la construction neuve : sobriété énergétique, sortie des énergies fossiles et diminution de l'impact carbone.
L'accélération de la construction de la ville durable, que le Gouvernement promeut, se concrétise aussi à travers le fonds vert annoncé par la Première ministre. Ce fonds de 2 milliards d'euros, destiné aux collectivités locales, est un engagement fort pour accélérer la transition écologique des villes et des territoires. L'été 2022 a encore démontré que l'exceptionnel deviendra la norme et qu'il faut agir. Ce fonds accompagnera les collectivités dans leurs projets visant à adapter la ville au changement climatique, à régénérer les friches urbaines – le fonds friches, qui a connu un grand succès dans le cadre du plan de relance, sera pérennisé – et à rénover les équipements publics. C'est du concret ! Ce fonds est destiné aux élus locaux, qui sont les mieux placés pour engager des projets de transition écologique adaptés à leur territoire.
Le chantier de la rénovation massive, en liaison avec les collectivités, importe autant que celui de la construction. Les défis climatiques nous imposent d'aller plus vite et plus fort dans l'amélioration du parc de logements.
Nous actionnons plusieurs leviers, à commencer par celui de la rénovation énergétique. C'est l'une des priorités du Gouvernement, et les résultats sont là. MaPrimeRénov' illustre la réussite de la massification des travaux de rénovation, avec 1,5 million de projets soutenus depuis 2020, au-delà de l'objectif de 700 000 par an, et plus de 160 000 rénovations globales – le chiffre de 2 500 rénovations globales avancé dans le rapport de la Cour des comptes concerne les seules opérations ayant obtenu un bonus. Quoi qu'il en soit, il faut accélérer. Alors qu'il est souvent reproché aux bâtiments de représenter 20 % des émissions de gaz à effet de serre, nous devons faire du logement l'avant-garde éclairée de la transition écologique.
L'accélération passe d'abord par un meilleur accompagnement des ménages, avec le service public France Rénov' et la structuration progressive d'un réseau d'accompagnateurs agréés sur tout le territoire. Elle passe ensuite par la poursuite du soutien aux copropriétés de tout type. L'aide MaPrimeRénov' copropriétés sera ainsi prolongée, pour lever les freins. Les premières rénovations ont majoritairement concerné l'habitat individuel ; l'habitat collectif est désormais une priorité pour poursuivre la massification et répondre aux objectifs de la loi « climat et résilience ». Les collectivités auront un rôle clé à jouer dans cette accélération. Je sais qu'elles demandent d'avoir au plus vite de la visibilité. C'est tout à fait légitime. Les prochaines semaines doivent nous permettre de définir ensemble les principes pérennes du cadre dans lequel France Rénov' a vocation à être financé après 2023, pour donner de la stabilité et de la visibilité à tous les acteurs qui le composent.
S'agissant des aides aux travaux, la délégation des aides à la pierre et l'animation locale qu'elle permet, au plus près des bénéficiaires, seront des leviers utiles pour la massification des rénovations performantes, en particulier dans l'habitat collectif – seul moyen de respecter les échéances prévues par la loi « climat et résilience ». Un autre levier est le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU). Il est pleinement déployé : 450 projets ont été validés, des chantiers sont engagés dans près de 400 quartiers et les 12 milliards d'euros prévus seront bientôt intégralement alloués – 9 milliards l'ont déjà été ; cela ne signifie pas qu'ils ont été dépensés. Par ailleurs, on estime que les crédits alloués par l'ANRU suscitent une multiplication par quatre de l'investissement, grâce à l'effort conjoint des collectivités locales et des bailleurs. Les 12 milliards permettront ainsi un investissement total de 48 à 50 milliards dans les quartiers populaires.
Afin que le NPNRU accompagne mieux la transition environnementale, l'ANRU doit s'adapter. C'est le sens de la démarche Quartiers résilients, qui vise à réexaminer les projets et à subventionner les plus innovants dans une cinquantaine de sites, à hauteur de 100 millions d'euros, avec le soutien de la Caisse des dépôts. À cet égard, je salue l'action de l'ANRU et des maires des quartiers populaires qui s'engagent dans ces opérations de reconstruction et de renouvellement urbain.
Lier la politique de la ville et celle du logement, ainsi que l'ont décidé le Président de la République et la Première ministre, permet d'obtenir des résultats importants dans les quartiers, pour que leurs habitants se sentent pleinement citoyens. Cette démarche, qui se construit avec les élus locaux, s'articulera autour de deux thématiques.
Premièrement, l'ambition Quartiers 2030, annoncée par le Président de la République, permettra aux quartiers populaires d'avoir de la visibilité à un horizon acceptable. Elle se déclinera en quatre axes forts, une méthode, des valeurs et des outils.
La méthode sera centrée sur la contribution des habitants et la reconnaissance des quartiers populaires. L'enjeu est de prendre en compte la parole de tous les habitants de ces quartiers. Je lancerai donc, à l'instar du Conseil national de la refondation (CNR), des échanges locaux dans chaque quartier pour coconstruire les priorités des futurs contrats de ville. Des temps de restitution permettront de témoigner de la richesse de ces contributions avec respect et fidélité.
Les quatre axes seront les suivants : des quartiers du plein emploi, à travers l'insertion et la formation, l'entrepreneuriat et le développement économique ; des quartiers adaptés aux transitions, pour faire face aux enjeux climatiques, démographiques et écologiques ; l'émancipation, à travers la réussite éducative, l'éducation, la culture et le sport, et avec une priorité donnée à la lutte contre toutes les discriminations ; la tranquillité et la sécurité.
Cette ambition vise à reconnaître et objectiver les attentes des habitants autant que les richesses des quartiers populaires, avec pour fil conducteur la reconnaissance due à ceux qui y vivent.
Les nouveaux contrats de ville seront les supports de la démarche. Il faudra aussi repenser la politique de la ville et construire une nouvelle génération de contrats pour 2024-2030. Une large consultation avec les habitants, les acteurs associatifs et les élus avait commencé en 2022. Des évaluations locales avaient été effectuées et plusieurs missions lancées par Nadia Hai. Une mission conjointe de contrôle a également été engagée au Sénat. Ces évaluations nous aideront à construire les futurs contrats de ville, lesquels devront donner plus de latitude au niveau local pour s'adapter à chaque situation, en s'emparant d'un ou plusieurs des quatre axes que je viens de citer. Un contrat de ville ne sera pas nécessairement jugé bon parce qu'il se sera emparé des quatre piliers d'ambition Quartiers 2030 : chaque territoire devra définir son ou ses propres axes prioritaires. Pour utiliser l'image de la boussole, il sera possible d'aller non seulement au nord ou au sud, mais aussi au nord-est ou au sud-est.
Nous avons demandé à l'Insee de travailler aux zonages de la politique de la ville, tels qu'ils ont été définis par loi Lamy de 2014, reposant sur la méthode du carroyage et le critère de pauvreté, mais je souhaite aussi donner plus de souplesse aux territoires pour éviter les effets de bord ou s'il apparaît que le carroyage Insee n'est pas adapté à tel ou tel quartier. Nous effectuerons un travail itératif avec les préfets et les élus locaux, afin qu'aucun territoire ne soit oublié et qu'aucun quartier ne « perde le nord ».
Il convient aussi d'aider les associations à consacrer plus de temps à leur travail associatif. Préparer des demandes de subvention et répondre aux évaluations demande du temps. L'analyse des demandes de subvention est également chronophage pour les préfectures et les services municipaux. Nous essaierons de multiplier les conventions pluriannuelles d'objectifs, pour libérer du temps et soutenir les petits projets en facilitant un financement rapide. Nous disposons de divers outils pour simplifier les procédures.
Des périodes de trois ans seront instituées pour adapter plus rapidement les priorités de la politique de la ville en fonction des choix politiques des exécutifs locaux. Les nouveaux contrats de ville seront alignés sur les mandats municipaux, entre 2024 et 2027, puis reconduits jusqu'en 2030. Nous souhaitons bâtir un nouveau cadre. Le cas échéant, ces contrats devront comporter un volet relatif aux investissements, même pour les quartiers en politique de la ville qui ne sont pas dans un programme de renouvellement urbain.
Un travail sera mené en partenariat avec les financeurs – l'État, à travers la dotation politique de la ville et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), et les partenaires historiques de la politique de la ville que sont les caisses d'allocations familiales (CAF), les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) et la Caisse des dépôts.
Deuxièmement, s'agissant du logement, en particulier des copropriétés dégradées et de l'habitat insalubre, les temporalités restent trop longues en dépit des nombreux outils de résorption des difficultés identifiées et de la mobilisation de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), de l'ANRU et des collectivités locales. La plus grande attention reste de mise. Ces questions sont souvent soulevées dans le CNR « Logement » et par les élus qui participent au plan Initiative copropriétés, lancé par Julien Denormandie et qu'il faut continuer à faire vivre. Que l'on soit en opération programmée d'amélioration de l'habitat (OPAH), en plan de sauvegarde ou en opération de requalification des copropriétés dégradées d'intérêt national (Orcod-in), les programmes sont trop longs, difficilement à appréhender pour les habitants, et habiter dans ces copropriétés comporte des risques.
Les territoires, leurs élus, leurs associations et leurs citoyens regorgent d'imagination. Nous devons les écouter et avancer avec eux.
J'en viens aux questions que vous m'avez posées, monsieur le président. La décentralisation du logement est un thème qui revient souvent. Le Président de la République et la Première ministre l'évoquent régulièrement. C'est normal, puisque le logement remplit une fonction de proximité. En la matière, qui plus est, les responsabilités sont éclatées : il y a celle de l'État, ce qu'il reste de celle des maires, celle qui a été confiée aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et aux métropoles, celle des régions – sans parler de l'exception que constitue la métropole parisienne, qui n'a pas encore voté son plan métropolitain de l'habitat et de l'hébergement (PMHH), ou encore des établissements publics territoriaux (EPT) qui ne sont pas de véritables EPCI mais qui construisent quand même leur plan local d'urbanisme intercommunal PLUI. La question de la décentralisation est donc légitime.
Dans la perspective de construire mieux et plus, et de répondre aux urgences, nous réfléchirons collectivement aux bons outils de la gouvernance. Nous avons commencé, avec Christophe Béchu et Dominique Faure, à rencontrer les associations d'élus. Nous aborderons tous les sujets : l'attribution, le permis de construire, le programme local de l'habitat (PLH), les PLUI, le soutien aux maires bâtisseurs…
En tout état de cause, la décentralisation est un moyen, pas une fin. Si décentralisation il devait y avoir dans certains domaines, elle devrait être au service des objectifs du CNR : mieux loger les plus fragiles, construire là où sont les besoins, rénover et construire durablement. Elle pourrait être utile, par exemple, pour la rénovation énergétique et MaPrimeRénov', pour garantir plus d'efficacité et d'équité. En effet, les Français ne sont pas égaux devant les aides : dans certains territoires, différentes aides persistent et s'additionnent – notamment dans les intercommunalités ayant fait des efforts, où l'on trouve des agences locales de l'énergie et du climat (Alec) compétentes –, tandis que les citoyens n'ont droit qu'aux aides de l'État dans d'autres. Une forme de concurrence territoriale obligerait les territoires à mieux s'emparer du sujet et à compléter les aides de l'État pour que le reste à charge soit moindre.
Concernant le logement social et le pacte de confiance, la Première ministre a souhaité, lors de son discours de politique générale de l'été dernier, impliquer l'ensemble des acteurs concernés. Le contexte est difficile, avec l'augmentation du coût des matériaux et celle du taux du livret A – la rémunération de 3 % est une bonne chose pour les petits épargnants, mais une moins bonne pour les bailleurs sociaux, qui voient le remboursement de leurs emprunts s'accroître et leurs fonds propres ainsi que leurs fonds de roulement en pâtir. Il faut rebâtir la confiance et travailler sur le prix du foncier. Le pacte de confiance suit trois priorités : le parcours résidentiel, la transition écologique et la production de logement social.
Le logement social est une chance pour notre pays. Ce modèle fonctionne. Il concerne de nombreux Français qui y commencent leur parcours résidentiel – certains y passent même leur vie, ce qui n'a rien de dramatique – et bénéficient ensuite de l'accession sociale à la propriété.
La rénovation des bâtiments doit concerner autant l'habitat privé que l'habitat social. Celui-ci doit être exemplaire en matière de transition écologique, car il représente 25 % des résidences principales. Le dispositif Seconde vie concerne des bâtiments assez anciens, souvent des passoires thermiques, dont la démolition n'est pas envisagée, à la fois parce que, sur le plan écologique, cette solution pose problème, et parce que l'opération est longue et complexe – elle suppose, notamment, de reloger les habitants. Le dispositif consistera donc à réhabiliter si profondément l'existant que le bailleur pourrait bénéficier des mêmes exonérations que pour une construction neuve, parmi lesquelles celle de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). Il ne concernera pas seulement les zones ANRU.
La troisième priorité concerne la production de logement social. Cet objectif doit être partagé. En 2022, l'agrément a été accordé à 110 000 logements. Ce chiffre comprend les constructions outre-mer. Il est insuffisant au regard des besoins.
Nous devons commencer à réfléchir à l'avenir de l'ANRU. Le tuilage entre l'ANRU 1 et l'ANRU 2 n'a pas été aisé. Si 99,8 % des programmes sont passés en comité d'engagement, ils n'avancent pas tous au même rythme. Comme cela avait été le cas dans l'ANRU 1, certains seront terminés quand d'autres n'auront pas vraiment commencé. Nous devrons engager une réflexion sur cette temporalité, car notre action devra se poursuivre, que ce soit ou non à travers un troisième ANRU.