Lorsque M. Elong Abé est arrivé à la maison centrale d'Arles, il a été placé au quartier d'isolement. Mais son comportement étant tout autre qu'à Condé-sur-Sarthe, après cinq mois il a été classé auxiliaire nettoyage du quartier disciplinaire pendant un mois, travail qu'il a bien accompli.
Je me dois de rester à ma place de DLRP. Je travaille dans une structure où se trouvent des décideurs au-dessus de moi, à différents niveaux et dans différents services. Si Franck Elong Abé est envoyé à Arles, je ne me pose pas la question de savoir s'il doit y être ou pas : il arrive dans « ma » centrale, je dois le surveiller, enclencher des capteurs, et je le fais. Quand je l'ai connu, son comportement était plutôt calme et correct dans un premier temps au quartier d'isolement, dont il a été sorti par la direction pour être placé au quartier spécifique d'intégration (QSI), quartier conçu comme un sas qui permet de réintégrer les détenus en détention ordinaire – je rappelle que, selon les textes, les TIS n'ont pas vocation à passer toute leur peine à l'isolement. M. Elong Abé est pris en charge au QSI et, pour préparer sa réintégration en détention ordinaire, je me souviens que, dans un premier temps, l'établissement le fait adhérer à des séances de sport avec des détenus du bâtiment A, dont Yvan Colonna. On assiste, au fur et à mesure des séances, à un rapprochement entre ces deux détenus ; selon les informations qui me sont remontées, c'est M. Colonna qui, le premier, a engagé la discussion. Ensuite, M. Elong Abé a été affecté en détention ordinaire. C'était un homme plutôt isolé, mais il lui arrivait d'avoir des discussions avec d'autres détenus, de toutes sortes : détenus radicalisés, détenus condamnés pour terrorisme et détenus plus classiques, si on peut parler de détenus « classiques » à la maison centrale d'Arles.
M. Elong Abé avait donc quelques contacts et, selon les informations dont je dispose, ceux qu'il a eus avec le détenu Colonna se sont toujours très bien passés. Aucune animosité n'a été relevée : ils se parlaient en promenade et sur le plateau sportif, ils communiquaient également sur l'activité. J'ai même été surpris de voir, quelque temps avant le drame, Franck Elong Abé accéder à la salle dite « le gourbi des Corses », où d'ordinaire seuls entraient les détenus corses.
J'en viens aux quatre incidents relevés à Arles ; en réalité, j'en dénombre cinq, mais quatre seulement ont fait l'objet d'une commission de discipline, les faits étant avérés. Il y a eu une agression – un coup de tête – sur un détenu, le 10 juillet 2020, deux refus de réintégrer et des menaces sur personnel. L'agression d'un détenu n'est jamais prise à la légère mais, étant donné le contexte, il faut relativiser. On est à la maison centrale d'Arles où il y a des profils dangereux et j'ai eu connaissance d'incidents bien plus graves qu'un coup de tête : des bagarres entre détenus avec des armes artisanales, des détenus extraits la mâchoire brisée ou avec des blessures très graves. L'agression d'un autre détenu n'est pas un acte anodin et on en tient compte, surtout quand on connaît le profil de l'agresseur, mais il faut tenir compte du microcosme considéré.
Une fois Franck Elong Abé passé en détention ordinaire, son comportement continue d'être observé : ce n'est pas parce qu'un détenu est en détention ordinaire qu'il ne peut pas retourner à l'isolement. Mais aucune information, aucun élément, aucun signal d'alerte le concernant ne permettait de laisser penser à des signes avant-coureurs d'un passage à l'acte violent.
S'agissant du traitement des incidents par les commissions de discipline, je me dois, une fois encore, de rester à ma place. Je ne suis que le capitaine délégué local au renseignement pénitentiaire, je ne préside pas ces commissions, n'assiste pas aux échanges et ne peux porter de jugement sur les sanctions prononcées. Qui suis-je pour dire si un détenu a été assez ou insuffisamment sanctionné ? Qui suis-je pour juger mes directeurs ? C'est plutôt à eux qu'il revient de répondre à ces questions.
Vous m'avez interrogé sur ma réaction le 2 mars 2022. Quand j'ai constaté qu'il ne s'agissait pas d'un malaise mais que l'on était face à une agression, voire un meurtre, j'ai été choqué. Je me suis posé de nombreuses questions, me demandant ce que nous n'aurions éventuellement pas détecté. Je me suis rapproché de l'ensemble de mes collaborateurs, officiers des bâtiments, agents, capteurs humains, pour savoir si des informations n'avaient pas été remontées, si nous aurions pu anticiper une tension, quelque chose de palpable, et j'ai bien compris que nous étions tous surpris par cet acte subit. Très rapidement, je me suis mis à la recherche de ces informations. J'ai passé beaucoup de temps à examiner les enregistrements de la vidéo-surveillance, à observer ce qui s'était passé au cours des promenades et des activités la veille pour essayer de comprendre si des observations avaient pu ne pas être remontées du personnel à la hiérarchie. Très vite aussi, j'ai rencontré beaucoup de détenus et essayé de recueillir des informations permettant d'expliquer ce qui s'était passé.