Je suis sous l'unique hiérarchie du directeur de la Cirp, auquel je dois rendre compte. Je n'ai aucun lien hiérarchique ni avec le chef d'établissement ni avec aucun directeur de l'établissement. Mon niveau d'information sur la dangerosité de Franck Elong Abé lors de son arrivée à Arles était le même que celui de l'établissement. Il avait combattu en Afghanistan où il appartenait au réseau Haqqani, ce qui signifiait déjà beaucoup ; je n'avais pas de détails sur les actes précis qu'il avait pu commettre mais, combattant djihadiste, il était connu pour être radicalisé. Je savais aussi qu'il avait été à l'origine de nombreux incidents depuis qu'il avait été incarcéré en 2014 : il avait déjà agressé un agent et, à Condé-sur-Sarthe, il avait déclenché une multitude d'incidents – incendies de cellules et dégradations – au quartier d'isolement et en quartier disciplinaire. Il s'en était aussi pris à lui-même par deux fois et, avant son arrivée à Arles, une procédure avait été lancée visant à l'affecter dans une unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA), autrement dit un service psychiatrique pénitentiaire.
Telles sont les informations dont je disposais et dont l'établissement disposait aussi, et qui étaient communiquées à chaque CPU. Vous avez dû avoir connaissance de la fiche qui reprend toutes les synthèses des CPU « dangerosité » concernant Franck Elong Abé. Vous y aurez vu, à côté de sa photo, un encart résumant les faits intervenus au cours de sa détention et son profil ; dans ce résumé figure qu'il a combattu en Afghanistan dans le réseau Haqqani. Chaque membre de la CPU a accès à cette fiche qui synthétise toutes les CPU à mesure qu'elles ont lieu. Franck Elong Abé a fait l'objet de plusieurs CPU « dangerosité » et je me souviens avoir signalé plusieurs fois que ce détenu n'avait jamais été affecté à un QER, ce dont je m'étonnais puisque, à mon sens, tous les détenus condamnés comme terroristes islamistes (TIS) doivent passer dans un de ces quartiers.
Mais, je l'ai dit à l'IGJ quand j'ai été entendu, cela aurait-il changé quelque chose ? Je ne pense pas, parce que nous avions déjà beaucoup d'informations sur sa radicalisation lors de sa détention à Arles. Peut-être aurions-nous eu davantage d'éléments sur ses relations avec les personnes affectées au QER, et pu observer son comportement avec eux. Mais j'ai aussi indiqué à l'IGJ qu'à mon sens il était judicieux de le transférer à un QER car une fois conclue l'évaluation à laquelle on procède dans ce cadre, une affectation est préconisée en fonction de la dangerosité alors définie : en détention ordinaire, dans un quartier d'isolement ou dans un quartier de prise en charge de la radicalisation. Le QER, qui rassemble des psychologues et des éducateurs et où se fait un travail pluridisciplinaire, est la réponse institutionnelle destinée à évaluer la radicalisation d'un individu. Pour notre part, nous analysons les signaux, les indicateurs et les informations que nous recueillons, mais les professionnels du QER évaluent les personnalités pour préconiser une affectation.