Comme souvent, les accords qui nous ont été présentés en commission puis dans l'hémicycle sont pétris de complexité. Leur périmètre inclut en effet les missions de lutte contre la piraterie et la criminalité organisée, la participation à la recherche et au sauvetage des vies en mer, la protection de l'environnement marin, la protection du patrimoine culturel sous-marin ou encore la coopération en cas de catastrophe naturelle ou environnementale.
Comme souvent, les buts affichés sont louables et ces accords, s'ils étaient suivis d'actions concrètes, pourraient contribuer à des avancées. La lucidité, toutefois, nous impose de prendre en considération les intérêts qui ont présidé à leur rédaction. Et ces intérêts sont limpides : l'océan Indien constitue une plaque tournante du commerce mondial. Les routes maritimes qui le traversent assurent l'acheminement de flux d'hydrocarbures et de marchandises vers l'Asie, l'Afrique et l'Europe. Ces routes représentent 25 % du trafic maritime international ; 75 % des exportations de l'Union européenne y transitent. La région est notamment cruciale pour la stratégie indo-pacifique de la France, qui y est présente de façon permanente à travers deux départements, La Réunion et Mayotte, peuplés de plus d'un million de personnes.
Ces activités lucratives, couplées à l'instabilité politique de certains des États qui bordent l'océan Indien, expliquent la pratique d'actes de piraterie dans la région. Ainsi, le littoral somalien a été le théâtre d'actes de ce type et d'attaques contre des navires marchands ou plaisanciers au début des années 2000. Ce phénomène a contribué à affaiblir les économies régionales et à déstabiliser le commerce international. L'accord que nous évoquons tend notamment à s'attaquer à ce phénomène. Si le terme « pirate » est associé à tout un imaginaire, de Barbe Noire à Monkey D. Luffy, la réalité n'est pas aussi excitante : il s'agit le plus souvent de pauvres hères qui n'ont pas trouvé d'autre façon d'assurer leur subsistance.
Il est d'autres pirates plus dangereux, qui pillent la région en pratiquant la surpêche, dont les conséquences sur l'environnement sont particulièrement dévastatrices : 97 % de l'immense richesse halieutique de la zone sont capturés par des pays non riverains, alors même que la survie d'une part considérable de la population des États riverains dépend de la pêche vivrière. Ce sont ces pirates qui, souvent en toute légalité, poussent les plus démunis vers l'illégalité, y compris vers le trafic de drogue, ou les forcent à fuir leur pays au péril de leur vie. Songeons ainsi aux milliers de Comoriens poussés hors de leurs frontières par la misère et la faim.
Le rôle de la France et de l'Union européenne est d'agir dans l'intérêt des populations locales, et non dans celui de gros industriels qui viennent vider les océans pour se remplir les poches. Nous ne pouvons nous contenter d'adopter une posture. Ces gros industriels sont essentiellement français ou espagnols. D'après l'association Bloom, qui œuvre à la conservation marine, les flottes de ces deux pays pêcheraient environ 400 tonnes de poissons par an dans la région.
De façon générale, plusieurs faits sont venus écorner l'image de la France dans la zone. Anne-France Mattlet, après avoir été adjointe au chef d'un bureau de la Direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA), puis présidente du comité d'application de la Commission des thons de l'océan indien (CTOI), est partie pantoufler chez le lobby Europêche. Rappelons tout de même que Mme Mattlet négociait les accords de pêche entre la France et l'Afrique !
En 2021, la Commission européenne a ouvert une procédure d'infraction contre la France pour non-contrôle de sa flotte de pêche internationale et dérogation illégale de sa flotte thonière aux limites de capture dans cette zone. En 2016 déjà, Greenpeace dénonçait les agissements de l'entreprise Petit Navire, qui utilisait des dispositifs de concentration de poissons (DCP) pour déroger aux quotas de pêche dans certaines zones.
Un célèbre youtubeur du nom d'Emmanuel Macron se demandait il y a peu qui aurait pu prédire le changement climatique. Nous le prévenons sans ambages : la surexploitation des zones de pêche est la première cause de l'érosion de la biodiversité en mer, devant le réchauffement climatique et les pollutions marines. Nous le prévenons que nous devons désormais agir pour sécuriser nos approvisionnements et ceux des pays côtiers. Nous nous abstiendrons sur ce texte, mais en tant que première force de proposition, nous nous battrons pour que soient imposées les solutions suivantes : suppression des DCP dérivants d'ici au 1er janvier 2024, comme le propose l'Inde ; signature d'accords réellement équitables avec les pays africains ; déploiement de politiques plus contraignantes et plus transparentes pour les industriels, accompagnées de sanctions si nécessaire ; virage vers une pêche réellement durable, conforme au principe d'équité et adaptée aux besoins des populations les plus démunies.
Je conclus par une célèbre maxime : « Lorsque l'homme aura coupé le dernier arbre, pollué la dernière goutte d'eau, tué le dernier animal et pêché le dernier poisson, alors il se rendra compte que l'argent n'est pas comestible. » Qu'on ne vienne pas nous dire que personne n'aurait pu le prédire.