Nous sommes aujourd'hui appelés à nous prononcer sur l'approbation de deux conventions signées en 2021 à Paris avec le Sénégal, l'une portant sur l'extradition, l'autre sur l'entraide judiciaire en matière pénale.
La France est actuellement liée au Sénégal par un accord de coopération judiciaire datant de 1974. Cependant, depuis cette époque, des évolutions majeures sont intervenues. La criminalité organisée s'est complexifiée et internationalisée, avec des réseaux de trafics d'êtres humains, de stupéfiants, d'armes et de cybercriminalité, qui exercent leurs activités dans la bande sahélo-saharienne et étendent leurs ramifications jusqu'en Europe.
La visite à Dakar du ministre de l'intérieur Gérald Darmanin, le 21 décembre, a été l'occasion de faire le point sur les réseaux d'immigration clandestine et sur le trafic international de crack, dont nous connaissons les répercussions dramatiques dans certains quartiers de Paris.
Par ailleurs, les pays dans la région sahélo-saharienne font face, depuis plusieurs années, et dans des proportions inédites, à une menace terroriste qui continue à faire de nombreuses victimes. Le Sénégal a été jusqu'à présent épargné par les attentats et l'islamisme radical ; tel n'est pas le cas de pays voisins comme le Mali, le Niger ou le Burkina Faso. Dans ce contexte, la porosité de la frontière sénégalo-malienne, longue de près de 500 kilomètres, tend à fragiliser l'est du Sénégal, région déjà pauvre et relativement délaissée. La criminalité organisée et le terrorisme ont, de surcroît, tendance à s'imbriquer. Les autorités françaises ont parfois à connaître ce type d'affaires dans les cas où des ressortissants français seraient mis en cause ou en seraient victimes, ainsi qu'en cas de répercussions sur la sécurité de notre pays. En sens inverse, les autorités sénégalaises peuvent avoir besoin de la coopération des juridictions françaises dans des dossiers d'envergure ou d'une grande complexité.
Aujourd'hui, l'accord bilatéral de 1974 n'apparaît plus adapté aux défis posés par le terrorisme et la criminalité organisée. L'exécution des demandes françaises d'entraide et d'extradition se révèle ainsi trop lente, aboutissant parfois au dépérissement des preuves ou à la clôture des dossiers, faute de résultats.
Les présentes conventions visent donc à rénover un cadre juridique jugé obsolète. Elles permettront de favoriser une exécution plus rapide et plus efficace des demandes et de prendre en compte les bouleversements techniques et technologiques intervenus depuis 1974. Elles organisent de manière claire les modalités de communication et de transmission des demandes d'entraide et d'extradition, en particulier dans les cas les plus urgents, en posant une obligation de célérité. Je le rappelle, l'extradition n'a rien à voir avec l'expulsion ni avec le droit des étrangers ; elle constitue simplement une procédure de nature judiciaire visant à remettre à un autre État l'auteur d'un délit ou d'un crime pour qu'il puisse y être jugé ou exécuter sa peine. La procédure d'extradition a par ailleurs pour objet d'empêcher que l'auteur d'une infraction grave aille trouver refuge dans un autre État. Elle est donc essentielle pour garantir le droit des victimes et ne pas laisser impunis des comportements délictuels graves.
La convention d'entraide judiciaire permettra de recourir aux techniques modernes d'enquête qui n'étaient pas couvertes par l'accord de 1974, telles que les auditions par vidéoconférence, les demandes d'informations en matière bancaire, les saisies et confiscations d'avoirs criminels, les interceptions de télécommunications, les livraisons surveillées et les opérations d'infiltration.
De plus, il est primordial de le souligner, ces deux conventions prévoient les garanties indispensables qui doivent entourer ce type de procédures. L'entraide peut ainsi être refusée si les autorités compétentes – ici, les autorités judiciaires nationales – jugent que la demande se rapporte à des infractions politiques. Ces garanties éviteront que de telles procédures puissent être détournées d'une quelconque façon.
Par ailleurs, les témoins, experts ou personnes poursuivies, lorsqu'ils sont appelés à comparaître devant les autorités judiciaires du pays demandeur, bénéficient d'immunités précisément définies par la convention d'entraide judiciaire en matière pénale. De même, l'extradition ne saurait en aucun cas être accordée lorsque les infractions reprochées sont de nature militaire ou politique, ou s'il existe des raisons sérieuses de croire qu'elle aboutirait à poursuivre ou punir une personne pour des considérations de race, de genre, de religion, de nationalité ou d'opinions politiques.
Autre garantie d'importance, fondée sur le principe dit de spécialité : une personne ne pourra être poursuivie pour un fait autre que celui ayant motivé son extradition. En outre, une clause excluant l'extradition lorsque l'infraction en cause fait encourir la peine de mort figure dans la convention d'extradition, alors même que le Sénégal a aboli la peine capitale en 2004 – la dernière exécution remontait à 1967, soit dix ans avant la dernière exécution en France.
Les deux conventions prévoient également des garanties pour la protection des données personnelles. Les textes négociés ont fait l'objet d'une élaboration attentive et sont inspirés en grande partie des mécanismes de coopération de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe. Ils sont très proches des conventions signées en 2018 avec le Niger et le Burkina Faso, que l'Assemblée nationale a approuvées et qui sont déjà entrées en vigueur.
Néanmoins, pour que cette modernisation du cadre juridique ait pour effet l'amélioration de notre coopération judiciaire, il faut qu'elle s'accompagne d'un soutien français au Sénégal, pour que celui-ci s'approprie ces nouveaux moyens. La France a commencé à l'apporter, grâce à son magistrat de liaison en poste à Dakar. Un projet, mis en œuvre depuis un an par Expertise France, vise ainsi à développer au Sénégal un bureau de l'entraide pénale internationale, sur le modèle du bureau français.
Au demeurant, la coopération judiciaire entre nos deux pays peut s'appuyer sur une culture juridique et administrative commune. Nos organisations judiciaires sont en effet largement similaires, avec un double degré de juridiction, ainsi que la présence, dans le code pénal sénégalais, des principes classiques du droit pénal français, notamment le principe de légalité des délits et des peines.
J'ajoute que cette coopération repose aussi sur des liens d'amitié historiques. Preuve de cela, le Sénégal est le seul pays d'Afrique subsaharienne avec lequel la France tient un séminaire intergouvernemental annuel. Les visites bilatérales entre nos autorités sont fréquentes. Elles peuvent d'ailleurs être l'occasion de se dire les choses avec franchise, lorsque nos vues ne concordent pas ou lorsque des points précis nous préoccupent. Tel avait été le cas lors de l'adhésion du Sénégal, en 2020, à la déclaration dite du consensus de Genève.
La France restera également attentive, dans le respect, bien sûr, de la souveraineté du Sénégal, aux conditions de déroulement de l'élection présidentielle de 2024 et au respect des droits des oppositions. Tous ces sujets requièrent bien évidemment notre attention, mais il serait erroné d'y voir des raisons de ne pas approuver deux conventions qui vont dans le sens de l'amélioration de la sécurité et du renforcement du droit des victimes. Le Sénégal est un État de droit, dont l'organisation judiciaire est proche de la nôtre ; les juges y sont indépendants et bien formés. Il faut faire confiance au juge pour l'application de ces conventions, qui comportent toutes les garanties nécessaires pour prévenir un usage abusif.
Mes chers collègues, j'espère vous avoir convaincus de l'importance de ces deux conventions, tant au regard de la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme que des liens forts qui nous unissent au Sénégal. C'est au vu de ces enjeux que la commission des affaires étrangères a adopté le présent projet de loi ; je vous invite à faire de même.