Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je tiens à préciser que depuis 2018, je suis le directeur exécutif d'EDF en charge des énergies renouvelables et qu'à cet égard, je suis en charge à la fois de l'activité hydroélectrique gérée par EDF Hydro au sein d'EDF SA (environ 5 500 personnes) et des activités éoliennes et solaires, portées par une filiale à 100 %, EDF Renouvelables, regroupant 4 500 personnes et dont je suis le PDG. Ces activités sont regroupées dans un pôle « Renouvelables », composé par Jean-Bernard Levy à son arrivée. Je ne parlerai pas ce matin de biomasse et de géothermie, qui sont portées par d'autres entités du Groupe, telles que Dalkia, ni de mes activités passées, notamment pour l'État.
Je suis ravi d'être présent devant vous car je crois que les énergies renouvelables peuvent contribuer de façon importante à la réduction de la dépendance énergétique. En effet, avec 63 % d'énergie fossile dans le mix énergétique et sans extraction minière importante en métropole, le pays reste loin de l'indépendance. Il est toutefois possible de réduire notre dépendance. L'ambition de souveraineté vise également à ne pas laisser notre destin entre les mains d'un petit groupe de pays étrangers, sans non plus vivre en autarcie, dont le coût serait prohibitif.
Je tiens à préciser que l'énergie ne se limite pas à l'électricité. Le mix est composé de deux tiers d'énergie fossile et le reste se partage à parité entre le nucléaire et les énergies renouvelables (l'hydroélectricité, l'éolien, le solaire, la biomasse et la géothermie).
Sortir progressivement des énergies fossiles est nécessaire de notre point de vue, à bien des égards : réduire nos dépendances commerciales, stabiliser les coûts de l'énergie à long terme et lutter contre le changement climatique. Afin de sortir des 63 % d'énergie fossile d'ici 2050, l'efficacité énergétique, le nucléaire et le renouvelable seront nécessaires. Nous nous réjouissons que désormais, pour une large part de Français, la transition énergétique ne soit plus entendue comme la substitution du nucléaire par les renouvelables mais comme la substitution des énergies fossiles par le nucléaire et les renouvelables.
La stratégie d'EDF en matière d'énergies renouvelables a connu un tournant important en 2015 avec la fixation par Jean-Bernard Levy de « Cap 2030 », qui visait à doubler la part d'énergies renouvelables d'ici 2030 pour la porter de 25 à 30 gigawatts à 50 à 60 gigawatts. Cette forte accélération est assortie d'un double équilibre. L'hydroélectricité est la première des énergies renouvelables électriques en France. Elle reste très importante mais progressivement, l'éolien terrestre se développe, ainsi que l'éolien maritime et solaire. Le mix technologique évolue, le mix de pays également. L'hydroélectricité a toujours été pour nous très française, avec une présence grandissante à l'étranger. Au contraire, l'éolien et le solaire ont plutôt commencé aux États-Unis et aujourd'hui, nous nous rééquilibrons en trois tiers : l'Amérique du Nord, les pays émergents et l'Europe. Nous sommes présents dans d'autres pays, comme au Royaume-Uni, en Pologne, en Grèce ou en Italie mais il est bien normal que nous le soyons d'abord en France.
Nous avons l'honneur d'être le premier exploitant de concessions hydroélectriques en France. Nous comptons 300 concessions, près de 80 % de la puissance hydroélectrique installée en France, près de 5 500 personnes très engagées et compétentes et environ 400 millions d'euros par an d'investissement, principalement en maintenance ( versus 50 millions d'euros au début des années 2000). La disponibilité du parc est très bonne, à 90 % cet hiver.
L'éolien est un pilier important de l'entreprise. L'éolien terrestre représente 1,9 gigawatt en France pour EDF mais compte tenu de la fragmentation du marché, la part de marché est d'environ 10 %. Nous sommes un acteur plus important en éolien maritime, puisqu'avec Saint-Nazaire, Fécamp, Courseulles et Dunkerque, nous avons remporté quatre des sept appels d'offres. Saint-Nazaire a été mis en service fin 2022. Fécamp viendra cette année. Suivront Courseulles et Dunkerque. Nous sommes également présents dans l'éolien flottant puisque nous développons dans les Bouches-du-Rhône le projet de Provence Grand Large, qui devrait être mis en service en 2024.
Par ailleurs, EDF porte une très forte ambition dans le solaire à travers le monde. Il est vrai que son développement est plus facile à certains endroits que d'autres. À Abu Dhabi par exemple, un parc de 2 000 mégawatts est en train d'être mis en service, soit cent fois la taille moyenne du parc français. Nous sommes présents sur la toiture. Nous sommes notamment le premier acteur du marché des particuliers, avec environ 25 % des parts de marché portées par la filiale EDF ENR, à travers l'offre « Mon soleil & moi » et de l'autoconsommation, qui fonctionne bien auprès des Français. Nous sommes également un acteur des actifs au sol. Nous étions un peu en retard jusqu'en 2017, au moment où Jean-Bernard Levy a lancé ce plan solaire, avec l'ambition de retrouver la tête du peloton et nous sommes effectivement, selon les années, premiers, deuxièmes ou troisièmes alors que nous étions dixièmes par le passé. La part de marché oscille entre 15 et 20 %.
Enfin, EDF est le premier acteur du stockage en France, avec 5 gigawatts de stations de transfert d'énergie par pompage (STEP). L'objectif est de construire 10 gigawatts de plus d'ici 2025, avec à la fois des STEP et des batteries. Les États-Unis et le Royaume-Uni recourent déjà beaucoup aux batteries. La France s'y met, d'abord en outre-mer, en Guyane dans des zones non interconnectées aux besoins spécifiques mais également en métropole.
Avec 200 M€ par an sur cette décennie, la France représente environ 20 % des investissements d'EDF Renouvelables, alors qu'elle correspond à 1 % du marché mondial. Elle fait sans surprise l'objet d'une priorité toute particulière pour EDF dans les renouvelables.
Ces énergies renouvelables sont absolument nécessaires pour réduire la dépendance aux énergies fossiles. Le pays bénéficie d'un très beau potentiel par sa géographie. Nous avons toute raison de tenir à l'avenir les objectifs que nous nous fixons. Jusqu'à présent, cela n'a pas vraiment été le cas, pour différents motifs. La situation a progressé ces dix dernières années, sans être pour autant au bon rythme. L'ambition de développer les énergies renouvelables n'était jusqu'à présent pas partagée par tous, avec un mauvais débat opposant nucléaire et renouvelable qui persistait chez certains. Les exigences locales, toutes légitimes entre la biodiversité, le patrimoine, les radars, etc. sont parfois difficiles à concilier avec le développement des renouvelables pour les administrations. Les procédures d'autorisation et les contentieux peuvent être longs. Un millefeuille administratif nécessite la coordination entre plusieurs niveaux de collectivités, sans que rien ne permette d'assurer la cohérence entre les objectifs nationaux du Parlement et les documents d'urbanisme, par nature très locaux. Enfin, malgré l'engagement complet des fonctionnaires, un certain manque d'effectif est constaté dans certaines administrations. Le projet de loi d'accélération des énergies renouvelables, en cours d'examen au Parlement, a justement pour objectif d'améliorer la situation, même si une série de dispositifs nécessitent encore des améliorations.
Ce projet de loi contient également des éléments intéressants à propos de l'hydroélectricité, qui est une énergie renouvelable, compétitive et flexible, la préférée des Français d'après les enquêtes d'opinion. Cette activité emporte des enjeux globaux pour l'électricité et des enjeux de gestion de l'eau (eau potable, irrigation, biodiversité, industrie, tourisme, etc.), gérés par les comités de bassin. Entre les crues et les sécheresses, le sujet est plutôt croissant. Des enjeux de retombées économiques se posent également, même si en hydroélectricité, la valeur ajoutée européenne atteint 90 % et celle française une grosse moitié voire trois quarts. Toutefois, pour aller plus loin et reprendre la voie d'un développement hydroélectrique plus important, il faudra sortir du contentieux, qui dure depuis bientôt vingt ans, autour du renouvellement des concessions et de leur éventuelle mise en concurrence. Cela nécessitera de revoir le cadre de renouvellement des concessions, en conservant les spécificités françaises, comme le Président de la République l'a exprimé récemment à deux reprises, à Belfort puis à Saint-Nazaire. Nous nous réjouissons que ce point fasse bientôt l'objet d'une loi. EDF est prêt et volontaire pour continuer à exploiter les concessions existantes et développer de nouveaux équipements, dans le cadre communautaire et national, avec tous les bénéfices collectifs d'un acteur de service public national.
En ce qui concerne la question des matériaux et des métaux critiques, les énergies renouvelables utilisent des matériaux mais pas forcément des métaux rares. Seuls quelques-uns sont présents dans les éoliennes maritimes de première génération. En revanche, de l'acier, du silicium et du cuivre sont nécessaires. La transition énergétique requerra beaucoup de matériaux. Quatre fois plus de cuivre devra être mobilisé dans les trente ans à venir d'après l'agence internationale de l'énergie. Des tensions à court terme sont possibles mais pas à long terme. Depuis 1900, nous consommons déjà quarante fois plus de cuivre. L'innovation et l'investissement devraient nous permettre d'arriver à en produire quatre fois plus en trente ans.
Je tiens à souligner qu'en matière de renouvelable, cette éventuelle dépendance aux matériaux ne revêt pas le même caractère de sécurité d'approvisionnement que d'autres énergies. En prenant une hypothèse tout à fait théorique que la Chine restreigne ses exportations de panneaux (ce qu'elle n'a jamais fait jusqu'à présent, les prix, au contraire, baissant de 10 % par an depuis 10 ans), l'impact ne serait pas immédiat. La France rencontrerait des difficultés à faire évoluer son système énergétique mais les moyens de production existants continueraient à fonctionner.
S'agissant de la reconquête industrielle et du maintien des investissements, la valeur ajoutée pour l'hydroélectricité est très forte ; elle l'est un peu moins pour le solaire et l'éolien. La relocalisation d'une production industrielle au sein de l'Union européenne serait un moyen possible pour diminuer nos dépendances mais en l'état du contexte concurrentiel, elle appelle des choix de politique industrielle dont il faut assumer le coût économique tout en en reconnaissant les mérites en termes de résilience. Par exemple, en ce qui concerne le solaire, pour des raisons tant industrielles que juridiques, ce choix doit être effectué au moins à l'échelon de l'Union européenne. Pour autant, la part de valeur ajoutée dans les filières éoliennes et solaires oscille entre 40 et 50 % en France. Nous aimerions faire mieux. En faisant le choix de soutenir une filière industrielle naissante, le temps qu'elle assoie ses avantages comparatifs et atteigne la taille critique et la compétitivité internationale, la France a déjà fait mieux dans l'éolien maritime. Le parc de Saint-Nazaire possède plus de 50 % de valeur ajoutée à la fois européenne et française. Il a mobilisé 2 300 emplois pendant les trois ans de construction et 100 emplois pendant les vingt à vingt-cinq ans d'exploitation qui viennent de commencer. Maintenir et développer ce tissu nécessitent de la visibilité. La planification maritime est ainsi un point très appréciable dans la loi d'accélération. Il sera également nécessaire d'accompagner la structuration de la filière de l'éolien flottant (en particulier pour les infrastructures portuaires).
En ce qui concerne le solaire, Photowatt est une entreprise de taille intermédiaire située à Bourgoin-Jallieu dans l'Isère et dont EDF est devenu propriétaire en 2012 dans l'Isère. Elle emploie aujourd'hui 200 personnes pour produire des panneaux photovoltaïques. Elle a subi, comme toute entreprise européenne, notamment allemande, la concurrence chinoise durant la décennie passée. Savoir si le protectionnisme bénéficie aux pays qui le pratiquent et comment réagir au protectionnisme de pays tiers dépasse le cadre de mon intervention. Il est néanmoins possible, pour les autorités européennes et françaises, de voir émerger une filière des équipements solaires, du silicium jusqu'aux panneaux, à condition d'en assumer le coût économique et d'y allouer les moyens budgétaires requis. Les États-Unis et l'Inde le font, pour des raisons de résilience et de souveraineté. Ainsi, l' Inflation Reduction Act comprend à la fois 700 milliards de dollars de resserrement budgétaire et beaucoup de soutien à l'industrie verte. Cela suppose en France d'accélérer les autorisations d'installation. De grandes usines, de plusieurs gigawatts, sont nécessaires. Il convient également de développer les filières de formation scientifique et technique. Les étudiants doivent être amenés à davantage aimer ces métiers de la technique et de l'ingénierie. Enfin, un cadre économique propice doit être posé, que ce soit sous forme de subventions, comme aux États-Unis, à l'investissement ou à la production, de tarifs douaniers qui existaient jusqu'en 2018 en Europe, ou de primes à la valeur ajoutée européenne dans les appels d'offres publics, ce que d'autres pays font. Aujourd'hui, produire de l'énergie solaire en France est particulièrement compétitif. Les coûts sont passés de 500 à 50 euros par mégawatt-heure en une dizaine d'années mais produire des panneaux est difficile. EDF, à travers Photowatt, perd régulièrement de l'ordre de 30 millions d'euros par an depuis dix ans.
En coordination avec l'Allemagne et la Commission européenne, à cet égard, l'annonce du ministre de l'économie en faveur de la création d'un plan de soutien à la décarbonation et aux industries vertes constitue une bonne nouvelle, dont nous attendons de connaître les contours plus précis.
En permettant d'une part à l'aval une électrification accrue des usages (dans le chauffage, le transport et l'industrie) et d'autre part à l'amont la production, par le développement des énergies renouvelables et du nucléaire, nous protégerons le pays, nos concitoyens et les entreprises contre la volatilité des prix des énergies fossiles, nous lutterons contre le changement climatique et nous ferons preuve de résilience, sans tomber dans l'autarcie. Le coût économique ne sera pas négligeable à court terme mais en privilégiant un mix de solutions le plus performant possible, il doit pouvoir être maîtrisé.
Soyez assurés qu'EDF et son pôle Énergies renouvelables seront engagés pour contribuer à la politique énergétique et industrielle de notre pays et continueront à développer des projets pour et avec les territoires et les entreprises de notre pays. Je vous remercie de votre écoute et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.