J'ai débuté ma carrière au sein des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE). J'ai par la suite intégré le ministère de l'Écologie, et la direction du Trésor. J'ai ainsi été conseillé pour les affaires industrielles du ministre de la Défense de 2002 à 2007, puis directeur de l'énergie de 2007 à 2014, à une époque marquée par le Grenelle, les conséquences de la crise de financière de 2008, la bulle photovoltaïque ou encore la loi Nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME) avec la création du marché de capacité et la mise en place de l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH). Cette période a également été marquée par les premiers débats autour du « 50 % 2025 ». Des événements ont aussi eu lieu dans le domaine gazier, avec le développement du gaz naturel liquéfié (GNL), ou encore des retournements de marché assez spectaculaires avec le gaz de schiste.
Je suis actuellement directeur général de l'ANDRA depuis huit ans. Je suis haut fonctionnaire. À travers cette carrière de haut fonctionnaire, j'ai toujours été guidé par quatre exigences.
La première exigence était de m'appuyer sur des analyses techniques, aussi solides que possible, y compris en mobilisant le monde académique. Nous avons ainsi mobilisé des économistes sur les questions de « market design », ainsi que des experts en décortiquant les différents modèles prospectifs qui commençaient à se mettre en place lorsque j'étais directeur.
La deuxième exigence est de « dire les choses ». Il s'agit d'un devoir d'honnêteté vis-à-vis de nos ministres. Nous avons toujours veillé à indiquer notre point de vue, y compris quand cela n'était pas agréable. Nous avons ainsi expliqué que les tarifs devaient augmenter, lorsque l'investissement avait repris au sein du parc, ou que le développement du photovoltaïque devait prendre fin face à la bulle spéculative.
La troisième exigence est d'être force de proposition. J'ai ainsi proposé des réformes comme la loi NOME ou le mécanisme de capacité (qui est typiquement une proposition des services de l'État).
Enfin, la fonction de directeur de l'administration centrale exige de la loyauté, notamment vis-à-vis de ses ministres, lorsque les décisions sont prises.
Dans la suite de mon propos, je parlerai tout d'abord de l'ANDRA, puis je reviendrai par la suite sur la réforme du marché de l'électricité, en la replaçant dans son contexte.
L'ANDRA est un établissement public, sous la tutelle du ministère de l'Énergie. Il s'agit d'un exploitant nucléaire. Nous exploitons des sites de stockage pour les déchets de faible et moyenne activité, depuis près de 40 ans, historiquement dans la Manche et maintenant dans l'Aube. Nous sommes aussi un organisme de recherche. Nous pilotons et intégrons de la recherche réalisée par les différents établissements publics et par le monde universitaire français et international, afin d'obtenir une base scientifique et technique pour les projets et les sites que nous exploitons. Dans ce contexte, nous exploitons le laboratoire souterrain. Enfin, nous sommes maîtres d'ouvrage d'un certain nombre de projets, dont le principal et le plus emblématique est le projet Cigéo (stockage des déchets de haute et moyenne activité).
Nous sommes pratiquement intégralement financés par les producteurs, au nom du principe « pollueur-payeur ». Nous sommes également une agence d'appui aux politiques publiques, avec une petite part de financement public. Nous réalisons l'inventaire dans ce contexte (inventaire des déchets déjà produits et inventaire prospectif selon différents scénarios contrastés d'évolution de la politique énergétique).
D'autre part, nous exerçons quelques activités de service public, notamment de gestion de sites pollueurs orphelins.
Cette stratégie des déchets s'inscrit dans le cadre régulatoire du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs. Sa gouvernance est riche avec la tutelle du ministère, le cadrage stratégique du PNGMDR et l'implication forte du Parlement, notamment de l'OPECST. Enfin, cet exercice se traduit par une comitologie importante autour du PNGMDR, mais aussi autour de la transparence dans la sûreté nucléaire. L'ANDRA est présente dans toutes ces instances et nous sommes systématiquement sollicités et associés aux évolutions et constructions des politiques énergétiques. Nous fournissons les éléments d'analyse et sommes associés aux grandes décisions.
La France peut clairement être fière de sa politique de gestion des déchets radioactifs. Dans les évaluations internationales, les revues par les pairs (ARTEMIS notamment) et la revue régulière qui se tient dans le cadre de la convention commune au sein de l'AIEA, la politique française et les initiatives font systématiquement l'objet de points forts. Aucun point sensible ou fragilité n'est évoqué dans le système, notamment autour de l'inventaire, de l'agence indépendante, de l'autorité indépendante et encore du cadre programmatique du PNGMDR. Pour chaque déchet, nos plans d'action sont systématiquement jugés crédibles.
L'un des grands enjeux en matière de gestion des déchets est l'engagement de Cigéo. L'objectif n'est pas de construire Cigéo précipitamment. Ce projet, au long cours, se déroulera sur quatre générations. L'enjeu est d'arriver, au stade de maturité scientifique et technique actuel, à enclencher le processus qui amènera à commencer la construction, puis à progressivement le développer. Nous avons débuté cette démarche avec le dossier de déclaration d'utilité publique et le décret d'utilité publique signé en juillet dernier, et le processus se poursuivra dans les prochains jours avec le dépôt de la demande d'autorisation de création auprès de l'ASN (avec une période d'instruction de cinq ans). Cette instruction gagnera en maturité au cours du temps. Ce projet progressif et incrémental doit être engagé dès maintenant si nous voulons nous assurer de ne pas laisser les générations futures sans option le moment venu.
Le deuxième sujet consiste à traiter un certain nombre de déchets historiques, souvent regroupés sous le titre de « faible activité vie longue », dont une partie pourrait concerner un site à faible profondeur.
Enfin, le troisième enjeu vise à mettre en place les nouvelles capacités de très faible activité, et à optimiser globalement les filières existantes, en les complétant en capacités si nécessaire, ce qui est par exemple le cas pour les très faibles activités.
Un quatrième enjeu, dont l'ANDRA n'est pas responsable, est important pour la robustesse du système. Cet enjeu consiste à s'assurer que nous détenons bien les capacités d'entreposage dans la durée, de façon à pouvoir effectuer la jointure avec les capacités de stockage. Dans notre projet, les déchets de haute activité, issus du retraitement des combustibles, ne « descendront » pas avant les années 2080-2085. L'enjeu est donc de s'assurer que nous avons bien les capacités de stockage nécessaire. Le projet de piscine d'EDF s'inscrit d'ailleurs dans cette logique. L'ASN et la DGEC ont notamment la charge de ce sujet de vigilance collective.
En outre, le sujet du NNF – le nouveau programme nucléaire français – doit être évoqué. Les six EPR ont fait l'objet, dès le début de la réflexion, d'un travail sur les déchets. Une contribution de l'ANDRA a été reprise dans le rapport de synthèse qui a amené le gouvernement à engager la démarche sur ces six EPR. Cela montre l'absence d'élément rédhibitoire qui empêcherait leur prise en charge le moment venu. Ces déchets, similaires à ceux de l'EPR2, ne sont pas concernés par les questions de multirecyclage en REP. L'impact est variable en matière d'emprise, mais essentiellement selon les politiques de cycle mises en place.
Dans tous les cas, l'impact des six EPR supplémentaires est parfaitement gérable. En outre, cela conduit à un allongement de la durée d'exploitation, pouvant avoir un impact notamment sur les investissements de jouvence. Or, la logique de développement étant progressive et incrémentale, nous avons le temps de nous y préparer. La prise en charge des déchets de ces six EPR ne pose donc pas de difficultés. Nous pouvons d'ailleurs être fiers, au moment où nous engageons la réflexion sur les six EPR, de traiter l'ensemble des sujets, y compris celui des déchets.
Un autre sujet concerne Astrid et la fermeture du cycle. Ce sujet est source de débats passionnés et préciser certains éléments en matière de déchet semble nécessaire. La séparation-transmutation n'est pas une option qui permet d'éviter le stockage. Ce sujet a déjà été tranché depuis les 15 ans de recherche, entre 1991 et 2005, et a été clairement documenté dans le cadre des avis de l'ASN. La séparation-transmutation et les réacteurs RNR ne permettent pas de se dispenser du stockage. Cela permettrait de réduire l'emprise du stockage, en diminuant la thermicité (la chaleur des colis). Or, ce processus n'élimine pas tous les actinides mineurs ni les radionucléides les plus pénalisants.
Les RNR sont un enjeu d'économie de matière dans une perspective de nucléaire de long terme. Par ailleurs, la gestion des déchets ne justifie pas, à elle seule, l'investissement dans une nouvelle génération de réacteurs ni dans une nouvelle génération d'usines pour préparer les combustibles de cette génération IV.
Nous devons aussi apporter la garantie aux parties prenantes (autorité de sûreté et gouvernement) que nous saurons ajuster Cigéo en cas de changement de politique, au prix de nouvelles études et procédures. Nous devons démontrer notre capacité à nous adapter. Le dossier que nous remettrons comporte des études d'adaptabilité, afin de montrer que nous ne préemptons pas, en faisant Cigéo, la politique de cycle future.
Par ailleurs, nous étions, de 2007 à 2010, dans un contexte de prix de marché particulièrement élevés (prix du gaz et prix marginal élevé). Cette première difficulté avait conduit le gouvernement, avant mon arrivée, à rétablir de nombreux dispositifs tarifaires, dont le tarif réglementé et transitoire d'ajustement au marché (Tartam) qui était un dispositif de retour aux tarifs réglementés. En outre, une pression forte existait pour ne pas augmenter les tarifs, en période d'inflation faible. Cette période est celle de la gestation de la loi NOME.
De son côté, la période de 2010 à 2014 a été relativement extraordinaire, avec des prix extrêmement bas. Cette situation semblait impossible, puisque les prix sont restés inférieurs aux capacités les moins chères pendant plusieurs années. Nous ne pensions pas pouvoir nous situer durablement sous le coût du nucléaire historique.
Cette période s'explique par « l'encoche » dans la consommation liée à la crise financière de 2008 (avec une véritable destruction de demande).
D'autre part, énormément de surcapacités avaient été accumulées, car les énergéticiens européens avaient particulièrement investi dans des installations thermiques (des centrales au charbon en Allemagne pour remplacer les centrales nucléaires qui allaient fermer) et des centrales à gaz un peu partout, dans une perspective de forte croissance.
De plus, cette surcapacité accumulée a été entretenue et aggravée par l'injection massive de renouvelables, qui n'étaient pas exposés au risque de marché, étant financés par des tarifs ou des appels d'offres. La surcapacité a donc été creusée.
Cette période a été particulièrement longue et durable. Elle a donné lieu à des études et des rapports, tel celui remis par M. Pisani-Ferry en 2014, portant sur les dysfonctionnements du marché à l'époque. Tous les énergéticiens européens ont perdu des dizaines de milliards d'euros de valeur et ont fermé des dizaines de gigawatts de capacité pendant cette période de crise. Ces éléments de contexte sont indépendants de la loi NOME et du contexte français en particulier.
Le deuxième élément concerne le nucléaire, avec plusieurs phases. Une phase d'enthousiasme est apparue entre 2006 et 2011, et correspondait à une reprise d'investissements sur le parc existant, l'enjeu de la durée de vie ayant été clairement identifié. Areva avait d'ailleurs une vision trop optimiste en matière de nombre de réacteurs remplis. L'administration de l'époque tentait plutôt de tempérer l'enthousiasme collectif sur ces sujets.
Fukushima en 2011 représente un véritable retournement, avec deux enjeux pour les pouvoirs publics et les acteurs. Le premier enjeu était de tirer les enseignements de cet accident, avec la réalisation des « stress tests » sous l'autorité de l'ASN, et les décisions d'investissement, d'équipement et de renforcement de sûreté qui en ont découlé. Le second enjeu était de reconstruire la confiance.
En parallèle de Fukushima sont apparues les difficultés sur la conduite des projets. Les difficultés sur OL3 (Olkiluoto) ont été initialement expliquées par le manque d'expérience d'ensemblier d'Areva dans le domaine. Puis les premières difficultés sur Flamanville sont arrivées et étaient, dans un premier temps, considérées comme des « péripéties ». Dans les premières années, les incidents trouvaient toujours une explication, sans forcément être raccrochés à une cause plus systémique, dont la meilleure analyse a été donnée par le rapport de M. Jean-Martin Folz.
Ces éléments de contexte dans l'énergie et le nucléaire permettent de mieux comprendre le chemin de l'ARENH. L'objectif de l'ARENH en 2007 était clairement de protéger les consommateurs, en leur faisant bénéficier de la « rente nucléaire » (rente inframarginale), avec un nucléaire nettement moins cher que les centrales à gaz. Cette démarche devait s'effectuer en conciliant l'ouverture du marché dans lequel nous nous étions engagés et en préservant l'intégrité du groupe EDF. Le contexte n'était pas celui du renouvellement du parc. Nous n'étions donc pas dans des logiques d'investissement, mais dans des logiques d'allongement de durées de vie et donc de rénovations lourdes. Enfin, nous devions sortir des dispositifs d'urgence, avec notamment le Tartam.
Par ailleurs, nous ne pouvions pas sortir du marché européen, car ce dernier existait déjà, avant même l'ouverture des marchés. Or, la France, totalement interconnectée, ne peut pas s'isoler du reste du marché. Cette situation permet d'ailleurs d'exporter quand les quantités sont trop importantes et d'importer dans la situation inverse. La première des sécurités est l'interconnexion. Nous devions donc rester dans le marché européen. La situation espagnole est très différente car ce pays est peu connecté. De surcroît, la majorité des États membres s'orientait vers l'ouverture des marchés.
En outre, capter la rente nucléaire était intéressant, car le nucléaire était nettement moins cher que le marché. Nous devions donc permettre aux consommateurs (particuliers et industriels) de bénéficier de cette rente.
À certains égards, nous sommes revenus dans une situation quelque peu identique actuellement, avec des prix très élevés et la nécessité de faire bénéficier les consommateurs français de la compétitivité de leur parc nucléaire (lorsque le niveau de production se sera redressé).
Nous avons travaillé sous l'égide de la Commission Champsaur qui a fait appel à des économistes, à des experts, ainsi qu'à des parlementaires sur une base bipartisane. Les auditions ont duré quatre mois, à un rythme soutenu. Nous sommes notamment arrivés à la conclusion que l'ouverture de la concurrence ne pouvait pas se faire sans nucléaire, dans un contexte où nous n'investissions pas à court terme. Néanmoins, plusieurs acteurs indiquaient leur volonté d'investir ultérieurement en France ou à l'étranger dans le nucléaire. Le nucléaire pouvait donc être considéré comme une sorte d'infrastructure essentielle, dont l'accès devait être ouvert aux concurrents, dans des conditions de couverture de coûts complets.
Plusieurs options ont été envisagées, notamment celle de la vente sur le marché et de la taxation (capter la rente et la redistribuer). Ce dispositif, probablement le plus vertueux d'un point de vue économique, n'a pas été retenu, car il posait un risque de « mauvaise gouvernance ». Nous avons donc opté pour un dispositif « physique », ce qui a amené à la construction de l'ARENH.
La deuxième caractéristique de l'ARENH était son prix de vente, qui a donné lieu à de nombreux débats avec EDF, in fine non conclusifs. Différents modèles existaient, avec le coût de renouvellement de long terme qui était le plus logique dans une démarche de renouvellement. Or, cette possibilité a été écartée, car le renouvellement était lointain et le dispositif que nous mettions en place était justement transitoire.
Le modèle de rémunération de base d'actifs existait également. L'idée était de prendre une base d'actifs et de la rémunérer. Néanmoins, cette démarche était difficile à mettre en place, car le parc avait été en grande partie remboursé dans les années 90. Une réévaluation conventionnelle de la base d'actifs était donc nécessaire. Or, cette réévaluation était difficilement justifiable.
La troisième méthode était celle des coûts courants économiques, qui avait été élaborée avec monsieur Champsaur. L'idée était de couvrir l'ensemble des coûts d'EDF pendant la période de régulation (exploitation, investissement dans l'allongement de durée de vie, et investissement post-Fukushima). Ce modèle était plutôt « confortable » pour EDF, car tout était payé sur la période de régulation d'une quinzaine d'années, alors même que l'allongement de durée de vie allait s'étaler sur 10 ou 20 ans. En théorie, l'ARENH devait donc tout financer, y compris le grand carénage et le « post-Fukushima ». Par la suite, ce qui a posé problème, ce n'est pas l'estimation du coût du grand carénage me semble-t-il mais la difficulté à tenir industriellement le calendrier du programme des visites décennales et de maintenance.
Enfin, la loi prévoyait la possibilité de signer des contrats de long terme qui impliquaient un partage de risques entre EDF et les signataires, pour obtenir un prix moins cher que le prix régulé (sans risque). Les accès que nous avions au nucléaire étaient fixés en fonction des parts de marché (prévisionnelles, puis effectives) des concurrents d'EDF. Cette démarche permettait de s'assurer que le courant obtenu à un prix « nucléaire » était bien destiné à des consommateurs français. Dans le cas contraire, un correctif de prix permettait de récupérer l'avantage transféré.
L'ARENH ne prévoyait pas de traiter le nouveau nucléaire. Nous devions continuer à travailler sur le « market design » européen et sur les mécanismes de couverture des futurs réacteurs. Nous avions d'ailleurs été impliqués dans la mise en place des dispositifs équivalents au Royaume-Uni. Nous avions aidé à défendre le dispositif britannique auprès de la Commission européenne à l'époque (avec les « contracts for difference »).
La rente « inframarginale » est bien revenue au consommateur. Le dispositif a fait en sorte que le consommateur, in fine, bénéficie de prix de marché ou de tarifs bas.
En revanche, trois éléments ont mal fonctionné. Premièrement, nous n'avions pas envisagé de fluctuations de prix importantes, avec notamment des prix, pendant une longue période, inférieurs à la capacité la moins chère (le nucléaire historique). Cette situation semblait impossible. Les acteurs ont d'ailleurs mis du temps à comprendre pourquoi, l'effet de la crise passé, les prix ne remontaient pas, malgré la fermeture de capacités. Cette situation a offert un droit d'option gratuit aux concurrents d'EDF, pour éventuellement venir se servir en fonction des prix de marché et des prix du nucléaire. Cette situation a été perturbante et pénalisante financièrement pour EDF, car de la valeur finissait chez les fournisseurs alternatifs, de manière indue. Le dispositif n'avait clairement pas prévu une telle situation.
Nous pensions avoir choisi le dispositif qui, en matière de régulation, était le plus robuste et le plus facile à mettre en place. Or, le gouvernement et EDF (puis après la Commission européenne) ne sont pas parvenus à se mettre d'accord sur le décret qui permettrait de fixer, dans la durée, le prix de l'ARENH. Ce prix a initialement été fixé à 42 euros. Dans notre perception, ce prix correspondait approximativement au coût complet couvrant notamment le grand carénage et le « post-Fukushima ». Or, cette approximation nécessitait la mise en place d'un dispositif de rajustement dans la durée.
L'incapacité à sortir du décret a été réellement pénalisante, car nous n'avons pas pu nous ajuster au coût réel du grand carénage. De plus, nous n'avons pas pu tenir compte de l'inflation ni du coût réel des investissements post-Fukushima. En outre, cela n'a laissé aucun espace économique offrant un intérêt à signer des contrats de long terme par ailleurs.
La troisième difficulté est arrivée plus tardivement. Le système n'étant pas totalement robuste et automatisé, le plafond de l'ARENH a été atteint avec la diminution du nucléaire et la progression des parts de marché des concurrents. Une décision difficile devait donc être prise, entre remonter le plafond de l'ARENH ou réaugmenter artificiellement les tarifs pour éviter de créer un « ciseau tarifaire » (situation où l'égalité de traitement entre les alternatifs et EDF ne serait plus assurée). Cette décision, probablement inévitable, a été prise tardivement et au pire moment. En effet, EDF avait déjà revendu toute son électricité et a dû la racheter à un prix extrêmement fort pour pouvoir la revendre à l'ARENH. Une part de rente a été prise à EDF, qui a également dû racheter le courant pour le revendre à un prix bas.
En présentant ces éléments, mon objectif n'est pas de défendre l'ARENH, mais de tirer des enseignements et de mettre en lumière les éléments qui ont plus ou moins bien fonctionné.
Ce type de dispositif a pour objectif de restituer la performance du nucléaire au consommateur. Encore faut-il bien s'assurer que tous les consommateurs puissent réellement en bénéficier dans la durée. Or, ce que nous avions obtenu de la Commission européenne à l'époque, avec la prise en compte des consommateurs industriels, ne pourrait probablement plus être accepté de nos jours.
Par ailleurs, les dispositifs doivent être robustes face à des retournements forts et durables des marchés et à des ruptures technologiques. Dans ce contexte, notre idée initiale d'avoir simultanément un dispositif physique et financier était probablement une erreur. Un dispositif exclusivement financier aurait probablement été préférable.
Enfin, il est nécessaire d'être vigilant sur les conditions de régulation, car les tentations et les injonctions contradictoires sont fortes. Nous souhaitons tous qu'EDF puisse investir et redresser son parc. Or, une pression extrêmement forte existe de la part de l'État régulateur pour ne pas remonter les tarifs quand cela est nécessaire. Cette question n'est pas d'actualité avec des prix anormalement hauts. Néanmoins, faire évoluer les tarifs est toujours compliqué quand l'exposition de l'État est trop importante. Les dispositifs doivent donc être relativement automatisés.