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Intervention de Géraldine Bannier

Réunion du mardi 24 janvier 2023 à 21h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGéraldine Bannier, rapporteure pour avis :

Notre commission est saisie pour avis sur ce texte car deux de ses dispositions auront, l'une, une incidence sur la filière des imprimés et papiers graphiques – tout le papier qui n'est pas destiné à l'emballage – l'autre, un impact majeur sur la filière de la presse papier.

La genèse de ce texte remonte à la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite loi Agec, qui visait à réduire notre production de gaz à effet de serre, à mieux organiser le tri et le recyclage de nos déchets, et à responsabiliser les producteurs ou « metteurs sur le marché » – tous objectifs vertueux en matière d'environnement.

Les producteurs doivent ainsi s'acquitter de leur obligation en créant collectivement des éco-organismes agréés, dont ils assurent la gouvernance et auxquels ils transfèrent leur obligation par le versement d'une contribution financière. Ainsi, l'éco-organisme Citeo vise, depuis 2017, à renforcer la compétitivité des filières de collecte et de recyclage des emballages ménagers et des papiers graphiques.

Au demeurant, dans une grande partie de notre territoire, les poubelles et les containers à déchets – les « bacs jaunes » – sont déjà communs pour les déchets d'emballages et les papiers. Il paraît donc opportun de renforcer cette synergie en fusionnant les deux filières à responsabilité élargie que sont la filière relative aux emballages et celle des imprimés et papiers graphiques.

Les conséquences de cette fusion, qui, de l'avis d'interlocuteurs auditionnés, réduirait les coûts de structure, doivent être bien évaluées. La fusion conduirait à regrouper la filière REP emballages, en bonne santé économique, très polluante et aux déchets très nombreux, avec la filière REP des imprimés et papiers graphiques, fragilisée depuis de nombreuses années, et plutôt vertueuse en matière environnementale.

Ses acteurs n'ont pas manqué, lors des auditions, d'appeler l'attention du législateur sur leur situation. Ainsi, Copacel, l'Union française des industries, des cartons, papiers et celluloses, a fait part de ses réticences. D'abord, parce que la nouvelle filière REP unifiera deux cahiers des charges bien distincts pour en créer un cahier plus dense et plus complexe. Ensuite, parce que, dans cette filière unifiée, la filière des imprimés et papiers graphiques, ne pèsera que 10 % des déchets produits face à la filière emballages – elle ne pèse déjà que 120 millions d'euros, contre 1 milliard pour le papier d'emballage. Elle sera donc de faible poids face à une filière en pleine expansion.

Enfin, l'une des réticences des acteurs de la filière relative aux papiers graphiques porte sur la fin, prévisible selon eux, du taux d'acquittement dont elle bénéficie. Ce taux représente le rapport entre les tonnages de déchets de papiers graphiques issus d'entreprises qui s'acquittent de leur contribution et l'ensemble des papiers graphiques assujettis à la filière REP. Il en découle le pourcentage des assujettis qui ne remplissent pas leurs obligations – les « passagers clandestins » ou free riders – c'est-à-dire la masse de déchets papier d'origine étrangère et inconnue ainsi que ceux qui en sont exonérés, soit un total de 13,5 %. Concrètement, la compensation, par les collectivités territoriales, de ce taux d'acquittement représentait une aide financière substantielle pour la filière des imprimés et papiers graphiques.

Cette aide est toutefois perçue comme une charge financière pour les collectivités en charge de la gestion des déchets, lesquelles financent la collecte, le tri et le recyclage de ces papiers dont les émetteurs ne paient pas d'écocontribution.

Un scénario probable, qui répondra peut-être aux acteurs de la filière des papiers graphiques et des collectivités territoriales, est qu'à terme, la filière emballages puisse compenser ce manque à gagner venu de l'autre filière, en l'aidant à supporter financièrement ces coûts, puisque cette filière bénéficie a contrario d'une hausse forte et constante de son chiffre d'affaires. L'éco-organisme Citeo pourrait aussi supporter les coûts liés aux free riders en lieu et place des collectivités territoriales.

Le second volet de la proposition de loi porte sur la situation de la presse et sur son exemption de cette nouvelle filière fusionnée, conditionnée à la mise à disposition d'encarts consacrés à la transition écologique. D'un point de vue principiel, la presse papier ne peut évidemment pas être regardée comme un simple déchet. Elle est certes un produit potentiellement jetable mais sa vocation n'est pas d'être immédiatement mise aux ordures comme un carton d'emballage ou un emballage plastique.

Comme la filière des imprimés et papiers graphiques, la presse est devenue un acteur économique fragile. La France ne dispose plus que d'un seul site de production de papier pour la presse, l'usine de Golbey dans les Vosges, qui fabrique de la pâte de papiers récupérés, de la pâte de bois et du papier.

S'agissant de la fabrication du papier, de nombreuses contrevérités, parfois proférées par des acteurs très influents, continuent de circuler. Non, on n'abat pas des forêts entières pour éditer nos journaux ou nos livres. Que ce soit pour l'édition ou la presse, le papier est constitué de 75 % de papier recyclé et de 25 % de fibres nouvelles, prélevées sur des chutes de scierie, qui sont nécessaires pour atteindre une certaine blancheur et qualité du papier, permettant ensuite son recyclage. Seuls certains quotidiens sont fabriqués en papier intégralement recyclé. Quant aux huiles nécessaires à l'impression de la presse en quadrichromie, des efforts sont faits, quand cela est possible, pour les rendre plus respectueuses de notre environnement et passer des huiles minérales aux huiles végétales.

Une petite musique assez insistante accuse les médias papier d'être polluants, contrairement aux médias dématérialisés. C'est évidemment faux : le numérique est largement plus polluant par son fonctionnement. Rappelons qu'envoyer 12,3 mails par jour pendant un an, soit 4 500 mails, pollue autant que parcourir 100 kilomètres en voiture et qu'un mail consomme en moyenne 4 grammes de CO2. La presse ne saurait être comparée à un bidon de lessive ou à une cloison de placoplatre. Loin d'être un déchet comme un autre, la presse, comme les livres, délivre un message signifiant, s'adresse à un public, à un lectorat qu'elle a pour vocation d'informer, de faire réfléchir, d'édifier.

C'est pourquoi, en tant que rapporteure pour avis, je soutiens sans réserve la proposition contenue dans ce texte de sortir les publications de presse définies à l'article 1er de la loi du 1er août 1986 de la filière REP. Notre pays est d'ailleurs le seul à les avoir inclues dans une filière REP en 2017.

Il faut ainsi maintenir et préserver le dispositif instauré par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Ce dispositif était simple : les journaux contribuent aux objectifs de transition écologique en mettant à disposition des encarts publicitaires relatifs aux bons gestes de tri. Certains titres de presse, eux, faisaient le choix de ne pas mettre à disposition d'encarts, en versant une contribution financière.

La présente proposition de loi vise à reproduire ce mécanisme, en obligeant les acteurs de la presse, sortis de la filière REP, à participer aux enjeux auxquels nous sommes confrontés en termes de transition écologique. Les acteurs, notamment les syndicats d'éditeurs, signeraient alors avec le ministère chargé de l'environnement et le ministère chargé de la communication une convention de partenariat qui aboutirait à mettre à disposition des encarts publicitaires sur un thème – la transition écologique –, plus large que le simple message lié au tri prévu auparavant, afin de sensibiliser nos concitoyens, par ailleurs consommateurs, à une nécessaire sobriété ou à toutes les formes de pollution, y compris numérique.

Sur ce point, j'ai déposé un amendement prévoyant que le ministère chargé des collectivités territoriales soit cosignataire de cette convention. Des messages liés au tri et au recyclage pourraient ainsi être déclinés de manière plus locale et travaillés avec la presse quotidienne régionale (PQR) et les collectivités. La convention serait revue tous les trois ans, ce que prévoit un amendement du rapporteur au fond. Une telle révision permettrait, par un dialogue permanent avec les éditeurs de presse et leurs syndicats représentatifs, d'intégrer des critères d'écoresponsabilité soutenables, au fur et à mesure des évolutions techniques – ces acteurs en respectent déjà beaucoup.

En somme, il s'agit de continuer à faire fonctionner un système qui donne satisfaction par le biais du concours en nature. Citeo, l'éco-organisme en charge des filières REP relatives aux emballages et papiers graphiques, estime que la presse remplit bien ses obligations et son rôle dans ce cadre, puisque 85 % du taux de financement dont elle s'acquitte est effectué en nature.

Pour ce qui me concerne, je ne suis pas favorable à ce que les conventions de partenariat nouvellement créées établissent des distinctions en fonction des titres de presse, à partir du moment où nous parlons de publications définies précisément à l'article 1er de la loi du 1er août 1986.

Pour conclure, j'appelle votre attention sur le nécessaire soutien aux collectivités locales, afin que les recettes perdues puissent être compensées à due concurrence, dans un contexte d'inquiétude forte, liée au sujet annexe de la hausse de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP).

Il est indispensable d'être vigilant quant à l'avenir de la filière des imprimés et papiers graphiques hors presse. Une fusion avec le géant que constitue la filière REP emballages pourrait être une bonne chose, à condition que soit conservée une attention accrue à ce secteur fragile mais qui reste apprécié de nos concitoyens. Le papier – autre qu'emballage – demeure une matière à part, sensible, dans tous les sens du terme, et porteuse de solutions pour l'avenir.

Enfin, il convient de perpétuer la contribution en nature pour la presse, afin de permettre à ce secteur en difficulté de poursuivre l'adaptation de son modèle. Nul ne peut réellement augurer de l'avenir de la presse papier. La vertu écologique en ce domaine n'est pas forcément celle qu'on croit. Elle reste évidemment à défendre pour sa vertu patrimoniale, démocratique et, évidemment, culturelle.

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