Je crains de ne pas être totalement à la hauteur des sujets qu'il voulait aborder mais je ne doute pas qu'il le fasse d'ici peu de temps.
Nous examinons aujourd'hui une proposition de loi d'une ambition raisonnable, ce qui ne signifie pas qu'elle ne soit pas indispensable au bon fonctionnement de nos institutions. C'est pourquoi il a été choisi de recourir à la procédure de législation en commission sur l'ensemble de ses articles. Je remercie les différents groupes d'avoir, si je puis dire, joué le jeu en ne s'opposant pas à ce choix. Nous devons tous garder nos forces, je crois, pour les jours et les semaines à venir ! D'aucuns considéreront que nous pourrions en avoir besoin.
Je vous rappelle le contexte dans lequel s'inscrit cette proposition de loi déposée par le président de la commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet. Au mois de septembre 2023, environ la moitié des 162 000 grands électeurs seront appelés aux urnes pour renouveler 170 des 348 sièges du Sénat. Vous le savez, depuis 2003 et la réduction du mandat sénatorial de neuf à six ans, le renouvellement du Sénat s'effectue par moitié et non plus par tiers.
Ce scrutin présente plusieurs spécificités. Comme le prévoit l'article 24 de la Constitution, il se déroule au niveau des départements et au suffrage indirect. Compte tenu de la taille limitée du corps électoral, les opérations de vote se terminent généralement avant la fermeture du bureau, ce qui permet le dépouillement anticipé des bulletins – nous verrons que cela a son importance.
Par ailleurs, deux modes de scrutin coexistent : si le scrutin majoritaire à deux tours a été conservé dans les départements où sont élus un ou deux sénateurs, dans les départements désignant trois sénateurs et plus, l'élection se déroule depuis 2000 au scrutin de liste, paritaire, à la représentation proportionnelle. Enfin, le scrutin, quel qu'en soit le mode, se déroule pendant une seule journée et dans un bureau unique, installé au chef-lieu du département.
Ces trois éléments sont d'importance pour comprendre le texte qui nous est soumis.
D'initiative sénatoriale, la loi du 2 décembre 2019 visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral a étendu aux élections sénatoriales certaines exigences applicables aux autres élections, notamment législatives, en matière de propagande électorale.
Si elle visait, à juste titre, à améliorer la transparence du scrutin, la coexistence des deux modes de scrutin et le déroulement de l'élection sur une seule journée ont entraîné, lorsqu'elle a été appliquée à l'occasion des élections sénatoriales de septembre 2020, quelques effets de bord – disons-le de manière taquine – que nos collègues sénateurs n'avaient pas forcément anticipés et qu'il convient de corriger.
En effet, les élections sénatoriales de 2020 ont mis en évidence deux difficultés dans l'application de la loi du 2 décembre 2019 et qui tiennent à la publication des résultats et à la possibilité de faire campagne entre les deux tours.
D'abord, la loi étendant aux élections sénatoriales les dispositions de l'article L. 52-2 du code électoral, il est devenu impossible de publier les résultats dans un département avant que le dernier bureau de vote métropolitain n'ait été fermé. Or, comme je l'ai indiqué, les opérations de vote et le dépouillement se font traditionnellement au fil de l'eau pour libérer les grands électeurs et cela n'a jamais posé de difficulté. Au contraire, cette nouvelle disposition a suscité des problèmes : puisqu'elle interdit la publication des résultats, même si le premier tour était clos à onze heures dans les départements votant au scrutin majoritaire, les bureaux restaient ouverts toute la journée. Il fallait donc attendre dix-sept heures trente pour communiquer les résultats du premier tour alors que le second commençait à quinze heures trente. Il s'agit donc d'une incongruité à corriger.
Par ailleurs, l'application de l'article L. 49 du code électoral interdit toute réunion ou communication ayant le caractère de propagande électorale la veille et le jour du scrutin. Or, le scrutin se déroulant sur une seule et même journée, la campagne d'entre deux tours est de facto illégale. Nos collègues sénateurs avaient l'habitude d'organiser des déjeuners conviviaux les jours de scrutin, ce qui peut s'entendre et ne mérite pas de mettre en péril la sincérité du scrutin.
Or le Conseil constitutionnel a dû se prononcer sur plusieurs recours, concernant l'organisation de repas ou l'envoi de messages aux grands électeurs entre les deux tours. Le Conseil constitutionnel n'a pas annulé de scrutin sur ce fondement mais il a confirmé que ces actions contrevenaient aux dispositions du code électoral.
Autre conséquence de l'application de cette disposition : les dépenses engagées n'ont pu faire l'objet d'un remboursement au titre des frais de campagne. Cela n'est pas davantage justifié, dans la mesure où les dépenses sont plafonnées à 10 000 euros par candidat, plus 5 ou 2 centimes d'euros par électeur.
La présente proposition de loi, adoptée par le Sénat le 6 décembre dernier, prévoit donc deux dérogations pour corriger ces dysfonctionnements. Elle exclut l'application de l'article L. 52-2 du code électoral aux élections sénatoriales pour permettre, comme c'est le cas dans les départements d'outre-mer, de publier les résultats département par département, dès la fermeture du bureau de vote du département. Cela permettra aux préfectures de garder la main sur la divulgation des résultats plutôt que de les voir fuiter durant la journée. Nous nous sommes demandé en commission si la publication précoce de résultats pouvait influencer le scrutin dans d'autres départements, mais je crois que seule la publication officieuse, sous le manteau, peut avoir un effet délétère.
La proposition de loi prévoit que, dans les départements où l'élection se déroule au scrutin majoritaire, les candidats ne sont pas soumis aux obligations résultant de l'article L. 49 du code électoral. Ils sont ainsi autorisés à faire campagne entre la fin du premier tour et le début du second tour, tout en restant soumis, comme c'est le cas depuis 2019, aux règles de bienséance qui régissent les campagnes électorales.
En accord avec la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, le rapporteur du Sénat a complété le texte par un article 1er bis, qui permet aux candidats d'inscrire à leur compte de campagne, pour remboursement, les dépenses engagées entre les deux tours.
Enfin, l'article 2 précise que cette modification du code électoral concerne l'ensemble du territoire de la République – une précision utile pour les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution et pour la Nouvelle-Calédonie, qui obéissent au principe de spécialité législative.
La commission des lois est profondément attachée à ce que le renouvellement partiel du Sénat se déroule, en septembre, dans les meilleures conditions. Elle s'est prononcée à l'unanimité en faveur de l'adoption, dans les mêmes termes, de cette proposition de loi. J'espère qu'il en sera de même cet après-midi. .