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Intervention de Sophie Debail

Réunion du jeudi 8 décembre 2022 à 8h00
Groupe de travail sur le développement durable de l'assemblée nationale

Sophie Debail, cheffe de la division des achats et de la commande publique à la direction des achats et des finances :

Je vous remercie de m'avoir conviée à cette audition. Ceci est, à ma connaissance, un exercice inédit pour notre division. La DACP, au sein de la direction des achats et des finances, est en premier lieu en charge de la régularité des procédures de passation de marchés. A ce titre, elle procède à la validation juridique des principaux marchés, à la publication des pièces et aux relations avec les soumissionnaires en cours de procédure.

En deuxième lieu, elle veille également à la performance économique des achats publics, elle procède à l'analyse du tissu d'entreprises susceptibles de répondre à nos consultations et aux pratiques des acheteurs qui nous sont comparables ; c'est-à-dire des opérations généralement nommées sourcing et benchmark. Elle est composée d'un pôle de juristes et d'un pôle d'acheteurs, soit une douzaine de personnes. Il s'agit donc essentiellement d'un service support aux autres directions.

Pour commencer, je tiens à brosser à grands traits le cadre législatif et réglementaire, avant de vous présenter les actions que nous menons à l'Assemblée pour promouvoir l'achat responsable et esquisser enfin quelques pistes de réflexions pour l'avenir.

Plusieurs évolutions législatives sont intervenues au cours des dernières années. Elles permettent à l'acheteur public de tendre davantage vers l'achat responsable. La commande publique a pour but d'apporter une réponse à des besoins d'un acheteur public en matière de travaux, de fournitures et de services qui ne peuvent pas être résolus en interne.

Elle vise également à faire appel à des opérateurs économiques au terme d'une procédure de mise en concurrence, pour sélectionner la meilleure offre possible. Il s'agit là d'un levier extraordinaire des politiques publiques, compte tenu de leur poids économique (200 milliards d'euros). Ceci explique la mise en œuvre d'une démarche progressive et accélérée de l'achat public au service du développement durable, un développement économiquement efficace, socialement responsable et écologiquement soutenable.

D'une démarche essentiellement incitative depuis la directive de 2004, nous avons évolué vers des obligations progressives dans les lois plus récentes. Ainsi, davantage de possibilités de promouvoir la RSE dans l'achat public s'offrent à nous. Nous changeons très clairement de dimension avec l'entrée en vigueur de la loi climat et résilience.

Malgré le volontarisme du législateur, des obstacles demeurent néanmoins. Les premiers sont d'ordre juridique : les trois principes cardinaux de la commande publique (l'égalité de traitement des candidats à l'attribution d'un marché ; la liberté d'accès à la commande publique et la transparence des procédures) ont été dégagés bien avant la prise en compte des enjeux écologiques. Ils s'inscrivent dans une logique de libre circulation des marchandises, de respect d'une concurrence saine et loyale et de garantie de chances de succès non discriminatoires entre les opérateurs économiques.

A ces trois principes s'adjoignent les principes de l'efficacité de la commande publique et de la bonne utilisation des deniers publics. L'ensemble de ces principes, regroupés au sein de l'article L. 3 du code de la commande publique, ont valeur constitutionnelle et ont d'ailleurs été sanctionnés comme tels par le Conseil constitutionnel depuis 2003.

Sur le plan juridique, la loi climat et résilience a introduit l'objectif d'achat responsable, dans un article L. 3-1, érigé en principe respecté par toute la commande publique. Cependant, cet objectif n'entraîne pas les mêmes sanctions en cas de non-respect. Il existe donc bien deux niveaux de dispositions législatives.

Or l'objectif d'un achat responsable d'un point de vue social et environnemental vient parfois contredire les principes cardinaux de la commande publique. A titre d'exemple, le principe de liberté d'accès et d'égalité de traitement proscrit a priori de retenir une règle d'implantation géographique d'un fournisseur comme critère de sélection d'une offre. De même, l'acte de privilégier les achats de produits labellisés a de grandes chances d'être plus coûteux pour les deniers publics. Enfin, dans certains marchés peu concurrentiels, privilégier l'achat de matériel d'occasion peut entrer en contradiction avec les principes de non-discrimination.

A ces obstacles de nature juridique, s'ajoutent des obstacles techniques. Ainsi, l'acheteur public n'est pas un spécialiste de tous les secteurs et a donc besoin d'un accompagnement sur la gestion sociale et environnementale des achats, à la fois au moment de la passation du marché mais aussi tout au long de son exécution. En conséquence, pour chaque marché, il convient de trouver un équilibre entre des principes fondamentaux et l'intégration des dimensions sociales et environnementales lors des différentes étapes de l'achat. Cette ligne de crête n'est pas toujours aisée à trouver.

En matière d'achat responsable, l'Assemblée nationale représente un pouvoir adjudicateur modeste, qui commande 80 millions d'euros d'achat public chaque année, contre 200 milliards à l'échelle nationale. La DACP est seulement chargée de la passation des marchés passés après mise en concurrence préalable, soit la plupart des marchés au-delà de 40 000 euros. L'Assemblée nationale passe ainsi une quarantaine de marchés en procédure formalisée chaque année et dispose d'une concession pour les sites de restauration.

Permettez-moi ensuite de vous décrire nos pratiques au fil des étapes d'un marché. La première étape consiste à croiser la définition du besoin par la direction prescriptive et notre accompagnement en sourcing et benchmark. Dans cette phase, le code de la commande publique nous oblige à tenir compte des obligations de développement durable depuis 2006. Chaque acheteur doit ainsi définir l'étendue de ses besoins en prenant en compte la question du développement durable, notamment ce qu'il peut ou non internaliser.

Parallèlement, la DACP apporte son soutien via des opérations de benchmark pour identifier ce que des pouvoirs adjudicateurs comparables ont déjà réalisé. Le sourcing consiste quant à lui à prendre contact avec des acteurs d'un marché pour identifier le mode de fonctionnement, les coûts, les innovations technologiques et les pratiques environnementales vertueuses pour adapter ensuite la stratégie aux meilleurs pratiques.

Cette phase de sourcing est vraiment cruciale. Elle permet par exemple de savoir que l'on peut faire appel à des matériaux plus ambitieux, de préconiser des produits reconditionnés ou de réserver des lots à des établissements ou services d'aide par le travail (ESAT). Elle offre ainsi l'opportunité de rétroagir sur la définition initiale du besoin, pour proposer une stratégie contractuelle adaptée et des clauses sociales et environnementales plus ambitieuses.

Actuellement, nous disposons de sept lots réservés dans nos marchés, notamment en matière d'hygiène et d'entretien, de blanchissage et de peinture. Il arrive également qu'une entreprise d'insertion sans lot réservé parvienne à remporter un marché. C'est le cas par exemple du marché des plateaux repas. Pour autant, le lot réservé permet de promouvoir davantage ce secteur d'activité. Le référent handicap de la direction de ressources humaines de l'Assemblée nationale est naturellement très demandeur de ce type d'action, dans la mesure où cela de permet de diminuer la contribution que l'Assemblée verse volontairement au fonds pour l'insertion des personnes handicapées.

La deuxième étape de la constitution d'un marché porte sur la spécification technique du dossier de consultation des entreprises. Ainsi, si une offre méconnait une spécification substantielle d'un marché, elle est rejetée pour irrégularité. La jurisprudence nous impose également d'exiger des candidats le respect de certaines normes et labels dès lors que les exigences de ces derniers sont liées à l'objet du marché. Les labels doivent ainsi être fondés par un organisme tiers indépendant, sur ces critères objectivement vérifiables et non discriminatoires.

A travers ces spécifications techniques, nous pouvons également exiger des performances spécifiques comme l'utilisation ou l'interdiction de tel matériau, l'emploi de matières recyclables ou le mode de livraison. Ces exigences peuvent également être assorties de pénalités en cas de non–respect lors de l'exécution. A titre d'exemple, l'Assemblée nationale dispose de plusieurs marchés de nettoyage de locaux. Tous exigent l'utilisation de produits d'entretien écolabellisés et la mise à disposition de matériel prévenant l'apparition de troubles musculo-squelettiques. De même, le marché de collecte et de traitement des déchets contient une clause sur la conformité des véhicules de collecte aux normes anti-pollution. Plus largement, la plupart de nos marchés contiennent une obligation contractuelle de recyclage des déchets produits ou la fourniture de schéma d'organisation des déchets, assortie de pénalités.

Au-delà de ces spécifications techniques, il est également possible de jouer sur les critères d'attribution d'un marché. Le code de la commande publique nous donne ainsi l'obligation de confier le marché au soumissionnaire qui a proposé l'offre la plus économiquement avantageuse, sur la base d'un certain nombre de critères. Nous utilisons ces fondements juridiques pour établir des critères environnementaux, parfois lors de la phase de candidature mais essentiellement lors de la phase d'offre. La loi climat et résilience oblige ainsi les acheteurs, à compter d'août 2026, de prévoir a minima un critère d'attribution permettant de juger des caractéristiques environnementales des offres des candidats. Ceci diffère de la spécification technique, qui constitue une exigence minimale : un critère est une simple préférence.

Dans certains marchés, lorsque cela est pertinent, il existe un cumul des clauses techniques environnementales et un critère d'attribution. Ce dernier permet d'octroyer des points supplémentaires au candidat qui offre une performance accrue. Le critère doit obligatoirement :

- être lié à l'objet du marché ;

- ne pas conférer au pouvoir adjudicateur une liberté inconditionnée de choix ;

- être expressément mentionné dès le lancement du marché ;

- respecter les principes cardinaux de la commande publique.

L'exécution du critère doit également être objectivement contrôlable par le pouvoir adjudicateur et la pondération être proportionnée aux enjeux environnementaux du marché en question, dans la mesure où un barème de notation traduit une hiérarchie des préférences de l'acheteur public. L'Assemblée nationale pondère le plus souvent ses critères environnementaux à la manière des autres pouvoirs adjudicateurs, soit entre 5 et 10 % du poids total des critères.

La quatrième phase de passation de marché, la négociation, est assez peu fréquente, mais ces rares procédures permettent néanmoins de mettre l'accent sur la pratique RSE de l'entreprise.

La dernière phase concerne les conditions d'exécution, qui sont fixées par les clauses contractuelles. Un marché peut en outre être réexaminé en cours d'exécution, ainsi que le code de la commande publique le permet. Ce réexamen peut par exemple permettre de proposer au titulaire du marché d'améliorer sa performance sociale et environnementale.

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