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Intervention de Éric Lombard

Réunion du mardi 10 janvier 2023 à 17h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts :

Monsieur le président, je maintiens mon analyse quant au dérèglement du capitalisme. La rémunération du capital est élevée, et il tend à se concentrer dans quelques mains seulement. Cette tendance est plus marquée aux États-Unis, où le pouvoir d'achat des classes moyennes stagne depuis vingt ans, qu'en Europe, où il existe des mécanismes stabilisateurs, mais le déséquilibre est réel.

Alors, que faisons-nous ? Dans l'univers concurrentiel où opèrent certaines de nos filiales, nous jouons à armes égales. Nous veillons, comme d'autres sociétés privées, à ce que les règles d'éthique et de partage de la valeur soient au meilleur niveau. En revanche, pour ce qui est de la rentabilité du capital, qui est l'élément clé selon moi, il serait compliqué de ne pas jouer avec les mêmes règles que nos concurrents, même si nous essayons de les faire évoluer.

Dans l'activité non concurrentielle, c'est différent. Le coût du capital de la Banque des territoires y est de 4 %, contre 8 % pour les autres activités – ce qui reste malgré tout plus faible que ce que proposent beaucoup d'acteurs privés. Cela veut dire qu'une part plus importante de la valeur de nos investissements est transférée aux territoires, aux institutions, et aux entreprises dans lesquelles nous investissons. Dans l'ensemble du groupe, sans trop nous éloigner des pratiques en vigueur dans la fonction publique, nous tâchons d'avoir une politique salariale le plus dynamique possible, qui privilégie le rattrapage des salaires modestes. Les salaires des dirigeants n'ont quant à eux rien de commun avec ceux pratiqués dans le privé – en adéquation d'ailleurs avec leurs choix personnels.

Pour ce qui est de la bifurcation écologique, certes notre portefeuille reste brun, mais nous sommes dans une dynamique : nous avons pris des engagements de décarbonation qui sont très ambitieux. Nous avons déjà baissé le niveau de carbone de nos portefeuilles de 40 % et allons poursuivre en ce sens.

Concernant ces investissements, nous avons en fait deux options. S'il s'agit de causes perdues ou si nous n'avons que peu d'influence, alors nous vendons. J'ai ainsi opéré il y a deux ans la cession d'un grand nombre de lignes. Si au contraire nous avons de l'influence en tant qu'actionnaire, nous menons un dialogue exigeant avec les entreprises pour qu'elles accélèrent le rythme de leur décarbonation. Quand ce rythme n'est pas respecté, cela influe sur nos votes en assemblée générale. Nous votons contre un quart des résolutions présentées, ce qui est tout à fait significatif.

Quant à GRTgaz, nous avons effectivement augmenté notre participation il y a quelques mois. En effet, le gaz est, selon l'Union européenne, une énergie de transition, nécessaire et moins carbonée que le pétrole. Surtout, ce réseau servira demain à acheminer de l'hydrogène ou du biométhane. Il sera alors un outil de la transition énergétique.

S'agissant du logement social, le concept de deuxième vie du bâtiment n'est pas récent, mais sa concrétisation l'est. Nous allons lancer une expérimentation dans les mois qui viennent, dont j'espère qu'elle sera généralisée. Cependant, il y a un écueil que je n'ai pas signalé tout à l'heure : les bâtiments de deuxième vie coûtent beaucoup plus cher qu'une reconstruction. Dès lors, il faut un soutien fiscal, qui dépend du Gouvernement, et de nouvelles règles d'agrément des projets. Nous travaillons sur toutes ces questions. Quant à la possibilité de changer les programmes en cours, cela dépend des opérateurs, des promoteurs ou encore des élus. Nous sommes à leur disposition, et nous savons faire preuve de flexibilité, comme l'a signalé M. le rapporteur général.

Quelques mots quant à votre interrogation, tout à fait légitime, M. le président, sur le timbre rouge. La Poste est un grand service public qui fait face à une transformation considérable. Elle distribuait 18 milliards de lettres par an en 2010, et 6 milliards seulement l'année dernière. Combien d'entreprises de cette taille ont connu une division par trois de leur activité ? En outre, le timbre rouge, si important dans le passé, ne représentait plus que 1,5 % de ces 6 milliards de lettres, en constante perte de vitesse, comme cela est ressorti des 22 000 personnes que La Poste a interrogées avant d'élaborer sa nouvelle gamme.

Pour rendre opérationnel ce timbre rouge, La Poste doit gérer trois lignes aériennes et 300 transports par camions – parfois pour 500 lettres. C'est une source importante d'émissions de carbone ainsi qu'une perte de temps et d'énergie. Le service universel postal, qui est une des quatre missions de service public de La Poste, est une activité absolument essentielle, mais qui est déficitaire de 1,2 milliard chaque année – déficit que compense l'État à hauteur de 520 millions. Il est donc logique de rechercher des économies du côté des services les moins utilisés – la plupart des ménages n'envoient que quatre lettres par an, et très peu avec un timbre rouge – sans que cela change quoi que ce soit à nos engagements de maintien du réseau et de passage du facteur, six jours sur sept.

Madame Dalloz, le pilotage de notre efficacité opérationnelle doit nous donner une vision claire, sous le contrôle de la commission de surveillance, du coût de nos opérations, qui doit être en adéquation avec leur utilité. Cela ne veut pas dire que toutes nos opérations doivent être bénéficiaires. Beaucoup sont déficitaires et nous l'assumons : cela fait partie de notre mission d'entreprise publique. Mais tout cela manquait de transparence et la refonte du modèle de coûts doit nous permettre de prendre des décisions plus éclairées.

Pour ce qui est de la valorisation de notre portefeuille depuis 2017, le calcul de la fin d'année n'est pas encore finalisé mais nos actifs sont très résilients, puisque ce sont surtout des infrastructures. Certains, très peu, sont cotés en Bourse. Il est clair que les activités énergétiques ont plutôt tendance à prendre de la valeur en ce moment.

Venons-en à nos relations avec l'Agence des participations de l'État. Dans le secteur public, il y a trois grands porteurs d'actions : Bpifrance, que nous codétenons avec l'APE, la Caisse des dépôts et l'APE. La Caisse agit en autonomie, en toute indépendance, sous l'autorité de la commission de surveillance et du Parlement. Mais évidemment, comme il s'agit d'argent public, nous nous parlons, nous nous voyons régulièrement et nos actions sont très coordonnées. J'ai eu l'occasion, dans le livre que j'ai publié il y a un an, de citer des moments de tension, parce qu'il arrive que nous soyons en négociation avec l'APE. C'était le cas sur les opérations concernant La Poste et SFIL. Nos intérêts étaient divergents, mais cela s'est passé de façon tout à fait professionnelle et si ces deux phases de négociation ont pu être un peu compliquées, notre relation avec l'APE est bonne. Quand c'est possible, nous tendons à spécialiser nos engagements.

Pour ce qui est du référé de la Cour des comptes sur le critère de déclenchement de l'intéressement, il y a une petite contradiction. Il est vrai que ces critères ne sont pas très exigeants, mais comme les collaborateurs de la Caisse des dépôts sont particulièrement engagés, le fait que l'intéressement s'applique le plus souvent ne me paraît pas être une mauvaise chose, d'autant qu'il n'atteint pas le maximum permis par la loi – il représente 8 % de la masse salariale, pour un maximum autorisé de 20 %. Au demeurant, l'intéressement s'applique proportionnellement plus aux bas qu'aux hauts salaires. Nous accordons, avec des critères plus exigeants, des primes sur objectifs, individuelles, qui intègrent des éléments d'incitation liés à la performance. Nous avons donc un petit désaccord d'appréciation avec la Cour des comptes.

Monsieur le rapporteur général, ai-je un regret ? Quand on est en fin de mandat, on regrette souvent de ne pas avoir été plus rapide, mais il faut se plier au rythme des choses. Je profite de la présence de la ministre Nadia Hai pour dire que nous avons vraiment bien avancé sur la politique de la ville, et notamment sur le développement de l'entrepreneuriat dans les quartiers. C'est, je trouve, un beau succès. Le regret, qui j'espère sera effacé par les projets qui s'annoncent, est de ne pas avoir pu faire pour les quartiers ce que nous avons réalisé dans le cadre de Petites Villes de demain et d'Action cœur de ville. Mais comme des graines ont déjà été semées, je pense que cela pourra se faire rapidement, grâce à Quartiers 2030 notamment.

L'ingénierie est une source de dépenses très importante pour la Caisse. Nous la subventionnons, car nous considérons qu'elle est d'une grande importance pour les collectivités locales. Dans le cadre de Petites Villes de demain, nous avons par exemple dégagé 200 millions pour cofinancer les experts qui vont aider les élus à construire des plans d'aménagement urbain. Dans Action cœur de ville, nous y consacrons 100 millions pour 1 700 communes, parce que, même s'il s'agit de villes moyennes, un soutien financier de la Caisse peut être utile. Par ailleurs, la Banque des territoires a une entité baptisée Territoires Conseils pour accompagner les élus, qui intervient de façon assez rapide. Dans ce domaine, nous travaillons étroitement avec l'ANCT. Nous siégeons à son conseil d'administration et nous nous répartissons les rôles dans une collaboration très positive.

J'en viens aux synergies que nous avons développées avec SFIL. Il en existait une au préalable, puisque SFIL refinançait La Banque postale dans son activité de financement des collectivités locales. Ce lien est sécurisé. Par ailleurs, SFIL étant une grande banque de développement et un grand émetteur sur les marchés, qui dispose de ressources à taux fixes, nous avons mis en place des lignes de taux fixes à destination de nos partenaires, refinancées par SFIL et distribuées par la Banque des territoires. Je pense notamment à une ligne de 8 milliards à destination du logement social, qui est bien nécessaire en période de hausses des taux. Nous ferons la même chose pour les collectivités locales. Un autre type de synergies consiste à empêcher que des entités ne fassent doublon. Ainsi, entre les deux acteurs qui font du financement export au sein du groupe, soit Bpifrance, sur mandat de l'État, et SFIL pour les gros contrats, la ligne de séparation est claire. Cela évite, une fois encore, le gaspillage d'argent public.

Nous allons réussir dans le cloud souverain parce que nous partons d'un savoir-faire existant, d'un très bon niveau technologique, développé par Dassault Systèmes et sa filiale Outscale. Il est déjà utilisé dans l'organisation de la circulation des avions fabriqués par Dassault ou l'élaboration par imagerie médicale des vaccins contre le covid-19. Nous voulons d'abord étendre cette technologie très avancée au service public français. Si nous réussissons cette première étape, elle pourrait être utile plus largement, y compris à l'échelle européenne. Nous sommes confiants parce que Dassault Systèmes, Docaposte, qui est la filiale de La Poste concernée, Bouygues Telecom et la Banque des territoires ont une excellente expertise et sont des partenaires de grande qualité. Nous mettrons les moyens humains et financiers qu'il faut pour réussir.

Votre question concernant l'impact de la situation macroéconomique sur les résultats de la Caisse est redoutable. Pour les gestionnaires d'actifs financiers, l'année passée a été terrible. Les actions ont baissé – même si le CAC 40 n'a finalement perdu que 10 % – tandis que la hausse des taux a fait fléchir les obligations. Jamais le portefeuille moyen d'un investisseur institutionnel n'avait autant baissé depuis 1937. Malgré cela, nous affichons de très bons résultats. Nous sommes en effet plutôt immunisés contre ce type de conjoncture, pour de multiples raisons techniques que je suis prêt à vous expliquer plus en détail.

Pour l'avenir, les phases de hausse des taux sont généralement plutôt favorables aux établissements financiers, qui ont des ressources stables ou à coûts modérés et qui peuvent prêter ou placer à des taux plus élevés. Mais cela ne sera vrai qu'à moyen terme : pour l'instant, nous en sommes au moment difficile, celui où la courbe s'inverse. Nous savons donc que les établissements bancaires et les fonds d'épargne du groupe vont connaître une ou deux années un peu plus difficiles. Nous avons planifié tout cela et réalisé des tests en partant des mauvais scénarios. Mais nous n'avons pas de motif d'inquiétude. Nous devrions même maintenir les résultats du groupe dans son ensemble.

Dernier point, l'inflation. La hausse de 2022 pèse bien sûr sur nos frais généraux, et l'inflation semble devoir se maintenir à un niveau assez élevé en 2023. La Poste est à cet égard notre filiale la plus exposée. Nous allons gérer ces impacts négatifs, mais il me paraît assez sûr, comme le prévoient les autorités européennes, que l'inflation sera maîtrisée : la hausse des prix pénalisant d'abord les personnes aux revenus modestes, c'est une nécessité de la politique publique que d'en venir à bout rapidement.

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