Chacun a constaté la baisse du nucléaire puisque les chiffres sont publics et connus des députés, des ministres et des pouvoirs publics et privés. La production nucléaire française figure chaque jour sur un registre, comme l'impose le fonctionnement des marchés. RTE en rend compte dans ses bilans prévisionnels. La baisse du nucléaire que j'ai décrite n'a pas été voulue par qui que ce soit.
S'agissant des cibles des alertes, et de leur origine, EDF est doté d'un conseil d'administration, qui est supposé suivre le productible du nucléaire et les performances de l'opérateur. RTE, dans ses bilans prévisionnels, a toujours rappelé que la baisse de production nucléaire pourrait poser des problèmes de marge. Entre le 1er novembre 2015 et le 31 août 2020, je n'avais pas la charge de ces sujets. Toutefois, j'avais bien conscience de la décrue du parc nucléaire. Aujourd'hui, chacun semble découvrir que le parc nucléaire souffre d'une baisse de performance. Pourtant, son vieillissement était une donnée connue de longue date.
Vous m'avez posé des questions sur la manière dont RTE a projeté des consommations d'un bilan prévisionnel à l'autre. Il n'y a jamais eu de virage brutal. Toutefois, RTE intègre les politiques publiques à date et les projette sur une période donnée pour estimer la consommation. Au lendemain de la crise de 2008, les bilans prévisionnels faisaient le pari d'une reprise forte, en raison de la conjoncture européenne qui tirait la consommation à la hausse. Entre 2012 et 2015, les bilans prévisionnels présentaient certaines trajectoires à la baisse, d'autres à la hausse, et une hypothèse médiane. Ce n'est qu'en 2017 que l'essentiel des trajectoires fait état d'une diminution, suivie toutefois d'un effet rebond.
Entre la fin des années 2010 et 2017, les différentes politiques de rénovation thermique des bâtiments qui ont été lancées ont influencé les projections de consommation. Par ailleurs, pendant longtemps, nous avons misé sur une forte reprise économique. Au fur et à mesure, nous avons constaté que la croissance économique était assez faible. Ainsi, en 2017, nous notions que les perspectives industrielles étaient stables en matière de consommation d'électricité. En revanche, nous avons considéré que l'électrification de la mobilité, peu présente dans les précédents bilans, entraînerait une augmentation de la consommation. Enfin, dans les « Futurs énergétiques 2050 », le principal changement vient du passage du facteur 4 à la neutralité carbone. Les hypothèses ont donc évolué, et elles expliquent les variations entre les courbes présentées.
Vous estimez qu'il aurait été demandé à RTE de présenter des tendances de consommation à la baisse pour légitimer l'objectif de 50 % de nucléaire. Deux raisons démontrent que ce n'est pas vrai. Tout d'abord, les 50 % concernent la production et non la consommation. Par ailleurs, je tiens à défendre l'entreprise que j'ai l'honneur de présider, et je ne voudrais pas laisser penser que nous travaillons sous la dictée de quiconque.
Dans le complément à « Futurs énergétiques 2050 » publié en février, nous avons montré que l'avantage de 10 milliards d'euros par an représenté par le développement du nouveau nucléaire existait dans un scénario « sobriété » et dans un scénario « réindustrialisation profonde » : que la France consomme 550 TWh d'électricité en 2050 – c'est à dire très peu –, 650 TWh – conformément à notre scénario médian – ou 750 TWh, cet avantage reste le même. L'avantage du nouveau nucléaire ne dépend donc pas de la trajectoire de consommation en France. Je constate également que de nombreux défenseurs du nucléaire projettent des consommations très hautes. Or, ces tendances ne sont pas nécessaires puisque le nouveau nucléaire se justifie même dans un schéma de sobriété, sur le plan économique.
Tous nos scénarios ne suivent pas un schéma tout EPR. Le scénario N03, ainsi, repose également sur les SMR Nuward, dont EDF a pris la tête en collaboration avec Areva TA, TechniAtome désormais, sachant qu'une capacité de 6 GW représente un nombre important de SMR. Nous nous sommes aussi appuyés sur l'hypothèse d'une prolongation de 8 GW de réacteurs au-delà soixante ans.
Aurions-nous dû nous appuyer sur l'hypothèse d'autres types de réacteurs ? Vous évoquez notamment l'Atmea, un projet de 1 000 MW défendu au début des années 2010 par Engie, Areva et Mitsubishi. Pour des raisons de souveraineté technologique, il me semble important que la France développe des réacteurs nucléaires qu'elle maîtrise elle-même. Il me paraît donc qu'il soit un peu tard pour imaginer remplacer dans vingt-huit ans des EPR par des réacteurs à 1000 MW dont nous ne disposerions ni du basic design ni a fortiori du detailed design. Le nucléaire 2050 s'appuiera sur le nucléaire déjà développé en France, EPR et Nuward, pour des raisons de souveraineté et d'indépendance technologiques.