L'indépendance de RTE est en effet une conséquence de l'ouverture des marchés voulue par le droit communautaire. RTE s'est détaché d'EDF au début des années 2000. RTE est délégataire du service public, et nous bénéficions à ce titre d'un contrat de concession dont le cahier des charges est approuvé par décret. Nous sommes un monopole régulé et indépendant, notamment vis-à-vis d'EDF.
Notre entreprise compte près de 10 000 salariés. Son chiffre d'affaires annuel s'élève à environ 5 milliards d'euros. En tant qu'opérateur de réseau, nous gérons des infrastructures et des actifs : plus de 100 000 km de ligne, 250 000 pylônes, 2700 postes électriques en exploitation, notamment avec Enedis. La transition énergétique et la modification du mix de production conduiront à des investissements majeurs dans ce domaine.
Nous sommes également chargés de l'exploitation du système électrique français, mais aussi européen. Toute l'Europe fonctionne à la même fréquence de 50 hertz. Ainsi, il nous revient d'intégrer toutes les formes de production et de consommation, et de développer les flexibilités dont nous aurons besoin à l'avenir.
Enfin, nous devons jouer un rôle d'éclaireur du débat public et des décisions publiques. Cette mission légale est prévue par l'article L141-8 du code de l'énergie.
Nous produisons des études prévisionnelles depuis le début des années 2000. Il s'agit d'études de sécurité d'approvisionnement. Cette notion repose pour l'électricité sur le critère des trois heures de défaillance des marchés, défini par les pouvoirs publics : il faut que les marchés équilibrent naturellement le système électrique, sauf, en probabilité, pendant trois heures par an.
Ces études sont publiées et ne sont jamais remises aux seuls pouvoirs publics. Elles visent à informer des prérequis et des conséquences d'un certain nombre de politiques publiques et de la transformation de notre environnement énergétique en matière de sécurité d'approvisionnement. Elles s'intéressent donc aux politiques d'évolution de la consommation et du mix électrique, et aux évolutions de fait de celui-ci. Nos rapports n'ont jamais un caractère prescriptif : ainsi, nous ne pouvons pas nous opposer à l'ouverture ou à la fermeture d'un moyen de production.
Les premiers bilans prévisionnels ont été réalisés par l'entreprise au début des années 2000, alors que la sécurité d'approvisionnement n'était pas menacée. C'est seulement un peu avant 2010 jusqu'en 2014 que la sécurité d'approvisionnement est devenue une question suscitant un intérêt croissant. En effet, à cette période, la pointe à dix-neuf heures augmente, atteignant son plus haut niveau à 102 GW en février 2012. Par ailleurs, la fermeture des moyens de production thermique – fioul et charbon – était annoncée, en application des normes européennes s'opposant à la prolongation de la durée de vie des tranches fioul et charbon. Enfin, au début des années 2000, la « mise sous cocon » des centrales à gaz commençait à se profiler du fait de tarifs d'électricité bas. Ce phénomène a donné lieu au mécanisme de capacité, conçu par RTE pour garantir une sécurité d'approvisionnement, sur lequel RTE a commencé à travailler en 2010 pour l'appliquer en 2016. Les bilans prévisionnels de RTE se concentraient donc à l'époque essentiellement sur la fermeture progressive des moyens thermiques utilisant le fioul et le charbon et sur le maintien ou le développement du gaz.
À partir de 2012, tous nos bilans prévisionnels évoquent la fermeture potentielle de Fessenheim, qui représentait un engagement de campagne du Président de la République nouvellement élu, ainsi que de la majorité qui siégeait dans cette Assemblée, et qui était corrélée à l'ouverture de l'EPR de Flamanville 3. Le bilan prévisionnel de 2019, toutefois, prend acte de la décorrélation entre la fermeture de Fessenheim et l'ouverture de l'EPR de Flamanville 3.
Une troisième phase s'ouvre en 2017. Nos bilans prévisionnels évoluent pour englober toutes les dimensions du mix électrique. La nécessité de présenter une étude approfondie sur les conséquences de la loi votée en 2015 et sanctionnée par une première programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) en 2016, même si celle-ci ne contient pas toutes les orientations notamment en matière nucléaire, apparaît alors clairement pour l'ensemble des parties prenantes. Nombre de messages du bilan prévisionnel 2017 sont toujours d'actualité. Sur le court terme, soit jusqu'en 2022, cette étude détaille l'impossibilité de fermer conjointement les dernières centrales au charbon et les premiers réacteurs nucléaires. À moyen terme, à horizon 2025, elle estime que les pouvoirs publics devront choisir entre la réduction des émissions de CO2 du secteur électrique d'une part ou la fermeture des premiers réacteurs nucléaires pour atteindre l'objectif des 50 % fixé dans la loi de 2015. Enfin, à plus long terme, ce bilan prévisionnel exprime les conditions pour atteindre le scénario à 50 % de nucléaire à échéance 2035.
En outre, ce document chiffre des scénarios différenciés d'orientation du mix électrique et conclut que le moins coûteux est celui qui prolonge la durée de vie du plus grand nombre de centrales. La production nucléaire continuera d'être compétitive en France et en Europe malgré l'essor des renouvelables. Le bilan CO2 du secteur électrique est calculé dans chaque scénario. Nous montrons ainsi que les trajectoires de fermeture rapide des réacteurs nucléaires conduisent à une augmentation rapide des émissions par rapport au niveau de 2017 : ainsi, plus on ferme de réacteurs nucléaires rapidement, plus le bilan CO2 de la France se dégrade compte tenu de la dynamique des énergies renouvelables constatée en 2017 par rapport aux prévisions de 2012, voire, antérieures.
Enfin, le bilan prévisionnel 2017 est le premier document prospectif qui intègre la baisse de la disponibilité. Il émet dès cette date une alerte sur les marges du système électrique, en prévoyant des années sensibles – qui s'ouvrent désormais à nous.
Ce bilan aborde également les enjeux liés à la consommation, en se fondant sur des hypothèses très différentes de celles d'aujourd'hui. En 2017, la consommation française forme un plateau très légèrement descendant depuis sept ans. De plus, les perspectives de croissance économique sont en baisse, après plusieurs années d'espoirs de relance à la suite de la crise de 2008. Par ailleurs, la réglementation thermique des bâtiments est entrée en vigueur en 2012. Cette norme développe la maîtrise de la consommation afin de faire diminuer cette dernière. Cependant, celle incite à utiliser davantage de gaz que d'électricité dans les logements neufs. Or, le parc de logements est un paramètre important de la consommation d'électricité, notamment l'hiver. Plusieurs directives européennes sont en outre publiées, notamment sur l'écoconception. La politique publique de véhicules électriques est annoncée, bien que pas encore déployée. Il n'existe pas de politique hydrogène promue par le gouvernement. Enfin, le facteur 4, et non la neutralité carbone, qui vise à diviser par quatre nos émissions d'ici 2050, est encore plébiscité.
Or, nombre de ces paramètres ont évolué. La réglementation environnementale 2020 s'est substituée à la réglementation thermique 2012, tandis que la déclinaison de l'accord de Paris dans la stratégie nationale bas carbone (SNBC) remplace les perspectives du facteur 4. Les trajectoires de consommation en 2017 se situent dans une moyenne par rapport à celles défendues par les différentes institutions : elles sont inférieures à celles revendiquées par EDF, mais supérieures à celles étudiées par l'Agence de la transition écologique (Ademe).
La trajectoire de consommation de la France n'avait pas fait consensus lors de la publication de notre bilan. Aussi avons-nous lancé dès 2018 trois importants travaux prospectifs thématiques au sujet de la consommation. Ils ont été publiés entre 2019 et 2020. Le premier s'intéressait à la production et au développement de l'hydrogène en France ; le second au déploiement des véhicules électriques et à ses conséquences sur le système électrique ; enfin, le troisième était consacré aux bâtiments et au chauffage. Ces trois études se proposaient de documenter plus finement les trajectoires de consommation dans un nouveau contexte de neutralité carbone, en intégrant la déclinaison des accords de Paris.
Nous avons en même temps entamé une étude avec l'Agence internationale de l'énergie (AIE) pour observer plus précisément les conditions strictes et cumulatives qui permettraient à un pays comme la France de piloter un système électrique avec une haute part – 70 à 80 % – d'énergies renouvelables dans son mix de production. Quatre enseignements en ont été tirés. D'abord, il faudra compenser la variabilité de la production par des moyens de flexibilité adaptés. Il sera également nécessaire de reconfigurer les réseaux de transport et de distribution compte tenu du changement de la morphologie de l'appareil de production. La stabilité du système et le maintien de la fréquence devront être assurés, en trouvant des substitutifs à la disparition de certaines machines tournantes qui assurent le maintien de la fréquence à 50 hertz. Des solutions sont en cours de développement, comme les dispositifs d'électronique de puissance et le grid forming. Enfin, la dernière condition repose sur l'évolution des réserves opérationnelles, utilisées par RTE pour gérer en temps réel les petits écarts d'équilibre entre l'offre et la demande. Ces derniers peuvent se traduire par de légères différences de fréquence. L'augmentation des réserves opérationnelles nous protègerait contre l'aléa de court terme des énergies renouvelables.
Ces trois études thématiques sur la consommation et le rapport sur le mix électrique ont été synthétisées dans le document « Futurs énergétiques 2050 » qui a ouvert une nouvelle phase. En effet, à l'échéance 2050 nous devrions atteindre l'objectif national de zéro carbone net et non zéro émission brute. Comme l'ensemble de nos bilans prévisionnels, cette étude est fondée sur la garantie de la sécurité d'approvisionnement électrique de la France. En outre, elle n'étudie que des mix électriques et des trajectoires qui garantissent la neutralité carbone de la France en 2050.
Ce rapport prospectif modélise le système énergétique et le système électrique français, mais aussi de dix-sept pays européens, pour simuler le fonctionnement du système électrique chaque heure pendant trente ans. Ces simulations sont croisées avec différents paramètres, notamment météorologiques, qui jouent tant sur la consommation que sur la production d'électricité.
Comme les autres, ces scénarios de consommation et de mix de production sont fondés sur une très longue concertation avec les parties prenantes. Les mix de production d'électricité représentent l'essentiel des avis constatés vers 2019-2020 dans la société française. Certains comportent une part importante de nouveau nucléaire tandis que d'autres tendent vers un mix 100 % renouvelable. De même, les scénarios de consommation sont assez contrastés. Nous avons cherché à intégrer le plus grand nombre de variantes possibles.
Nous avons pu établir les coûts complets et l'empreinte environnementale, y compris en CO2, du système électrique. Tous ces chemins sont possibles, mais difficiles à atteindre – certains plus que d'autres.
Enfin, toutes ces trajectoires garantissent la sécurité d'approvisionnement. En effet, l'une des missions légales de RTE est d'éclairer le débat et la décision publique. C'est ce qui a conduit le Président de la République à s'appuyer sur cette étude pour prendre des orientations qui devraient trouver leur traduction dans une future loi, sous contrôle de votre vote.