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Intervention de Général Philippe Adam

Réunion du mercredi 14 décembre 2022 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Philippe Adam, commandant de l'espace :

Oui, beaucoup d'argent est versé aux opérateurs privés, mais nous en profitons également. Je souligne d'ailleurs que c'est exactement ce qu'ont fait les Américains. Avec le New Space, ils ont très largement sponsorisé toute leur industrie, notamment SpaceX. L'investissement était énorme. Il est vrai que des risques ont été pris par SpaceX, on a dit qu'Elon Musk était « gonflé », mais il a tout de même été bien aidé, et aidé en sous-main aussi par la NASA qui le conseillait sur les aspects techniques. À la fin, il gagne, mais les Américains ont investi pas mal de fonds et, finalement, c'est un opérateur privé qui ramasse le marché.

Toutes ces questions rejoignent celle de la réglementation. Il va falloir mettre de l'ordre dans tout cela. Je l'ai déjà dit, il faut poser des règles. L'espace est assez analogue à ce qui se passe en haute mer ou dans l'espace aérien : on veut que ces espaces restent ouverts à tous parce qu'il est utile de pouvoir s'y déplacer facilement et faire du commerce aérien ou maritime ; néanmoins, il faut des règles. En haute mer, on n'est chez personne, il s'agit davantage de règles de comportement. Ce n'est pas pour autant qu'il n'existe pas de règles ou de contrôles. Ces règles ne sont pas directement transposables à l'espace, mais l'idée est bien de parvenir à policer tout cela.

Aujourd'hui, nous nous heurtons à des obstacles car, justement, on n'est chez personne, mais on se croise en permanence et l'on a du mal à poser des chiffres, à caractériser les distances, par exemple. Lorsque l'on dit qu'il ne faut pas qu'un satellite se rapproche trop, qu'est-ce que cela signifie ? De quelle distance s'agit-il : 5 mètres ou 10 kilomètres ? Il nous faut trouver un consensus sur le sujet. Ensuite, en admettant que soit fixée une distance de 10 kilomètres, qui sera à la manœuvre ? Qui prend les décisions, et selon quels critères ? Il existe des contrôleurs aériens ; en haute mer, nous n'avons pas trop de contrôleurs mais, normalement, les pachas de navire savent qu'ils ont à faire. Ils savent très bien qu'ils ne doivent pas se placer bêtement sur une route de collision et doivent montrer clairement qu'ils ne mettent pas en danger les autres. Il existe un certain nombre de règles plus ou moins tacites.

La discussion sur les comportements responsables dans l'espace est engagée aux Nations unies. L'interdiction des tests antisatellites est un premier pas mais, aujourd'hui, nos amis américains notamment nous expliquent leur réticence à ériger des règles parce que cela risque de freiner la compétition et le développement d'un écosystème extrêmement dynamique. Évidemment, étant les premiers, ils ne souhaitent pas être freinés et que d'autres puissent les rejoindre ! Si la coopération est forte dans l'espace, la compétition y est féroce aussi. Nos partenaires sont tous un peu égoïstes aujourd'hui, et si l'espace devient une zone économique extrêmement dynamique, qui rapporte beaucoup d'argent et crée un énorme business, des emplois et de la richesse, tout le monde voudra en être. Donc, le risque est que la solidarité disparaît et l'on se bat les uns contre les autres.

La masse critique s'entend plutôt à l'échelle d'un continent. Certains pays, comme les États-Unis et la Chine, sont à l'échelle d'un continent. Pour l'instant, L'Europe est trop morcelée pour que cela fonctionne, mais il faut le faire. Twister et Odin's Eye, en réalité, relèvent du même sujet. Selon qu'ils sont traités par le CSP ou le FED, ils ne portent pas le même nom, mais peu importe, il s'agit bien du même sujet. La question est de savoir si nous récupérerons des financements, mais nous n'attendons pas l'Union européenne pour avancer. Thales et MBDA commencent à développer des solutions. Ensuite, il faudra financer l'industrialisation et, donc, trouver un marché. Nous ne nous sommes pas, nous, lancés là-dedans, mais il y a un démonstrateur de radar longue portée à Hourtin, me semble-t-il. De même, les travaux sur le successeur du radar de surveillance spatiale Graves, commencent à porter leurs fruits. Les améliorations des missiles Aster visant à leur apporter les capacités antimissiles font partie de cette même réflexion, même si les capacités en question restent, pour l'instant, limitées. Donc, nous n'attendons pas et nous comptons bien apporter des solutions nationales à des problèmes qui dépassent le niveau national.

Pour ce qui me concerne, une question m'intéresse : y aura-t-il une composante spatiale d'alerte avancée ? Les Américains disent que détecter un départ de missile et suivre un missile hyper véloce ne se fera pas uniquement au sol, mais surtout de l'espace. Encore faut-il disposer des satellites pour le faire ainsi que d'une couverture permanente globale. Ce n'est pas si simple. Cela représente de gros investissements. Aujourd'hui, les Américains partagent les informations qu'ils obtiennent grâce aux moyens spatiaux dont ils disposent. Ils ne vont pas laisser leurs alliés ou partenaires se faire attaquer sans leur fournir l'information s'ils la détiennent. Pour l'instant, ils sont même relativement généreux et nous pouvons compter sur eux, mais il ne faut pas être naïfs, et il faut essayer de disposer d'autres moyens également.

Sur les perspectives HAO (High altitude operations), l'armée de l'air et de l'espace s'est saisie du sujet pour notamment conceptualiser les responsabilités entre les domaines aérien et spatial. Si l'on considère que les hautes altitudes sont une extension de l'espace, il n'y a pas de frontière mais, dans ce cas, il faut accepter que des drones ou des ballons d'une puissance étrangère viennent se balader au-dessus de la France sans que nous ne puissions rien dire. Je pense donc que nous allons plutôt chercher à étendre les frontières. Dans ce cas, cela relèvera plutôt du domaine aérien.

Ensuite, il faudra savoir comment on surveille et comment on intervient si des incidents se produisent qui ne nous plaisent pas là-haut. Si une frontière est fixée et que quelqu'un rentre, que faire ? Et si l'on ne peut rien faire, on le regardera passer, et c'est tout ? Nous avons donc une réflexion conceptuelle à mener, qui accompagne les réflexions sur le spatial.

Sur les moyens de détection et de compréhension de ce qui se passe, nos radars de défense aérienne observent l'espace aérien jusqu'à 30 kilomètres, on ne leur a jamais demandé de voir plus loin. Nos radars de surveillance spatiale l'étudient à partir de 100 kilomètres et au-delà. Il reste donc une bande marquée par l'absence d'observation. Dans le cadre du développement de nos radars longue portée, nous devrons donc assurer une bonne continuité entre les deux secteurs de détection. De mon point de vue, c'est la première conséquence directe liée à l'exploitation de cette tranche.

Sur l'ascenseur spatial, je n'ai pas d'éléments à vous apporter. Je ne suis dans mon poste que depuis six mois, il me reste encore beaucoup à découvrir. Cela ne fait pas partie des sujets que j'ai eu l'occasion d'aborder. En revanche, on m'a déjà parlé de la génération d'énergie dans l'espace, redirigée vers la terre. Ce sont des idées intéressantes, très sérieuses. Ce n'est pas pour demain, car cela pose deux ou trois difficultés. Une sorte de gros rayon extrêmement énergétique arriverait sur terre et, sur une dizaine de kilomètres carrés, nous pourrions recevoir de l'énergie. Ce sera intéressant à étudier, même s'il faut savoir où installer les récepteurs. Le fait de récupérer de l'énergie dans l'espace, qu'elle soit solaire ou issue d'une centrale nucléaire qui produit l'énergie dans l'espace pour le renvoyer de façon rayonnée jusqu'à la terre est assez fascinant pour l'esprit. Mais il y a bien d'autres choses.

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