Certaines questions sont très spécifiques, et je vais commencer par elles.
L'alerte avancée est un sujet qui ne concerne pas que l'espace. Les missiles balistiques passent par l'espace, les adhérences sont donc nombreuses avec ce milieu. Ce qui nous intéresse plus particulièrement, ce sont les moyens placés dans l'espace ou sur Terre pour détecter de telles frappes, balistiques ou autre d'ailleurs. Plus préoccupantes aujourd'hui que les simples missiles balistiques sont toutes ces armes extrêmement rapides qui sont, en plus, manœuvrantes. Ces armes dites hyper véloces sont particulièrement inquiétantes. Au moins, avec un missile balistique, si l'on détecte le début de la trajectoire, on sait à peu près où il va arriver. Avec un missile manœuvrant, ce n'est plus possible, d'autant plus que leur portée est considérable. Nous avons donc un souci.
L'alerte avancée était plutôt centrée sur les missiles balistiques, y compris de très longue portée. Nous devons revoir cela. Les Américains sont les seuls aujourd'hui à disposer d'un moyen de lutte efficace. Les Russes peut-être également, mais nous n'en savons rien. Aujourd'hui, sur cette alerte avancée, nous sommes servis essentiellement par les Américains. Nous ne sommes pas tout à fait démunis puisque des systèmes d'armes comme le SAMP/T (Sol-Air Moyenne Portée/Terrestre) nous donnent tout de même les moyens de nous opposer à un tir balistique, pas à un tir intercontinental malheureusement, mais à un tir de missiles de portée tactique, c'est-à-dire allant jusqu'à 1 500 km. Le SAMP/T, accompagné de radars, est conçu pour en être capable ; nous avons aussi des radars sur les bateaux. Nous disposons donc déjà d'un certain nombre de capteurs, que nous allons développer.
Il faut effectivement se poser la question d'aller plus loin. Passerons-nous par l'espace ? Utiliserons-nous des radars terrestres ? Ces derniers présentent l'inconvénient de subir la contrainte de la rotondité de la terre. L'espace, est une solution, mais pose d'autres problèmes. La réponse sera probablement une combinaison des deux.
Le sujet est en cours d'examen mais l'équation est difficile car les investissements sont considérables et, tant que les Américains nous rendaient le service, c'était une solution. Peut-être continueront-ils à l'avenir et nous compléterons cela par des moyens qui ne seront pas totalement autonomes, mais la combinaison de l'ensemble suffira peut-être. En tout cas, la réflexion se poursuit.
Le sujet revêt d'ailleurs deux aspects : d'une part, l'alerte avancée, pour savoir ce qui se passe, et d'où cela vient, car l'attribution est importante ; d'autre part, les intercepteurs et les façons de s'y opposer. Nous poursuivons l'étude des deux aspects, mais le sujet est complexe, s'agissant des intercepteurs notamment, qui doivent être disponibles en grand nombre dans un système opérationnel. Il est bien d'en avoir, mais cela ne suffit pas.
Pour ce qui est des lanceurs, le retrait des fusées Soyouz de Kourou nous pose un vrai problème. Pour ne rien vous cacher, à ce jour, un satellite est complètement construit – notre troisième satellite de la constellation CSO – et reste stocké en attente d'un lanceur. Il était prévu qu'il parte sur une Soyouz à partir de Kourou. Nous attendons Ariane 6, puisque les deux dernières Ariane 5 qui seront lancées en 2023 sont déjà réservées. Dans le meilleur des cas, CSO-3 attendra au moins un an, voire plus. Ce n'est donc pas une bonne nouvelle.
La solution, c'est Ariane 6. Il faut qu'Ariane 6 résolve ses problèmes et confirme qu'elle est bien la solution. Les nouvelles lors de la dernière réunion ministérielle de l'ESA étaient plutôt bonnes. Maintenant, il faut avancer et, comme cela a été souligné par Mme Thillaye, l'Europe n'est pas toujours très solidaire, tout au moins la concurrence y est forte.
Nous constatons que les crises récentes ont tendu les relations entre industriels des États membres, le besoin d'autonomie nationale se fait sentir dans tous les pays. L'autonomie européenne demande une coordination étroite avec nos voisins les plus proches, qu'il s'agisse des Allemands, des Espagnols ou des Italiens. Il nous faut lutter contre le repli sur soi pour maintenir un haut niveau de coordination, notamment sur le sujet de l'accès à l'espace. Nous coordonner se fera par les relations, par le travail en commun et par l'échange de données, sujet sur lequel je reviendrai.
Pour ce qui est des ressources, c'était une question que vous m'aviez déjà posée, Monsieur le député, à propos des munitions. Cela se comptera en milliards. On peut toujours rêver, mais les ressources ne sont pas tout. Nous nous heurtons également à un problème de temps. Répondre rapidement à la question ne sera pas qu'une question de financements. Nous pourrions lancer beaucoup de projets très ambitieux, mais plus c'est cher et plus cela pose de questions et le temps de consolidation sera long. Ce n'est pas forcément la bonne réponse.
Nous avons dans l'idée – et cela rejoint la question de l'utilisation des services plutôt que de l'acquisition de moyens patrimoniaux – d'utiliser ce qui existe déjà sur étagère. Cela répond aussi à la question de savoir comment gérer à la fois les acteurs étatiques et les acteurs privés et commerciaux. À mon avis, il faudrait arriver à combiner les deux. C'est cela qui fera l'efficacité et la résilience.
Avec les autres services du ministère, nous nous interrogeons actuellement sur la possibilité de ne pas acheter des moyens en patrimonial, mais d'acheter des services. Ce n'est pas une façon de procéder usuelle, mais cela semble relativement efficace. Ce ne sont pas des investissements mais de la location ; si le service ne nous convient plus, nous pouvons arrêter de le payer et passer à autre chose. Cela offre une grande flexibilité, et permet dès à présent d'utiliser ce qui existe déjà en termes de services développés par des sociétés commerciales. Le New Space offre des opportunités nouvelles qui arrivent sur le marché à un rythme rapide et auxquelles nous n'avions pas forcément pensé parce que nos programmes qui aboutissent actuellement ont été lancés, pour la plupart, il y a dix ans, à une époque où la situation était complètement différente.
Donc, bien sûr, plus nous aurons de ressources, mieux ce sera. Nous avons l'ambition de faire beaucoup mieux que ce que nous faisons aujourd'hui mais nous n'avons pas l'ambition d'être totalement autonomes dans tous les secteurs. Nous devrons, de toute façon, faire avec les autres, qu'il s'agisse de partenaires commerciaux ou de partenaires étrangers. Nous devons être à notre place, avec des moyens raisonnables mais qui sont tout de même de beaux moyens, comme le radar Graves (Grand réseau adapté à la veille spatiale) ou nos satellites d'observation Syracuse qui ont de très bonnes performances. Nous devons pouvoir renforcer, être un peu plus ambitieux, mais plus nous serons ambitieux, plus ce sera compliqué et long.
En revanche, être là et être un allié fiable pour nos partenaires, notamment européens – je dis cela en dehors de toute considération politique, mais la géographie s'impose et si nos voisins, qu'ils appartiennent à l'Union européenne ou pas, sont attaqués, ce ne sera pas une bonne nouvelle pour nous. De toute façon, nous devrons travailler avec eux.
Autre aspect : dans l'espace, on se croise en permanence, aussi bien avec nos partenaires qu'avec nos adversaires. L'attaque d'un moyen, qu'il soit britannique, espagnol ou américain, ne sera pas une bonne nouvelle pour nous non plus. Nous avons donc tout intérêt à les aider à protéger leurs moyens et, si nous le faisons, ils nous aideront à protéger les nôtres.
Il convient donc de s'attacher spécifiquement à la combinaison de l'ensemble, à l'établissement de liens opérationnels bien pensés et à une architecture complète qui soit résiliente. Quand bien même perdrions-nous nos satellites, ce qui peut se produire, que nous devenions la cible désignée des Russes pour une raison que je vous laisse imaginer, et si nos satellites de communication disparaissaient parce qu'ils seraient brouillés ou neutralisés d'une façon ou d'une autre, il faut pouvoir nous replier rapidement vers des services commerciaux ou des services de partenaires alliés britanniques, espagnols ou italiens. Le service existera toujours pour nous. C'est exactement ce qu'ont fait les Ukrainiens qui ont réussi à rétablir rapidement leurs communications grâce à Starlink.
C'est plutôt ainsi qu'il faut le considérer. Mais inscrire un sujet stratégique dans la LPM sans décider d'y consacrer quelques fonds... Je ne vous cache pas que nous préférerions bénéficier de plus d'argent, car l'inflation notamment nous pose quelques soucis mais je reste raisonnable, parce que ces crédits viendraient forcément de chez mes camarades du cyber, de l'armée de l'air et de l'espace, de la marine ou de l'armée de terre, et je m'en voudrais de leur jouer ce mauvais tour.