Monsieur le président, merci infiniment pour ces mots qui me touchent personnellement et qui vont droit au cœur des Mahoraises et des Mahorais qui suivent attentivement les travaux de cette commission, en particulier sur la question de la COI, qui les concerne directement.
Je vous présente ce matin l'accord du 6 mars 2020 portant révision de l'accord général de coopération entre les États membres de la Commission de l'océan indien, dont le projet de loi dont nous sommes saisis vise à autoriser l'approbation. Le Sénat l'a adopté, tout en émettant de fortes réserves.
La Commission de l'océan indien est née de l'accord initial de Victoria, conclu en 1984 par Madagascar, Maurice et les Seychelles. Il s'agissait de promouvoir la coopération dans les domaines de la diplomatie, de l'économie, du commerce, de l'agriculture et de l'éducation.
La France et les Comores ont rejoint la COI en 1986. Grâce au statut d'observateur, la Chine, l'Union européenne, l'Ordre de Malte, l'Organisation internationale de la francophonie, l'Organisation des Nations Unies (ONU), l'Inde et le Japon ont rejoint les rangs de la Commission.
La COI compte trois instances superposées, selon un mode de fonctionnement que l'on compare avantageusement à celui de l'Union européenne. Le sommet des chefs d'État et de gouvernement détermine les grandes orientations politiques, en dépit d'un rythme de réunion irrégulier. Se réunissant une fois par an, le conseil des ministres des affaires étrangères est l'organe décisionnel de la COI. Sa présidence tournante est actuellement assurée par Madagascar. Chaque État désigne un officier permanent de liaison, membre du comité chargé de suivre les travaux sur le plan technique. Enfin, un secrétariat général, installé à Maurice et composé de 80 personnes, a pour fonction de faire avancer les travaux, de proposer de nouvelles orientations et d'assurer la liaison avec les bailleurs de fonds.
La COI développe des projets dans différents domaines, tels que l'environnement, la pêche ou la culture, et sollicite des fonds de l'Union européenne, de l'Agence française de développement (AFD), du Fonds vert pour le climat ou encore de la Banque mondiale.
Le 6 mars 2020, un accord portant révision de l'accord initial d'adhésion à la COI a été signé : le champ de coopération est désormais élargi à quatorze domaines, dont le changement climatique, l'économie bleue, la coopération judiciaire, la circulation des biens et des personnes. Le statut d'observateur est expressément prévu et deux critères d'adhésion à la COI sont désormais inscrits : celui de l'insularité et celui de l'appartenance à la région des États du Sud-Ouest de l'océan indien. La règle de l'unanimité comme mode de prise de décision est réaffirmée. Une périodicité de cinq ans est fixée pour le sommet des chefs d'État et de gouvernement et il est prévu que le conseil des ministres des affaires étrangères se réunisse deux fois par an. Enfin, le mandat du secrétaire général est porté de quatre à cinq ans et n'est pas renouvelable.
Quarante ans après sa création, le bilan de la COI apparaît pour le moins décevant. L'organisation met en avant une variété de projets dont la valeur ajoutée réelle suscite des interrogations, eu égard aux lourds investissements consentis. Il est souvent question de « partage d'informations », d'« amélioration de la connaissance » ou encore de « renforcement des mécanismes de prévention de crises » : ces expressions sont vagues.
Dans certains programmes comme celui pour la promotion de la sécurité maritime (MASE), qui dispose d'un budget de 42 millions d'euros, la COI n'est en réalité qu'un acteur parmi d'autres. Ce sont souvent l'Agence française pour le développement (AFD), le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ou l'Institut de recherche pour le développement (IRD), qui pilotent et mettent en œuvre. L'exemple du programme MASE illustre ce qui semble être la règle pour les projets étiquetés « COI » mais exécutés par d'autres organismes : ils sont à la fois flous et chers.
Le manque de résultats concrets pousse à s'interroger sur l'investissement consenti par les contribuables français, puisque la France assume à elle seule 40 % du budget de la COI et finance aussi une bonne partie des projets de la COI par l'intermédiaire de l'Agence française de développement. Ainsi, entre 2018 et 2022, l'AFD a contribué à hauteur de 41,3 millions d'euros à la COI.
On peut aussi déplorer les pratiques comptables et budgétaires douteuses de la COI, qui a été mise en cause pour des faits de fraude et pour un manque de transparence financière. L'Union européenne a en effet déclaré inéligibles certaines dépenses effectuées par la COI en 2021. Il s'agit de 577 000 euros de dépenses exécutées en violation des règles européennes de financement. L'Union européenne – qui est allée en justice à ce sujet – dénonce 118 000 euros de fraude financière et près de 460 000 euros de dépenses injustifiées, donc inéligibles au remboursement. Initialement plus élevé, le montant total des dépenses irrégulières a été revu à la baisse après négociation entre l'Union européenne et la COI, laquelle doit rembourser les sommes en jeu, directement ou par ponction du budget des projets en cours.
En tant que députée de Mayotte, je considère que la COI pose un grave problème touchant au respect de la souveraineté française dans l'océan indien. N'ayant rejoint l'organisation en 1986 qu'au titre de l'île de La Réunion, la France s'est diplomatiquement amputée de Mayotte pour y adhérer, de sorte que mon territoire, français depuis 1841, n'est pas mentionné dans l'accord initial. Il est étonnant de vouloir encourager la coopération entre les îles francophones de l'océan indien tout en excluant par principe l'île de Mayotte de cet accord. C'est pourtant le choix opéré par Paris, vraisemblablement pour ne pas froisser les Comores, qui revendiquent Mayotte.
Dans le point 10 de l'accord sur l'avenir de Mayotte, publié au Journal officiel du 8 février 2000, le Gouvernement avait pris l'engagement suivant : « Mayotte sera associée aux projets d'accords concernant la coopération régionale ou affectant son développement. La France proposera l'adhésion de Mayotte à la Charte des jeux de l'océan Indien et à la Commission de l'océan Indien ainsi qu'aux autres organisations de coopération régionale ». Pour l'heure, rien de tel. Vingt-deux ans après cet engagement officiel, le Gouvernement français a affirmé, au cours de l'audition que j'ai menée, que sa volonté demeurait d'associer Mayotte, au cas par cas, à certains projets de la COI, mais de manière officieuse, sinon clandestine. Un accord de principe aurait été trouvé concernant deux projets, finalement bloqués par le représentant des Comores. Le seul cas cité d'une participation de Mayotte aux activités de la COI consiste dans la venue, en catimini, d'experts de l'agence régionale de santé (ARS) de Mayotte, inclus discrètement dans la délégation réunionnaise, à une réunion organisée à la mi-2022 et consacrée à la surveillance épidémiologique.
La France peut-elle continuer à financer une organisation censée faciliter le développement de la région tout en excluant l'un de ses territoires ? Sommes-nous donc incapables d'imposer comme condition préalable à la signature d'un nouvel accord une réévaluation de la participation de Mayotte ? L'intégration de Mayotte dans la COI devient encore plus difficile dans le nouvel accord soumis à notre approbation, puisque l'unanimité y est désormais officiellement la règle. Vu la position comorienne historique sur le sujet, il est peu probable que Moroni n'exerce pas son veto.
Pourquoi les autorités françaises ont-elles validé une hausse du portefeuille de projets géré par la COI, à hauteur de 300 millions d'euros pour 2022-2023, puis de 500 millions d'euros pour 2024-2025 – ce qui représente une forte montée en puissance –, en passant complètement sous silence la question de Mayotte ?
Ce silence assourdissant de Paris est d'autant plus incompréhensible qu'en dehors de l'Union des Comores, les autres États membres de la COI ne paraissent pas voir d'obstacle majeur à l'intégration de Mayotte. Lors des auditions que j'ai menées, les Seychelles ont indiqué n'avoir aucune objection à ce que Mayotte s'associe ou adhère à la COI, moyennant un consensus sur le sujet. Par la voix de son vice-Premier ministre, Madagascar est allée plus loin, reconnaissant de manière officielle « l'identité de Mayotte en France ».
Enfin, la constitutionnalité même de l'accord paraît discutable. En effet, grâce à la COI, les citoyens français de La Réunion bénéficient de possibilités de coopération dont sont privés les citoyens français de Mayotte, alors que les uns et les autres se trouvent dans une situation identique : même cadre géographique insulaire dans le Sud-Ouest de l'océan indien, même régime juridique prévu à l'article 73 de la Constitution, même statut au regard du droit européen. La différence de traitement entre Mayotte et La Réunion, mais aussi entre les citoyens français de deux territoires, semble donc constituer une rupture du principe constitutionnel d'égalité.
Comme tous nos compatriotes, les contribuables mahorais paient indirectement pour des projets de coopération dont ils se trouvent cependant exclus. Je pense notamment à l'observatoire des agricultures de l'océan indien et aux projets « Résilience des écosystèmes côtiers du Sud-Ouest de l'océan indien » (Recos) et « Expédition Plastique océan indien » (Exploi), trois programmes financés par la France et dont Mayotte est effectivement exclue.
Soyons lucides sur la compétition stratégique à l'œuvre dans l'ouest de l'océan indien, où la France possède une forte empreinte territoriale mais fait face à de nombreuses contestations de ses frontières. La Chine, l'Inde, la Russie, les États-Unis et d'autres jouent leur carte en appuyant les revendications territoriales de Madagascar sur les îles Éparses, de Maurice sur l'île Tromelin et des Comores sur Mayotte. Les ressources de la région – ressources halieutiques, hydrocarbures, nodules marins riches en terres rares – sont évidemment dans tous les esprits. Dans ce contexte de forte rivalité, quel message envoie Paris ? Comment défendons-nous notre souveraineté ?
Chers collègues, vous l'aurez compris, je vous invite à ne pas autoriser l'approbation de l'accord du 6 mars 2020, donc à voter contre le projet de loi. Ce geste fort permettrait de placer chacun devant ses responsabilités. Il inciterait le Gouvernement à tenir ses engagements et à poser la question d'une intégration de Mayotte dans le champ de coopération de la COI. Si ces conditions sont réunies, cela permettrait de donner un nouveau départ à une organisation régionale assainie, élargie et rénovée.