Personne n'a oublié la sidération qui s'est emparée de la communauté maritime, de part et d'autre de la Manche, en mars dernier, quand la compagnie P&O Ferries a licencié sans préavis, et par simple message vidéo, 800 de ses marins travaillant sur la liaison transmanche. Ces salariés exerçant dans des conditions de travail respectueuses de leur bien-être et de la sécurité en mer ont été remplacés au pied levé par des salariés recrutés dans des pays tiers à très faible coût de main-d'œuvre. Personne n'a oublié cet événement révélateur d'une offensive de dumping social sur le transport maritime entre la France et le Royaume-Uni à l'ampleur et à la brutalité sans précédent. Dès 2021, la compagnie Irish Ferries avait ouvert le bal de cette guerre du low cost, en faisant naviguer sur la liaison entre Calais et Douvres des navires battant pavillon chypriote.
Ce dumping social signe une concurrence déloyale, qui repose sur la diminution des droits sociaux de marins travaillant dix-sept semaines d'affilée sans mettre le sac à terre, à raison de quatre-vingt-deux heures hebdomadaires, et qui sont payés moitié moins que le salaire minimum britannique.
Comme vous le savez, monsieur le secrétaire d'État, cette situation menace nos entreprises d'armement qui, elles, rémunèrent correctement leurs marins, leur garantissent treize jours de repos à terre après treize jours passés en mer, et respectent leurs droits sociaux – les compagnies françaises DFDS Seaways SAS, dont le siège social se situe à Dieppe, et Brittany Ferries – anciennement BAI –, dont le siège est à Roscoff. Toutes deux, vous le savez, emploient près de 2 500 marins, du détroit du pas de Calais à la Bretagne en passant par la Normandie. Leurs navires, immatriculés au premier registre du pavillon français – qui protège les droits des marins et assure un haut niveau de savoir-faire et de sécurité – sont désormais exposés à des concurrents qui ont choisi des pavillons de complaisance.
Face au dumping social, le statu quo serait porteur de risques majeurs à la fois pour la sécurité maritime, le bien-être des gens de mer, le secteur maritime français et notre souveraineté. Puisque les compagnies low cost, dans leur pure logique d'actionnaires, rejettent votre offre d'adopter une charte de bonne conduite, il faut fixer des règles, reprendre le cap et agir par la loi et la diplomatie. Je sais que vous y travaillez, et que c'est possible.
La fin du caractère intracommunautaire des liaisons maritimes entre la France et le Royaume-Uni causée par le Brexit a fait tomber un cadre protecteur, mais puisque près de 80 % du trafic transmanche passe par le détroit du pas de Calais, c'est là qu'il faut agir. Les eaux territoriales françaises et britanniques se rejoignent à cet endroit, formant une sorte de mer domestique commune où la France et le Royaume-Uni sont pleinement souverains, leur offrant la possibilité de décider de mesures motivées encadrant l'exploitation des ferrys, afin de défendre la sécurité et le bien-être des gens de mer.
Dans les jours qui viennent, je déposerai une proposition de loi en ce sens, afin de soutenir votre démarche. Dans l'intérêt des marins français concernés, êtes-vous prêt, monsieur le secrétaire d'État, à avancer sur ce sujet ?