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Intervention de Isabelle Rome

Séance en hémicycle du lundi 16 janvier 2023 à 16h00
Aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales — Discussion d'une proposition de loi adoptée par le sénat

Isabelle Rome, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances :

Mesdames et messieurs les députés, c'est avec beaucoup de gravité que je m'adresse à vous. En effet, je ne connais que trop bien le constat qui a amené Mme Létard à déposer ce texte. Tout au long de ma vie, comme juge, comme présidente de cour d'assises et comme présidente d'association, j'ai combattu les violences faites aux femmes. Trop souvent, j'ai dû juger des affaires de féminicide dans lesquelles la victime n'avait pas réussi à s'extraire à temps des griffes de son bourreau. Si je poursuis ce combat sans jamais me résigner, c'est en hommage à toutes ces femmes que nous n'avons pas su sauver à temps.

Depuis 2017, de nombreux progrès ont été accomplis. Ils n'auraient pas été possibles sans la mobilisation exemplaire des acteurs de terrain pour accompagner et protéger les victimes. La lutte contre les violences conjugales, pilier de la grande cause des quinquennats du Président de la République, s'est traduite par de nombreuses actions concrètes et protectrices. Le Grenelle des violences conjugales et le travail conjoint du Gouvernement et des parlementaires ont permis de changer de paradigme : plutôt que de nous en tenir à sanctionner a posteriori les auteurs de violences, nous nous tournons désormais au plus tôt vers la victime pour lui proposer un accompagnement et une protection conformes à ses besoins. J'y vois l'illustration de notre démarche collective en la matière, car ce sujet dépasse largement les clivages partisans. Je n'en doute pas, nous donnerons aujourd'hui encore la preuve de cette unité.

Depuis cinq ans, nous n'avons eu de cesse de renforcer les dispositifs de protection ou d'en créer de nouveaux. Je pense aux téléphones grave danger – multipliés par dix –, aux ordonnances de protection, aux bracelets antirapprochement (BAR) ainsi qu'aux places d'hébergement, dont le nombre a considérablement progressé durant le précédent quinquennat. Malgré ces progrès que je compte poursuivre avec détermination, force est de constater qu'il demeure difficile pour certaines victimes de s'extraire définitivement du joug de leur conjoint violent et de reprendre leur liberté. Les victimes me l'ont souvent dit : quand elles quittent leur conjoint, elles sont le plus souvent annihilées, détruites par des mois ou des années d'humiliation, de dévalorisation, de harcèlement. Elles nous disent que leur priorité absolue est de « sauver leur peau ». Guidées par leur instinct de survie, elles décident de quitter leur conjoint. Malheureusement, lorsqu'elles sont sous emprise ou financièrement dépendantes, elles n'ont parfois pas d'autre choix que de revenir très rapidement à la case départ, dans un huis clos avec leur agresseur en se retrouvant seules pour affronter leur malheur. C'est alors que l'irréparable peut se produire.

La dépendance financière représente un obstacle majeur à tout départ pérenne. Sans moyens financiers ou privées d'accès au fruit de leur travail, comment les victimes pourraient-elles subvenir à leurs besoins essentiels et, le cas échéant, à ceux de leurs enfants ? Comment pourraient-elles acheter des produits alimentaires, des produits d'hygiène de première nécessité ou encore un billet de train pour se réfugier chez un proche ? Nous devons tout faire pour que le premier départ ne soit pas un faux départ. Pour cela, nous devons faciliter et accompagner la sortie rapide et définitive du cycle de la violence.

Ce texte vise donc à répondre au besoin immédiat de liquidités des victimes. Son examen en première lecture par le Sénat et en commission par l'Assemblée nationale a mis en évidence la volonté transpartisane de déployer un dispositif mobilisable en urgence par les victimes et capable de s'adapter à la diversité de leurs situations et de leurs besoins.

Le Gouvernement propose de modifier le texte initial par un amendement à l'article 1er , afin d'assurer aux victimes la meilleure protection possible face à leurs difficultés financières immédiates. Je souhaite en effet qu'en plus du prêt initialement prévu, une aide universelle d'urgence prenant la forme d'un don puisse être octroyée à toute victime faisant face à une urgence immédiate. Ce dispositif devra se montrer très souple afin de répondre sans attendre aux différents besoins des victimes et, le cas échéant, de leurs enfants, notamment au besoin urgent de mise à l'abri : il garantit le versement partiel ou total de l'aide dans un délai de trois jours, qui peut exceptionnellement être porté à six jours si la victime n'est pas connue de la caisse d'allocations familiales (CAF) ou de la Mutualité sociale agricole (MSA). Il revêt enfin une dimension universelle à laquelle Mme Létard et moi-même tenons particulièrement : qu'elle prenne la forme d'un don ou d'un prêt, l'aide d'urgence est accessible sans condition de ressources à toute personne victime de violences conjugales qui en a besoin, dès lors qu'une plainte a été déposée, qu'une ordonnance de protection a été délivrée ou que le procureur de la République a été saisi d'un signalement par une tierce personne. Ce dernier critère permet aux victimes qui n'ont pas engagé de démarche judiciaire, mais dont la situation a été signalée – par un professionnel de santé, par exemple – de bénéficier de l'aide d'urgence.

Je tiens enfin à souligner que cette nouvelle aide d'urgence sera financée par l'État afin d'assurer en tous les points du territoire l'égalité de traitement des victimes, grâce à un dispositif simple et opérationnel. Conformément à la philosophie du texte voté par le Sénat, la personne reconnue coupable des violences sera chargée de rembourser une aide attribuée sous forme de prêt. Voilà, en somme, le dispositif que nous vous proposons.

Plusieurs groupes parlementaires, au-delà des bancs de la majorité, ont déposé des amendements à l'article 1er identiques à celui du Gouvernement. Cela démontre notre capacité d'avancer collectivement en la matière ; en tant que ministre déléguée issue de la société civile, je ne peux que m'en réjouir. Mais il s'agit surtout d'un message fort adressé aux victimes : « Le Gouvernement et la représentation nationale sont déterminés à toujours mieux vous protéger ».

Je conclurai en vous présentant le « pack nouveau départ ». En complément du déblocage rapide de liquidités, l'enjeu consiste également à répondre aux besoins pluriels des victimes : soutien psychologique, appui juridique, soutien à la parentalité, logement ou encore accompagnement professionnel. C'est pourquoi j'ai proposé dès mon entrée au Gouvernement un nouveau dispositif, le pack nouveau départ, annoncé le 2 septembre dernier, déployé progressivement dès le premier trimestre 2023. Il vise à organiser l'accompagnement global des victimes de violence et à enclencher le déblocage rapide de l'ensemble des aides auxquelles elles peuvent prétendre.

Le pack nouveau départ évitera aux victimes d'aller toquer elles-mêmes à la porte des différentes institutions : elles auront un interlocuteur unique au sein des administrations. L'accompagnement leur permettra d'accéder de manière prioritaire à toutes les aides et aux dispositifs permettant de faciliter leur départ. Je pense par exemple au soutien à la parentalité et à la garde d'enfants, à l'accompagnement vers l'hébergement d'urgence ou encore au soutien psychologique à l'insertion professionnelle. C'est en répondant de manière globale et intégrale à l'ensemble des besoins des victimes que nous pourrons vraiment éviter les faux départs.

Mesdames et messieurs les députés, vous avez l'occasion, en votant pour l'aide financière d'urgence proposée, de poser dès à présent la première pierre du pack nouveau départ. Je sais l'Assemblée nationale particulièrement engagée en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. Démontrons à nouveau, comme nous l'avons fait lors du Grenelle des violences conjugales, notre capacité collective à travailler en synergie. Je sais pouvoir compter sur vous.

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