Nous sommes réunis dans le cadre de la niche du Rassemblement national pour débattre d'une proposition de loi du député Bruno Bilde visant à « revivifier la représentation politique ». Derrière ce titre, il s'agit en fait d'organiser les élections législatives sous la forme d'un scrutin proportionnel intégral à un seul tour. Ce sujet n'est pas nouveau. Il a été évoqué à plusieurs reprises dans le cadre de la réflexion sur d'éventuelles évolutions de nos institutions et il a été mis sur le devant de la scène par certains groupes de votre assemblée par le passé.
Si la question de la vitalité de notre démocratie mérite d'être posée, si celle de la représentativité des élus doit être débattue, il importe tout autant de ne pas faire croire qu'une telle proposition de loi mettrait un terme à toutes les interrogations qui traversent notre démocratie.
Conscient du problème, le Président de la République s'est prononcé en faveur d'une introduction de la proportionnelle, notamment dans le cadre d'une ambitieuse réforme constitutionnelle, dès 2017. Les équilibres parlementaires que vous connaissez n'ont pas permis ces évolutions, démontrant que celles-ci ne peuvent être le résultat que d'un large travail transpartisan.
En 2022, le Président de la République a rappelé une nouvelle fois qu'il était favorable au vote à la proportionnelle, précisant toutefois qu'il ne revenait pas à un seul homme de décider d'une telle question et que celle-ci devait être discutée dans le cadre d'une « commission transpartisane ».
Cette commission devra faire naître des propositions collectives d'évolution et élaborer des solutions complètes et opérationnelles du point de vue législatif et constitutionnel. Or votre proposition de loi, essentiellement fondée sur le modèle des élections législatives de 1986, comporte plus de lacunes qu'elle n'apporte de solutions.
En effet, tel que le texte est rédigé, il prévoit un mode de scrutin identique à celui de 1986 : un scrutin de liste à un seul tour avec répartition des sièges à la proportionnelle ; la répartition des sièges des députés par département et l'établissement du département comme circonscription d'élection ; une attribution des sièges à la plus forte moyenne entre les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés.
Outre qu'il serait intéressant, pour ne pas dire essentiel, d'identifier l'ensemble des mesures de coordination à introduire si cette proposition de loi était adoptée, travail qui n'a pas ici été effectué, il importe de souligner que l'introduction d'un scrutin de liste impliquerait nécessairement l'adoption d'une loi ordinaire, afin de modifier les circonscriptions définies à l'article L. 125 du code électoral ; d'habiliter le Gouvernement à redécouper par voie d'ordonnance les circonscriptions législatives ; de répartir les sièges de députés en fixant des critères précis d'équilibre démographique et de continuité territoriale ; de définir les dispositions caractéristiques d'un scrutin de liste ; enfin, de redéfinir les modalités d'établissement de l'aide publique aux partis politiques fixées dans la loi du 11 mars 1988 – autant d'éléments qui n'ont pas été étudiés dans le cadre de cette proposition de loi. L'adoption d'une loi organique serait également nécessaire pour introduire des dispositions spécifiques en cas de remplacement d'un député élu au scrutin de liste en cours de mandat par le suivant de liste et en cas d'inéligibilité. Enfin, il faudrait consulter la commission prévue à l'article 25 de la Constitution, qui « se prononce par un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou de sénateurs ».
De plus, il apparaît difficile d'envisager une telle réforme sans mettre à jour la répartition des sièges de députés au regard des évolutions démographiques depuis 2009. En effet, en application du principe d'égalité devant le suffrage, le Conseil constitutionnel a par le passé déjà insisté pour que le législateur redécoupe les circonscriptions législatives afin de mettre la carte électorale en conformité avec les évolutions démographiques.
En clair, du point de vue législatif et technique, introduire de telles modifications nécessite un travail en profondeur de l'ensemble des parlementaires pour évaluer les dispositions à prendre. Ce travail ne peut décemment pas se faire dans l'urgence d'une niche parlementaire. Plutôt que de faire évoluer de façon pérenne, rationnelle et pragmatique notre démocratie, ce qui aurait exigé un long travail de préparation et de consultation, le groupe Rassemblement national semble préférer faire de ce sujet sérieux un objet médiatique au sein de sa niche.
Il est vrai que depuis quelques années, le paysage politique se recompose et que la question de la proportionnelle s'est légitimement posée, notamment pour assurer une meilleure représentativité de toutes les forces politiques, certains arguant que l'abstention grandissante est la conséquence directe de cette mauvaise représentativité. Cependant, l'instabilité parlementaire qui découle d'une mécanique proportionnelle, comme ce fut le cas sous les III