« On parle de dématérialisation, moi je parle de déshumanisation du système. On ne met plus personne devant les gens. On les laisse se débrouiller avec des moyens auxquels ils n'ont pas accès. » Ce constat d'Houria Rahmouni Benahmed, coordinatrice de l'association Zy'Va, à Nanterre, est aujourd'hui largement partagé par tous les acteurs et actrices de terrain qui, des villes ultradensifiées aux campagnes désertifiées, doivent pallier les dégâts d'une dématérialisation austéritaire des services publics. En octobre dernier, un collectif d'associations a ainsi interpellé votre gouvernement, madame la ministre déléguée, sur les ayants droit à la retraite. Ces personnes se retrouvent de plus en plus face à des portes closes à la suite de la fermeture des agences de la Caisse nationale d'assurance vieillesse ; elles sont systématiquement réorientées vers des plateformes téléphoniques saturées ou des espaces en ligne inaccessibles ; elles se tournent alors vers les associations, aux moyens de plus en plus réduits et qui sont confrontées aux mêmes difficultés que les usagers : refus injustifiés, pertes de dossiers, dysfonctionnements informatiques, services injoignables, formation insuffisante des conseillers techniques, etc.
Ainsi, loin de simplifier l'accès aux droits, la politique de dématérialisation mise en œuvre par votre gouvernement s'accompagne d'un allongement des délais de traitement et d'une forte augmentation des difficultés techniques, allant jusqu'à entraîner des interruptions de versements de plusieurs mois et donc une aggravation de la précarité. C'est vrai non seulement pour les retraites, mais aussi pour nombre d'autres prestations relevant de services publics. Dans son rapport de février 2022, la Défenseure des droits ne disait pas autre chose, alertant sur la rupture d'accès aux droits que la dématérialisation représente pour de nombreuses personnes âgées et pour les personnes précaires ou étrangères, mais également – contrairement aux idées reçues – pour de nombreux jeunes, un quart d'entre eux rencontrant des difficultés pour réaliser seuls des démarches en ligne.
Continuité, égalité, adaptabilité : ces grands principes du service public sont aujourd'hui bafoués ! Quelle continuité quand les usagers et les usagères se retrouvent face à des guichets fermés et à des lignes occupées ? Quelle égalité quand 22 % de la population ne dispose ni d'ordinateur ni de tablette à domicile, 15 % n'ayant de toute façon pas de connexion internet ? Quelle adaptabilité quand c'est désormais à l'usager de se substituer à l'administration et de trouver les moyens de se former, de se faire aider, de faire, d'être capable ?
La numérisation, qui aurait pu et dû faciliter l'accès aux droits des usagers et des usagères et le travail des agents et des agentes, sert en fait à appliquer l'austérité budgétaire et à accélérer la casse des services publics.
Madame la ministre déléguée, quand le Gouvernement va-t-il procéder à la réouverture des guichets physiques d'accueil des services publics et à l'embauche de fonctionnaires en nombre suffisant pour permettre l'extension de leurs horaires d'ouverture et l'accompagnement des usagers ?