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Intervention de Carole Grandjean

Séance en hémicycle du lundi 9 janvier 2023 à 16h00
Réforme de la voie professionnelle

Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels :

Je remercie le groupe Gauche démocrate et républicaine – NUPES d'avoir proposé ce débat consacré à la prochaine réforme de la voie professionnelle. Nos échanges s'inscriront – je n'en doute pas – dans la même démarche de concertation, de dialogue et d'écoute que celle dans laquelle j'ai souhaité mener cette réforme. En effet, la consultation de l'ensemble des parties prenantes est pour moi essentielle. Ce débat parlementaire est ainsi le second après celui qui s'est tenu au Sénat sur le même sujet le 14 novembre 2022.

Ce temps de débat me donne donc l'occasion de faire un nouveau point d'étape sur l'avancée des travaux de préparation de cette réforme, notamment des quatre groupes de travail que j'ai installés le 21 octobre 2022 et qui me rendront leurs rapports de synthèse et leurs propositions à la fin du mois.

Mesdames et messieurs les députés, nous pensons tous qu'il est nécessaire de faire reconnaître l'enseignement scolaire professionnel comme une véritable voie de réussite pour les jeunes, leurs familles et les employeurs. La réforme introduite par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel du 5 septembre 2018 a permis de lever des contraintes administratives qui freinaient le développement de l'apprentissage. Elle en a transformé l'image et elle a permis la mobilisation par tous de cette voie pour les jeunes et leurs familles, pour les entreprises de tous les secteurs et de toutes les tailles, pour tous les types de diplômes.

En 2023, le Président de la République a décidé de pérenniser les aides à l'embauche d'apprentis instaurées pendant la crise et ce jusqu'à la fin du quinquennat, pour faire de notre pays une vraie nation de l'apprentissage. Il a également la volonté de faire du lycée professionnel une voie de réussite pour notre jeunesse.

Avec Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, nous défendons une ambition identique : faire de la voie professionnelle une voie de choix et d'excellence. Le changement d'image est possible : nous l'avons observé concernant l'apprentissage. Il est donc également possible, et il est nécessaire, pour le lycée professionnel : nous nous en donnerons les moyens.

Nous devons reconnaître que le lycée professionnel ne joue pas suffisamment son rôle d'insertion professionnelle des élèves. La situation actuelle est source de frustrations aussi bien pour les jeunes et leurs familles que pour les enseignants. Le sentiment de déclassement nourrit le ressentiment et l'échec non seulement pour les élèves, pour leurs familles mais aussi pour les équipes pédagogiques.

La transformation de la voie professionnelle a commencé lors du précédent quinquennat – vous en avez discuté précédemment – dans le contexte difficile de la crise sanitaire. Ces premiers changements fournissent un socle sur lequel nous continuerons de bâtir grâce à un investissement structurel et résolument tourné vers la réussite des élèves. C'est notre responsabilité à tous : rétablir l'ascenseur social pour ces jeunes et rendre tangible l'égalité des chances pour les publics les plus fragiles et les plus en difficulté. L'enjeu est aussi de préparer mieux aux métiers de demain.

Les lycées professionnels, on le sait trop peu, accueillent un tiers des lycéens en France. Ils représentent donc un enjeu sociétal majeur : on parle ici d'un tiers de la jeunesse de France. Ces 627 000 lycéens professionnels, majoritairement issus de milieux défavorisés, se trouvent souvent en situation d'échec pendant leur scolarité ou à l'issue de celle-ci.

Voici quelques chiffres pour vous en convaincre : 33 % d'entre eux sont issus d'une famille ouvrière et 3 % d'une famille de cadres. Une forte proportion est issue de l'immigration ou est allophone. Dans les lycées professionnels, 5 % des élèves sont en situation de handicap, contre 1 % dans les lycées généraux. Les difficultés de lecture concernent 28 % des élèves en CAP et 16 % en bac pro, contre 3,5 % en bac général. Deux tiers des décrocheurs sont issus de la voie professionnelle. Après deux ans, en dehors de ceux qui poursuivent leurs études, seule la moitié des élèves sont en emploi. Les élèves sortant de bac pro sont de plus en plus jeunes et, souvent, ne sont pas majeurs.

En outre, l'organisation pédagogique et structurelle ainsi que la carte des formations actuelles ne prennent pas suffisamment en compte les mutations économiques ni les défis des territoires : ils ne s'adaptent pas assez aux profils des élèves et à leurs trajectoires. Avec de très grandes disparités selon les établissements, les formations dans les lycées professionnels peuvent être souvent insuffisamment tournées vers les deux voies de la réussite des élèves, à savoir l'insertion ou la poursuite d'étude. Je tiens à souligner l'existence de grandes disparités, car nous connaissons tous des lycées qui ont, d'ores et déjà, ouvert nombre des chantiers que nous mènerons avec cette réforme.

Il est donc nécessaire d'interroger la cohérence des diplômes avec les métiers de demain et donc de repenser la carte des formations. Il est également indispensable de mieux rapprocher l'école de l'entreprise dans la voie professionnelle et de faciliter la poursuite d'études quand cela est nécessaire.

Nous nous sommes assigné trois objectifs clairs pour réussir cette réforme, que j'ai déjà eu l'occasion de présenter devant le Parlement, et que nous préparons avec l'ensemble des acteurs concernés.

Le premier est de réduire le nombre de décrocheurs. Nous souhaitons prévenir et éviter cette fuite des élèves qui ne trouvent pas leur place en lycée professionnel et qui ne parviennent pas à percevoir toutes les possibilités qui s'offrent à eux. Entendons-nous bien : personne n'accuse les lycées professionnels d'être la cause unique du décrochage de ces élèves. Ils en sont souvent le réceptacle, héritant de difficultés liées aux fragilités personnelles des élèves, au manque de souplesse des parcours de formation et aux orientations trop souvent subies. Il nous appartient dès lors de trouver des réponses et de bâtir ensemble une organisation nouvelle, plus souple, qui permette d'assurer collectivement plus de prévention et d'accompagnement, plus de motivation, plus de sens et d'engagement des jeunes dans leurs parcours.

Le deuxième objectif est de faire progresser significativement le taux d'insertion dans l'emploi. Le bac professionnel et a fortiori le CAP doivent tenir leur promesse républicaine d'insertion dans l'emploi, qui est la raison d'être de ces diplômes. Cette insertion inscrite dans l'ADN de ces diplômes de la voie professionnelle est le gage de leur légitimité que je souhaite renforcer.

Le troisième objectif est de sécuriser la poursuite d'études. Lorsqu'ils ont ce projet et que le métier le requiert, nos jeunes doivent être mieux préparés aux méthodes et aux attendus des études supérieures, notamment ceux des BTS. C'est par ces trois leviers que nous transformerons l'image que tous se forment du lycée professionnel. Surtout, nous en ferons des chemins de développement personnel et professionnel.

Je veux à présent esquisser les premières pistes pour atteindre ces trois objectifs et réformer le lycée professionnel afin d'en faire une voie de réussite. Nous investirons dans les lycées professionnels comme jamais cela n'a été fait auparavant, en travaillant sur de nombreux leviers.

Nous renforcerons les enseignements généraux, car les entreprises ont besoin non seulement de compétences techniques mais aussi de citoyens éclairés. Nous construirons des formations d'avenir à destination des élèves, qui soient davantage en phase avec la préparation des grands défis collectifs de demain : les transitions écologiques et numériques, la révolution de la longévité, c'est-à-dire les enjeux du vieillissement de la population, la transition vers une société plus inclusive et plus solidaire qui passe par un meilleur accompagnement du handicap dans tous les secteurs et, enfin, notre politique de souveraineté économique et de réindustrialisation du pays.

La gratification des élèves pour les périodes de formations en milieu professionnel que nous mettrons en place et accompagnerons dès la rentrée 2023 doit conforter la motivation des élèves et leur engagement à réussir. Comme ces périodes contribuent à donner du sens et de l'expérience aux élèves tout en leur assurant des contacts, elles doivent être valorisées.

Vous avez déjà débattu du suivi renforcé des élèves pendant ces périodes pour que celles-ci soient à la hauteur de l'expression qui les désigne, de véritables « périodes de formation » qui aient bien lieu dans un environnement « professionnel ». Nous devons aussi être les garants de la qualité de ces périodes qui pourront, quand cela se révèle nécessaire, être prolongées. Enfin, nous voulons améliorer la formation initiale et continue des professeurs eux-mêmes.

Pour ce faire, je vous annonce très clairement que les moyens dédiés aux lycées de la voie professionnelle seront maintenus à la rentrée 2023. Notre logique est donc bien celle du développement du lycée professionnel et de l'intensification de l'accompagnement des jeunes. Nous croyons en une voie éducative pour la jeunesse dont notre pays a besoin ; une jeunesse qu'il reconnaît, qu'il valorise, et donc dans laquelle il investit.

Pour toutes ces raisons, j'ai lancé, le 21 octobre dernier, quatre groupes de travail qui ont pour mission de formuler des propositions sur les évolutions à appliquer progressivement dans le cadre de la réforme. Ces groupes portent respectivement sur la réduction du nombre de décrocheurs, la préparation à la poursuite d'études supérieures requise par certains métiers, l'amélioration significative du taux d'accès à l'emploi après l'obtention du diplôme et les capacités d'initiative qui peuvent être données aux établissements sans compromettre le caractère national des diplômes.

Pilotés par quatre recteurs, ces groupes de travail, qui auditionnent en particulier des experts, sont constitués de trente à quarante personnes, notamment de représentants des organisations syndicales, éducatives et interprofessionnelles – certains ont effectivement siégé au sein des groupes de travail –, de représentants des régions et des fédérations d'élèves, ainsi que de chefs d'établissements, de professeurs de lycées professionnels et d'élèves eux-mêmes. Nous sommes prêts à mobiliser tous les leviers qui permettront d'augmenter la réussite de nos élèves et d'assurer de meilleures conditions d'exercice aux professeurs : nous attendons que les groupes de travail formulent leurs propositions.

Vous l'aurez compris, l'objectif de la réforme est de faire de la voie professionnelle une voie choisie, une voie de réussite et un véritable lieu de formation aux compétences clés qui permettront à la nation de relever les défis de demain. Les lycées professionnels seront alors reconnus comme des voies d'excellence, choisies par les élèves et leurs familles autant que par les entreprises : c'est ainsi que nous assurerons à un tiers de la jeunesse de France que nous comptons sur elle et qu'elle a sa place dans notre société – sur le marché du travail comme dans les études supérieures.

Nous écrirons cette réforme ensemble, progressivement et après concertation avec toutes les parties prenantes.

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