Je prends la parole au nom de la FSU, première organisation syndicale de l'éducation nationale ; avec l'accord des intéressés, je représenterai toute l'intersyndicale de la voie professionnelle, qui réunit également la CGT, l'Unsa – Union nationale des syndicats autonomes –, SUD – Solidaires, unitaires et démocratiques –, le Snalc – Syndicat national des lycées et collèges – et la CNT – Confédération nationale du travail.
Je vous remercie d'avoir inscrit le débat sur la réforme des lycées professionnels à votre ordre du jour, car l'enjeu dépasse largement le cadre scolaire : cette réforme relève d'un projet de société, qui n'a donné lieu à aucun débat parlementaire ni dialogue social digne de ce nom.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels, a eu recours à une méthode dépourvue de toute rigueur et très brutale : elle a d'emblée refusé tout échange avec les organisations syndicales sur les besoins des lycées professionnels, en amont de l'application de la réforme. En septembre, elle les a convoquées pour leur présenter les quatre éléments socles du projet, en précisant qu'ils étaient non négociables. Elle nous a ensuite avertis que des concertations seraient organisées. Nous avons refusé d'y participer, puisque l'objectif était déjà défini : elles étaient uniquement destinées à concevoir la manière dont la réforme serait appliquée. Ainsi, la méthode ne nous convient pas : elle consiste à contourner le dialogue social, révélant un grand mépris à son encontre.
L'un des éléments socles a contribué à élargir la mobilisation contre la réforme à tout le second degré, notamment à de nombreux professeurs de collège. Il s'agit du dispositif Découverte des métiers, que la ministre déléguée veut imposer en classe de cinquième, à raison d'une demi-journée par semaine. Je reviens à l'instant du ministère, où on nous a annoncé que ce dispositif entrerait en vigueur dans tous les collèges à la rentrée.
Le personnel et les parents attendent des réponses, notamment aux questions de savoir comment ce dispositif sera intégré à l'emploi du temps d'élèves de cinquième, et s'il n'existe pas d'autres mesures plus urgentes à même d'améliorer la scolarité au collège : à 12 ans, puisque c'est leur âge, les jeunes n'ont-ils pas d'autres aspects à découvrir ou à approfondir, en particulier dans le contexte que nous connaissons, de résultats nationaux en deçà des attentes ?
L'élément socle qui a le plus suscité la contestation des personnels et des familles est l'augmentation des semaines de stage, qui se traduira mathématiquement par une diminution du temps scolaire. Nous attendons toujours une réponse aux questions des enseignants et des élèves : quelles disciplines seront affectées par ces réductions ? Certaines vont-elles disparaître ? Qu'en sera-t-il en particulier pour l'éducation physique et sportive (EPS), l'économie-droit, les langues vivantes ou la prévention santé-environnement (PSE) ? Les inquiétudes sont vives dans la profession car des enseignements généraux ont subi de drastiques réductions de leur volume horaire après la dernière réforme de la voie professionnelle, lancée par Jean-Michel Blanquer.
Diminuer le nombre d'heures d'enseignement aggraverait les difficultés de nos lycéens lors des épreuves, alors qu'ils sont déjà les plus fragiles sur le plan scolaire. Ce serait aussi prendre le risque de réduire, à terme, le nombre de jeunes qualifiés dans notre pays. Si le choix est fait de maintenir tous les enseignements généraux – nous entendons beaucoup de choses dans les médias à ce sujet, mais il n'y a toujours pas d'annonces officielles –, l'enseignement professionnel serait fortement percuté, ce qui induirait un risque majeur de perte des compétences métier et amplifierait les problèmes existants liés aux stages, qu'il s'agisse des lieux où ils se déroulent, de leur qualité ou de la sécurité des élèves qui les effectuent.
J'illustrerai mon propos par quelques exemples pour mieux me faire comprendre. Il n'est pas rare que nos élèves soient accueillis dans des entreprises qui leur proposent des stages éloignés du métier qu'ils apprennent. Dans la filière hygiène-propreté-stérilisation (HPS), faute de places dans les laboratoires ou les hôpitaux, certains jeunes sont affectés dans la grande distribution, où leurs tâches sont limitées au nettoyage, voire à la mise en rayon. Même lorsque le lieu du stage est adapté à la filière, ils n'effectuent jamais la totalité des tâches professionnelles liées au métier auquel ils se destinent. En carrosserie, chez Carglass, ils ne font que du montage de pare-brise ; en mécanique automobile, chez Feu Vert, ils ne font que du montage de pneus. Je pourrai vous donner des exemples analogues pour chacune des filières.
C'est dans les lycées professionnels, dotés de plateaux techniques adaptés comme les ateliers de mécanique, de carrosserie ou les salles blanches, avec des enseignants le plus souvent issus du monde professionnel, que les élèves peuvent acquérir la globalité des compétences métier nécessaires à l'obtention d'un diplôme comme à leur insertion professionnelle.
Les lycées professionnels accueillent par ailleurs beaucoup d'élèves en situation de handicap ou à besoins particuliers. Nous n'avons toujours pas de réponses de la ministre sur le traitement particulier qu'il faudra leur appliquer en cas d'augmentation du volume des stages, car vous vous doutez bien qu'il est plus difficile de leur trouver une place.
Augmenter le nombre d'heures de stage, c'est aussi laisser nos élèves plus longtemps dans un environnement moins protecteur que le lycée – des études récentes ont révélé que les tâches subalternes qu'on leur confie le plus souvent les exposent davantage aux accidents du travail et aux produits toxiques. En outre, et ceci nous inquiète beaucoup, une telle augmentation tendra à accroître les risques pour les filles, de surcroît mineures, d'être confrontées aux discriminations et surtout aux violences sexistes et sexuelles inhérentes au monde du travail. Cela nous conduit à poser une autre question : qu'a prévu la ministre déléguée pour sécuriser les lieux de stage ?
Quant à l'élément socle de la réforme consistant à définir les horaires de chaque discipline non plus selon une grille nationale mais établissement par établissement, il impliquerait des droits différents, notamment en matière de nombre d'heures d'enseignement, pour accéder à un même diplôme. Pour nos organisations syndicales, c'est une remise en cause frontale de l'un de piliers de l'école républicaine : l'égalité entre les élèves.
Cette réforme est profondément dangereuse pour l'avenir des jeunes comme pour celui de nos métiers. Notons que la possibilité de supprimer des heures de cours conduirait inéluctablement à supprimer des postes d'enseignants. Selon nos évaluations, 5 000 postes, soit 10 % du corps professoral des lycées d'enseignement professionnel, seraient menacés.
Le lycée professionnel joue un rôle social majeur dans notre pays. Il permet à 650 000 jeunes cumulant difficultés économiques et scolaires d'apprendre un métier tout en bénéficiant d'une formation générale indispensable à leur citoyenneté et à leur émancipation. Cette réforme, si elle était mise en œuvre, reviendrait à réduire la formation professionnelle à la simple reproduction de gestes techniques, choix, selon nous, profondément réactionnaire qui signerait un abandon sans précédent de l'ambition scolaire de notre pays pour tous ses jeunes. Elle organiserait un séparatisme entre les jeunesses lycéennes alors que notre pays a besoin d'une cohésion sociale renforcée.