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Intervention de Angélique Palle

Réunion du mercredi 7 décembre 2022 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Angélique Palle, chercheur associé à l'IRSEM :

Chaque État membre a, à quelques exceptions près, un coordinateur du réseau national et il y a au-dessus une sorte d'instance de surveillance, le coordinateur de sécurité régional, qui s'occupe des grandes interconnexions ou des grandes zones d'interconnexion – par exemple, la France, la Suisse, l'Italie et le sud de l'Allemagne. Il s'agit, non pas d'une approche européenne globale, mais d'une approche macrorégionale ou sous-régionale. Des normes de sécurité européennes ont été édictées par l'ENTSO-E (European Network of Transmission System Operators for Electricity), l'association européenne des gestionnaires de réseau de transport d'électricité, pour gérer les coupures et les redémarrages et mettre en relation les différents gestionnaires de réseaux de transports nationaux. L'architecture existe donc, dans une certaine mesure.

S'agissant de la préparation de nos armées aux luttes hybrides, pour ce qui est des aspects énergétiques, deux choses me semblent importantes : d'une part, la sécurisation des routes d'approvisionnement, qui est du ressort de la marine, d'autre part, le problème de la dépendance au carburant unique, notamment pour les forces de projection. Plusieurs initiatives ont été lancées en cette dernière matière, notamment les éco-camps – les États-Unis ont engagé des programmes similaires, notamment en Californie, où il y a des incendies de grande envergure l'été et où il faut sécuriser l'approvisionnement des bases – et l'hybridation des matériels militaires, notamment pour le Griffon à l'horizon 2025. Cela permettra de s'affranchir de certaines contraintes stratégiques – qui ont d'ailleurs pesé sur la capacité de manœuvre russe durant la première phase de l'invasion.

Il est extrêmement difficile de se prononcer sur la résilience du réseau ukrainien sans disposer de données ni sur lui ni sur les frappes russes. La traduction de la boucle Telegram du gestionnaire de réseau de transport d'électricité ukrainien permet d'avoir un aperçu de la situation globale ; en revanche, on ne connaît pas avec précision les cibles des bombardements. Il est donc difficile d'avoir une vision prospective. Plusieurs scénarios sont possibles. Selon le premier, les Russes n'arrivent pas à détruire le réseau ukrainien parce que l'aide européenne en matériel et pièces de rechange est suffisamment importante et coordonnée avec les besoins ukrainiens. Dans le second, le réseau s'effondre mais on arrive à le redémarrer par îlot, certaines régions ayant accès à l'électricité de manière plus ou moins stable. Enfin, il y a le scénario du black-out total, y compris en matière d'information : du coup, cela limite notre capacité de réaction et les Ukrainiens ont dû mal à tenir.

N'étant pas une spécialiste de l'eau, il m'est difficile de me prononcer sur l'approvisionnement de l'Ukraine en la matière. En revanche, il existe une synergie entre les questions électriques et la question de l'eau, notamment parce qu'on a besoin d'électricité pour faire fonctionner les pompes : si l'on n'a pas de générateurs de secours pour approvisionner les grands réseaux urbains intégrés, cela peut poser un problème.

Devons-nous essayer d'être moins dépendants du marché mondial et relancer la prospection d'hydrocarbures en France et dans l'Union européenne ? Cela impliquerait de démanteler entièrement le système d'échanges internationaux actuel, ce qui irait à contre-courant de la tendance des dernières décennies, qui vise l'intégration des marchés mondiaux. Il existe localement des possibilités. Le problème est de savoir combien cela coûterait pour des opérateurs qui ne sont pas forcément des entreprises publiques et qui n'ont pas intérêt à aller investir dans des espaces où le prix de l'exploitation sera beaucoup plus élevé que celui de l'énergie sur le marché mondial. Il faut donc arbitrer entre la sécurité nationale et la gestion des marchés internationaux. Pour prendre l'exemple du gaz naturel liquéfié, on est passé d'un approvisionnement par gazoduc depuis un pays voisin dans le cadre d'un contrat à long terme à un marché spot international totalement décloisonné où l'on peut décider quinze jours auparavant où ira le tanker qui transporte le gaz. Ce n'est pas du tout la même logique.

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