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Intervention de Anne-Claire Legendre

Réunion du mercredi 7 décembre 2022 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Anne-Claire Legendre, porte-parole, directrice de la communication et de la presse au ministère de l'Europe et des affaires étrangères :

Vous avez mentionné la RNS, Monsieur le président. On pourrait aussi citer d'autres interventions du Président de la République, qui a relevé le caractère hybride de la guerre menée aujourd'hui par la Russie depuis l'invasion de l'Ukraine le 24 février. Son caractère hybride s'illustre tout particulièrement par une offensive informationnelle. Elle se déploie sur trois axes, qui visent trois publics différents.

La première offensive concerne la population russe et cherche à maintenir le soutien à la guerre menée en Ukraine.

La Russie a mis en place toute une série de dispositifs et de mesures pour enfermer la population russe dans une bulle cognitive, ce qui avait déjà commencé avant le 24 février. Cela passe tout d'abord, dès les premiers jours du conflit, par la pénalisation de la mention d'un certain nombre de termes relatifs à la guerre en Ukraine – on ne doit pas parler de guerre mais d'« opération militaire spéciale ». Les restrictions apportées à la liberté d'informer ont conduit la totalité des médias indépendants à fermer. C'est le cas notamment de Novaïa Gazeta, de Dojd et de Meduza, qui continuent à émettre depuis l'extérieur. Il n'y a plus de média indépendant de nationalité russe opérant en russe en Russie.

Le contrôle porte aussi sur les réseaux sociaux, avec la fermeture de Twitter et des plateformes de Meta. Seul YouTube reste accessible. Les Russes ont certes trouvé un certain nombre de moyens pour contourner ces interdictions – avec un pic d'achats de réseaux privés virtuels (VPN) au début du conflit. Mais nous estimons que seulement 20 % de la population peut accéder à une information libre, et il s'agit sans doute surtout de la jeune génération.

La deuxième offensive informationnelle vise les partenaires occidentaux de l'Ukraine à travers leurs opinions publiques. L'objectif est de diviser le camp occidental et de fragiliser les politiques de soutien à l'Ukraine.

Pour cela, deux grands axes ont été suivis depuis le début de la guerre. Le premier consiste à inverser les responsabilités sur l'origine du conflit, en soulignant celle de l'Otan et de sa supposée provocation. Cette petite musique a malheureusement pris dans une partie de nos opinions publiques. Le deuxième axe est économique. La Russie a beaucoup travaillé depuis mars pour tout d'abord démontrer que les sanctions sont plus nuisibles pour les populations européennes que pour l'économie russe, censée avoir bien résisté. Vient ensuite la question de l'énergie. On voit circuler sur les réseaux sociaux des vidéos qui mettent en scène le fait que l'Europe souffrirait d'un état de rupture énergétique. Elles sont ensuite utilisées dans l'espace informationnel russe pour prouver à la population que sa situation n'est, par comparaison, pas si négative.

La troisième offensive concerne le « Sud global ».

Comme l'a analysé très tôt notre ambassade à Moscou, la Russie a présenté ce conflit comme celui opposant l'Ouest au reste du monde, en utilisant le narratif préexistant d'un supposé impérialisme occidental. Cela a été fait en lien avec la tentative d'inverser les responsabilités – ou du moins de créer des équivalences. Cette démarche a eu un effet sur les positions diplomatiques d'un certain nombre d'États. Nous avons également assisté à un chantage alimentaire et énergétique. Sans doute pour la première fois dans l'histoire des conflits, la propagande s'est également exercée au sujet de la sécurité alimentaire. Il s'agissait de convaincre nos partenaires que les sanctions européennes et américaines étaient à l'origine de la crise actuelle.

Nous avons évidemment développé des stratégies pour faire face à chacune de ces offensives. Sans les décrire toutes, je voudrais au préalable présenter le nouveau dispositif qui a émergé à l'occasion de la guerre en Ukraine.

Afin de faire face aux menaces, une task force pour lutter contre les manipulations avait été créée dès 2020 au sein du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, à la demande de Jean-Yves Le Drian. Il m'avait ensuite donné pour mission de renforcer nos capacités de veille et d'analyse des dynamiques informationnelles il y a de cela un an et demi. Ce mandat confirmé par madame la ministre Catherine Colonna a permis de créer une nouvelle sous-direction au sein de la direction de la communication et de la presse du Quai d'Orsay durant l'été 2022. Elle permet de disposer d'une capacité d'analyse autonome, en lien avec le travail réalisé par les ambassades et par nos partenaires au sein de l'État – dont le commandement de la cyberdéfense et le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), mais aussi avec nos partenaires internationaux.

Sur les trois champs déjà évoqués qu'avons-nous fait ? La bulle cognitive mise en place autour de la population russe est extrêmement efficace et difficile à pénétrer. C'est dans ce domaine que nos résultats sont les plus frustrants. Dès le début de la guerre, nous avons créé un compte Telegram pour envoyer des messages en russe à la population russe et pour contourner le blocage de Twitter, où nous nous exprimions. Le réseau Telegram a pris beaucoup d'ampleur à l'occasion de la guerre informationnelle menée dans le cadre de l'intervention en Ukraine. Nos partenaires ont fait de même, puisque les diplomaties américaine, européenne, britannique et allemande s'y expriment. Malheureusement, l'effet est limité en raison du contrôle exercé sur ce réseau social. À l'instar d'autres partenaires européens, dont les Allemands et les Lettons, nous avons par ailleurs aidé les médias indépendants russes à se réinstaller en Europe et à continuer de diffuser. La télévision Dojd peut ainsi réémettre depuis Paris avec une émission hebdomadaire en russe.

En ce qui concerne le deuxième axe de l'offensive russe, l'enjeu était de maintenir l'unité des partenaires de l'Ukraine. Tel a été le sens de l'effort mené au sein de l'Otan, de l'Union européenne (UE) et du G7 pour contrer la désinformation russe, en prouvant que les sanctions étaient efficaces et que des mesures particulières étaient prises pour en atténuer les effets sur nos économies.

Alors qu'un certain nombre de résolutions a dû être négocié au sein de l'ONU, la propagande russe a pesé sur notre capacité à obtenir des soutiens au sein de l'Assemblée générale des Nations unies. Au début de la crise, 141 États ont voté pour condamner l'agression ; en septembre dernier, ils étaient 143. Le maintien de ce soutien est le résultat d'un travail intense de démarches diplomatiques et l'on voit bien que le discours russe sur la responsabilité du conflit a porté. Il y a une forme d'indifférence envers le conflit en Ukraine, qui ne concernerait directement que les Européens. Une forme d'équivalence s'est installée dans l'esprit de certains, appuyée par l'accusation d'impérialisme occidental véhiculée par la Russie. Il faut prendre en compte de manière urgente les inquiétudes qui s'expriment au sujet des conséquences énergétiques, alimentaires et socio-économiques de la guerre. Dans certains pays, la propagande russe a fait miroiter des accords bilatéraux sur l'alimentation ou les engrais, et cela a payé. Nous devons donc continuer à porter notre effort vers le Sud.

Un dernier mot sur la coopération internationale. Des groupes ont été formalisés au sein de l'Otan pour la communication stratégique. Il en existe aussi dans le cadre du G7. Au sein du service européen pour l'action extérieure (SEAE), Josep Borrell dispose d'un service de communication stratégique très actif, qui a été créé en 2014 après les premières agressions contre l'Ukraine. Les éléments du dispositif sont là. Il reste à le rendre plus opérationnel. Nous partageons beaucoup les analyses des dynamiques informationnelles, mais nous n'avons pas encore trouvé la recette magique qui permettrait de donner un caractère massif à notre communication sur les réseaux sociaux.

Le travail de rétablissement des faits – effectué notamment par les ambassades – doit être relayé par d'autres acteurs pour résister au scepticisme croissant d'une partie du public envers la parole institutionnelle. C'est la raison pour laquelle il est essentiel, tant au niveau national qu'avec nos partenaires internationaux, de continuer à soutenir les médias qui sont les premiers acteurs de la lutte contre les manipulations de l'information et les vecteurs légitimes d'une information fiable, vérifiée et de qualité.

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