Vous avez souligné à juste titre le rôle important des femmes dans l'émergence de la filière nucléaire, et je tiens à citer aussi, à ce titre, Lise Meitner, souvent oubliée.
Dans votre livre La Femme qui résiste, que j'ai lu avec grand plaisir voilà onze ans et qui a joué un grand rôle, vous avez notamment eu le courage d'identifier les responsabilités des personnes, ce qui n'est guère dans les habitudes françaises – de fait, dans les travaux de notre commission d'enquête, et sans que ce soit la faute du président ni du rapporteur, on a l'impression qu'il y a des gens qui ne sont jamais responsables de rien. Dans votre livre, en revanche, vous identifiez bien le processus de décision politique qui prévaut aux nominations dans le « Meccano industriel » – cette spécificité française qui veut que, pour le meilleur et peut-être pour le pire, nous ayons des élites en nombre réduit, dans un périmètre géographique réduit et dans des administrations également réduites. Pour le meilleur, ce système nous a permis de faire le programme nucléaire, mais peut-être déraille-t-il aussi parfois, et c'est l'objet de mes questions.
Le fait que vous ayez refusé à plusieurs reprises d'exercer des responsabilités politiques sous la présidence de Nicolas Sarkozy a-t-il gêné le développement d'Areva ou vous a-t-il gênée dans l'exercice de vos fonctions ? Y a-t-il eu un changement d'attitude de la part d'EDF à votre égard et, chose plus grave, envers Areva ? Cela a joué, d'après ce que j'ai compris à la lecture de votre livre, un rôle considérable.
La souveraineté énergétique recouvre également la production de matériel de production électrique. Vous avez été présidente d'Areva alors qu'Alstom connaissait, depuis 1999, de grandes difficultés. Vous avez, du reste, présenté Areva comme une « Caisse des dépôts industrielle ». On vous a ainsi demandé, en 2004 ou 2005, au moment du démantèlement organisé par Bruxelles, de reprendre les activités de transmission et de distribution d'Alstom. Le prix d'achat de ces activités par Areva était, si je ne me trompe, de l'ordre d'un milliard d'euros, et le prix de leur revente à Alstom et Schneider de 4 milliards d'euros, soit quatre fois plus. Je ne vous reproche pas d'avoir défendu les intérêts capitalistiques d'Areva, mais comment expliquez-vous qu'alors qu'Alstom rencontrait de très grandes difficultés, on lui ait fait vendre pour 900 millions d'euros une activité qui, de toute évidence, valait beaucoup plus – car vous conviendrez que vous n'avez pas quadruplé la valeur de cette activité en quelques années seulement ? Le scandale a été encore plus grand pour la filiale Power Conversion, pour laquelle l'effet de levier et de l'ordre d'un à vingt. A-t-on affaibli Alstom, entreprise française, sinon par votre faute, dans une transition où vous avez joué un rôle d'intermédiaire ?
Les offres concurrentes qui se présentaient à l'époque de la revente à Alstom, notamment celles du Japonais Toshiba et de l'Américain General Electric, ont-elles été utilisées pour gonfler le prix de vente, et donc spolier les intérêts de la France, ou du moins affaiblir encore Alstom, qui a dû racheter quatre fois plus cher ce qu'il avait précédemment vendu ? Cette situation a été très problématique pour la suite, car la difficulté principale d'Alstom a toujours été la trésorerie, qui a été considérablement affaiblie dans cette opération.
Quels ont été les rapports de force, notamment le rôle de Bouygues ? A-t-on fait entrer Bouygues dans Alstom pour des raisons politiques, alors que cette entreprise n'avait rien à y faire, et la situation de Bouygues pendant sept ans a-t-elle posé problème ? Ne s'agissait-il pas d'une cinquième colonne au sein d'Alstom ?
De la même manière, je comprends que vous pensiez qu'EDF était juge et partie, et qu'il ne fallait peut-être pas mettre Framatome dans EDF, mais comment expliquez-vous que les activités industrielles d'Areva, en particulier Framatome, n'aient pas été réunies avec Alstom pour constituer un champion tel que pouvait l'être la CGE. Celui qui occupait les fonctions de président de cette entreprise au début des années 90 a expliqué à plusieurs reprises qu'il n'avait jamais compris pourquoi on n'avait jamais consolidé les activités historiques d'Alstom CGE avec celles de Framatome, alors qu'il n'y avait pas de conflit d'intérêts d'exploitants. C'est incompréhensible pour moi aussi.
En outre, M. Bréchet, lors de son audition par la commission d'enquête, nous a indiqué que Framatome avait connu des problèmes de matériaux. Pouvez-vous confirmer ou infirmer qu'il y ait eu des problèmes de suivi de la qualité des produits de Framatome, dont une partie sous votre mandat ? Avez-vous suivi cette question où n'étiez-vous pas au courant de tout cela ?
Ma dernière question portera sur l'alliance avec Siemens. Le comportement de la puissance étatique allemande et de son bras armé industriel semble avoir un rôle dans l'affaiblissement de la France. Ainsi, Siemens a été condamné pour son comportement déloyal dans sa participation à l'EPR. Était-ce une erreur de faire entrer les Allemands dans ces projets nucléaires pour lesquels ils n'avaient visiblement pas d'appétence ni de compétence particulière ? Sont-ils venus comme observateurs ou comme saboteurs ? Enfin, ne pensez-vous pas, compte tenu de l'expérience que nous avons eue avec Siemens, que la volonté permanente de lier tous les grands projets industriels français avec les Allemands n'est peut-être pas une si bonne idée ?