La première de vos nombreuses questions concerne la ministre de l'environnement qui était en fonctions lors de la création d'Areva en 2001. De fait, même si la tutelle de ce domaine ne relevait pas de Dominique Voynet – ce qui n'est d'ailleurs pas tout à fait exact –, le Gouvernement était alors celui d'une majorité plurielle dans un contexte de cohabitation, et il fallait donc que toutes les étoiles soient alignées. Cela a été le cas et, même si tous n'avaient pas les mêmes idées, ce processus a commencé d'une manière consensuelle.
Pour ce qui est de savoir si la stratégie internationale ne va pas contre la base industrielle installée française, je rappelle que cette dernière avait pour objectif la construction du parc français : celui-ci une fois réalisé, elle pouvait soit disparaître ou s'amoindrir dans l'attente d'une deuxième phase de construction qui viendrait bien plus tard, soit s'internationaliser. La base industrielle française a donc profondément profité de l'internationalisation et les investissements que nous avons faits dans cette perspective ont été très majoritairement réalisés en France. Je pourrais en citer la liste : à part pour ce qui concerne l'uranium, dont notre pays ne dispose plus, nous avons investi en France dans le domaine industriel. Ainsi, sur les 40 000 personnes que nous avons embauchées, plus de 30 000 étaient françaises. Ce modèle, peut-être très atypique, a été volontaire.
Quant à « l'échec » du contrat d'Abou-Dhabi, je rappelle que, par définition, si un acteur international gagne certaines compétitions internationales, il en perd d'autres – c'est du reste ce qui est arrivé aussi à General Electric. En l'espèce, Areva ne serait pas en mesure de répondre à toute la demande mondiale. La concurrence est partout, et la campagne lancée en France pour voir dans ce dossier un grave échec français et pour en rechercher les responsables était irrationnelle – je l'ai, du reste, prise aussi comme un élément positif, car elle montrait qu'Areva était devenu un symbole important. De même qu'au football on ne gagne pas tous les matchs, malgré de fortes attentes, un industriel qui opère à l'échelle mondiale ne cesse de disputer des matchs avec des gens différents et à propos de sujets différents, et il ne les gagne pas tous.
Pour ce qui concerne l'uranium, nous avons beaucoup diversifié notre base et nous nous sommes développés en achetant UraMin mais, pour le reste, il s'est agi d'une croissance organique. Nous avons ainsi créé avec le Kazakhstan une nouvelle entreprise, qui fonctionne très bien et dont nous détenons 51 % – ce qui en fait la seule entreprise de ce pays dans laquelle un acteur étranger est majoritaire. Nous avons aussi fait un important effort d'exploration en Australie, en Afrique du Sud, en Mongolie et en Amérique du Sud, entre autres, développant partout du relationnel et des permis.
Selon vous, 90 % de l'uranium utilisé en France serait sous l'influence russe ou chinoise ? J'en reste baba car, à moins qu'il ne se soit produit quelque chose qui nous aurait échappé, la plus grande partie de notre uranium provient du Canada, du Niger et du Kazakhstan.
Par ailleurs, la France ne dispose pas de trente ou quarante ans de stock d'uranium ! Ce sont les Asiatiques qui stockent ce métal – Chinois et Japonais, et surtout ces derniers, qui en possédaient d'énormes stocks avant Fukushima, puis les ont vendus après l'arrêt des réacteurs, ce qui a du reste contribué, dans un effet cumulatif, à la baisse du prix.
Rassurez-vous cependant : il y a beaucoup d'uranium dans le monde. Bien sûr, celui qui est le plus facile à exploiter, le plus proche de la surface et le plus concentré, a déjà été pris, et celui qui reste est plus profondément situé et plus diffus, mais les technologies nécessaires pour l'exploiter existent – c'est, par exemple, ce qui se fait au Kazakhstan.
Par ailleurs, le prix de l'uranium a très peu d'incidence sur celui du kilowattheure, dont il représente que 5 %. Contrairement donc à ce qui se passe pour le prix du charbon ou du gaz, dont la part correspondant au combustible représente respectivement 80 % et 70 %, un doublement ou un triplement du prix de l'uranium sera pratiquement insensible dans le prix du kilowattheure. On trouve, je le répète, de l'uranium presque partout. Ainsi, dans les années 1970-1980, la France avait fait étudier la possibilité d'extraire l'uranium des océans : ce serait évidemment très cher, mais c'est faisable. Pas d'angoisse donc, quant au stock ni au prix.
Si, comme vous le rappelez à juste titre, on pratique aujourd'hui le mono-recyclage – c'est-à-dire que l'uranium n'est recyclé qu'une fois –, c'est parce que nous n'avons pas eu le temps de le recycler deux fois. L'usine de La Hague n'a, en effet, démarré qu'au milieu des années 1990 et Melox à l'orée des années 2000, de sorte que nous n'avons pas un recul suffisant pour recycler davantage de combustible.
Je renvoie à ceux qui gèrent aujourd'hui l'usine de La Hague la question de la saturation de ce site : après onze ans, je considère que je ne suis plus responsable de rien.
Quant à la transparence, j'y suis absolument favorable, en particulier là où se portent certains soupçons. Il faut expliquer et comprendre. Une grande leçon que j'ai apprise avant d'arriver à la Cogema, est qu'on ne choisit pas ses opposants et qu'il faut accepter de discuter avec tout le monde. Il faut également comprendre les passions et les peurs, et tenir compte des sentiments, car la rationalité n'est pas le seul ressort. Du dialogue naît toujours quelque chose et il faut absolument faire des efforts dans ce domaine.
J'ajoute qu'un réacteur nucléaire de 1 mégawatt de puissance consomme, en moyenne française, environ 20 tonnes de combustible par an, contre 9 000 tonnes pour une centrale électrique au charbon, sachant par ailleurs que, l'uranium étant un métal très lourd, il occupe un volume très faible. Les échelles sont radicalement différentes et l'uranium n'est pas un problème bloquant pour l'industrie nucléaire mondiale.