En 2009-2010, il y a eu des arbitrages de l'État et ils ont toujours été en faveur d'EDF. Après l'épisode des Émirats arabes unis, le président d'EDF a été remplacé. Un nouveau président a été nommé en novembre 2009, c'est-à-dire très tard. Il a donné une longue interview dans Les Échos, où il expliquait que le modèle nucléaire français n'était pas le bon et que l'EPR n'était pas un bon réacteur. Or l'État avait décidé d'en construire un. Pendant toute la fin des négociations, en novembre et décembre, c'est l'État qui a négocié à notre place. Nous n'avions plus vraiment accès au client ; je ne peux donc pas vous dire ce qui s'est passé.
Vous dites que le réacteur OL3 a été un échec. Le projet devait coûter 3,4 milliards – et Flamanville, 3 milliards, ce qui est comparable. Mais il se trouve que le prix de l'acier et du béton a considérablement augmenté, et qu'un chantier qui s'éternise coûte cher. C'est Areva et Siemens qui ont payé. Il y avait eu des précédents. J'ai été administratrice de Total pendant quinze ans : je crois que le coût du chantier de Kachagan, au Kazakhstan, a été multiplié par sept. Je ne dis pas cela pour m'excuser. J'ai deux souvenirs professionnels épouvantables : celui-là et Fukushima.
Aurait-il fallu faire un EPR en France avant ? Oui, mais il n'y a pas eu de décision politique en ce sens. L'EPR, en France, a été décidé bien après. Le réacteur finlandais était le First of a Kind (FOAK), le premier du genre, mais EDF a considéré que c'était Flamanville, parce que nous, nous n'étions pas bons, si bien qu'il y a eu deux premiers du genre. Et les Chinois ont pris le meilleur des deux pour construire des EPR dans les meilleures conditions.
Si nous n'avons pas emmené EDF en Finlande, c'est parce que les Finlandais ne le voulaient pas. Nous l'avons proposé à plusieurs reprises mais ils ont refusé. Tout le monde n'aime pas EDF, ce qui peut d'ailleurs poser un problème pour Framatome, et il y avait des questions de concurrence européenne. L'ingénierie que nous avons en commun avec EDF, Sofinel, a quand même travaillé sur l'EPR finlandais. En Chine, EDF était actionnaire, mais ce sont les Chinois qui ont tout fait. Ce qui a fait la différence, en Chine, c'est le génie civil : comme les Chinois n'arrêtent pas de construire des ponts, des routes et des bâtiments, ils ont des technologies qui leur ont permis de faire en trois jours ce que nous avions mis six mois à faire à Flamanville.
Vous dites que nous n'avons pas diversifié notre offre, mais c'est inexact : alors qu'EDF ne jurait que par l'EPR, nous nous sommes battus pour l'étoffer et proposer une diversité de réacteurs avec Atmea, un réacteur de 1 000 mégawatts, et les SMR. J'ai proposé au président d'EDF de l'époque, Pierre Gadonneix, de participer à la construction de notre réacteur de 1 000 mégawatts et il a refusé, même quand je lui ai parlé de notre projet d'accord avec les Japonais. On ne peut pas être plus royaliste que le roi.
J'en viens à UraMin. En 2007, alors que nous connaissions un déficit de capacité en uranium, nous étions en train de négocier un contrat global avec les Chinois, qui voulaient à la fois des EPR, du combustible, un accès direct à l'uranium, qui leur faisait défaut, et une usine de retraitement. Avec le Président Chirac, nous avons convaincu les Chinois qu'on ne pouvait pas tout faire à la fois et qu'il faudrait séquencer l'opération. À défaut donc d'un, contrat global, la France s'engageait à la livraison des EPR et du combustible. Nous ne disposions pas, en revanche, des accès directs aux mines d'uranium disponibles. Quant à l'usine de retraitement, les Chinois ne savaient pas encore où l'installer, de telle sorte que cette phase ne pourrait intervenir que plus tard.
Nous avions, pour notre part, cherché à diversifier nos sources d'uranium afin de ne pas dépendre seulement du Niger et du Canada, notamment parce que la production de ce dernier pays diminuait. La mine de Cigar Lake, nouveau gisement de Cameco, étant restée inondée durant des années et les Russes ne vendant plus l'uranium du désarmement à bas prix, le prix de ce métal a explosé à partir de 2005-2006. Parallèlement à cette augmentation du prix, l'État répondait par la négative à tous les projets que nous lui proposions. L'uranium devenait alors très attractif – on a même découvert, à la chute de la banque Lehman Brothers, que cet établissement financier possédait des stocks d'uranium !
L'entité disponible la plus abordable pour nous était UraMin, qui possédait trois gisements dont nous payions la production au prix de 75 dollars la livre, ce qui était très inférieur au prix spot de l'époque et à toutes les anticipations. Le développement de ces gisements a pris un peu plus de temps que ne l'avait annoncé une étude canadienne et, juste avant l'accident de Fukushima, le prix spot était de 72 dollars la livre. Nous avions conclu alors des contrats, y compris avec EDF, à des prix très supérieurs.
Après Fukushima, le prix de l'uranium s'est effondré, passant à 10 ou 15 dollars la livre, et il n'était alors pas rentable de développer ces mines, ni celle d'Imouraren, que nous avions créée et dont mon successeur a arrêté l'exploitation. Cameco et tous les grands acteurs du secteur ont également arrêté l'exploitation des mines, comme le font, du reste, en pareille situation, les grands mineurs mondiaux – pour avoir été administratrice de Rio Tinto, je sais que lorsque le prix des matières premières baisse, on arrête tout, et on attend que la situation s'améliore.
Après dix ans de froid – nous avions connu auparavant le même froid pendant dix ou quinze ans à cause du désarmement russe –, les prix progressent à nouveau et l'uranium minier va redevenir rentable. Le procès qu'on nous a fait est intervenu à une période où un sondage de Paris-Match m'avait désignée comme ministre des finances potentiel préféré des Français dans un gouvernement idéal, droite gauche confondues : sans doute fallait-il alors se débarrasser de moi.
Quant aux engagements de l'État, j'ai en effet reçu des lettres de Premiers ministres, mais de telles lettres n'engagent que ceux qui restent, et on sait qu'un Premier ministre ne reste pas nécessairement très longtemps en fonction.
Pour ce qui concerne la centrale de Fessenheim, à propos de laquelle j'ai réagi sur BFM, je m'étonne en effet qu'on redémarre une centrale à charbon qui produit à peine 600 mégawatts alors qu'on a arrêté, quelques années auparavant, deux réacteurs de 900 mégawatts qui avaient subi une mise à niveau de sûreté, avec l'installation d'un nouveau radier. Si on a le choix entre les deux, peut-être vaudrait-il mieux redémarrer Fessenheim. On m'objectera que de nombreuses pièces détachées de cette centrale ont déjà été enlevées, mais pourquoi ne pas les remettre en place ? La remise en fonction de la centrale supposerait certes une enquête publique, puisqu'elle a été arrêtée depuis plus de deux ans, et sans doute y faut-il aussi un décret, mais puisqu'une discussion est engagée au Parlement sur la simplification des procédures en matière de nucléaire, il ne semble pas aberrant, dans un contexte de changement climatique et de besoins énergétiques, de redémarrer deux réacteurs nucléaires arrêtés plutôt qu'une centrale à charbon, même si c'est peut-être un peu provocateur.