L'EPR finlandais OL3 a été vendu à prix fixe, parce que nous répondions à un appel d'offres international. Face à nous, il y avait General Electric et des Russes. C'est le client qui choisit le mode de fonctionnement, pas nous. C'était en 2003, Areva était née en 2001 et j'étais encore en train de découvrir Framatome. A posteriori, nous avons eu le sentiment que Framatome avait un peu sous-estimé l'ampleur du chantier et qu'en réalité, elle n'était pas prête. Si nous l'avions su, nous n'aurions pas concouru.
Sur la question du prix fixe, il y a certainement eu une déformation française. Avec EDF, dès qu'il y avait un change order, c'est-à-dire un changement dans la commande, il y avait automatiquement une négociation et une nouvelle facturation. Or les Finlandais ont refusé de discuter et c'est Areva et Siemens qui ont payé tous les surcoûts. Par ailleurs, l'autorité de sûreté finlandaise n'avait pas suivi la construction de réacteur depuis vingt-sept ans ; elle a donc recouru à des experts extérieurs, qui répondaient à nos propositions au bout de plusieurs mois, parfois un an. D'après les chiffres officiels, OL3 a coûté moins cher que Flamanville, et il est en marche.
Je suis incapable de vous dire quelle était la proportion d'uranium russe mais j'aurais tendance à dire que, de mon temps, il n'y en avait pas beaucoup. Il y avait l'uranium du désarmement : les accords russo-américains prévoyaient que l'uranium des armes serait désenrichi, dilué, et vendu et nous étions nous-mêmes négociants d'une partie de l'uranium russe. Areva cherchait à diversifier ses sources d'approvisionnement : au Canada, avec la nouvelle mine de Cigar Lake où nous étions minoritaires, mais aussi au Niger, où c'était très compliqué politiquement. Nous avons proposé une solution australienne au gouvernement français, qui a refusé – mais qui a accepté UraMin. À une époque où l'uranium n'était pas cher, c'est-à-dire jusqu'en 2005-2006, l'État français a refusé, au conseil d'administration, que nous développions nos sources d'approvisionnement.
Nous avions intérêt à constituer « l'équipe de France » la plus large possible. C'était formidable de disposer des moyens de Total et d'avoir deux opérateurs, avec EDF et Engie : cela nous permettait de travailler dans un très grand nombre de pays. Ce n'est pas nous qui avons fait obstacle à la constitution de cette équipe de France. Au-delà des problèmes de personnes, historiquement, il y avait un consensus au sein d'EDF, que partageaient ses sous-traitants et l'État : il fallait vendre de la technologie française. Or, au cours d'une réunion, on m'a demandé de donner les droits de propriété intellectuelle aux Chinois pour qu'ils aillent construire des réacteurs en dehors de Chine. Ce ne sont pas les Chinois qui me le demandaient, mais les Français ! Il n'en était pas question. J'estimais que tous les acteurs français devaient défendre la technologie française, alors qu'EDF était prête à faire des centrales sur technologie russe ou chinoise : voilà ce qui nous a opposés. Le domaine nucléaire doit garder sa spécificité.