En 2009-2010, il y avait un vrai engouement pour le nucléaire. On peine à s'en souvenir, avec ce qui est arrivé après… Beaucoup de pays dans le monde voulaient faire du nucléaire sans en avoir jamais fait : c'est ce qu'on a appelé le « nouveau nucléaire ».
Le nucléaire, c'est un triangle : une autorité de sûreté ; une culture et des compétences ; des réacteurs qui doivent être les plus sûrs possible. Lorsqu'un pays se lance dans le nucléaire, son autorité de sûreté, qui est toute jeune, a besoin de se former et de se muscler. De même, les employés des centrales ont une culture du nucléaire forcément plus limitée. Or l'idée qui prévalait et qui me paraissait très étonnante était qu'il fallait fournir à ces nouveaux clients un nucléaire plus léger en sécurité, que c'était suffisant pour eux. Moins de béton, moins d'acier, moins de logiciels : c'est donc moins cher !
À l'époque, je me suis opposée à ce que l'on vende un réacteur à la Libye de Kadhafi. J'estime en effet que, moralement, on ne peut pas vendre du nucléaire à des pays moins sûrs que le nôtre. Je me souviens par exemple d'un échange au sujet des diesels de secours, que l'on voulait installer en haut des EPR, dans des bâtiments parasismiques, pour injecter de l'eau en cas de problème. C'est précisément ce qui a manqué à Fukushima : les diesels de secours étaient en sous-sol et ils n'ont pas pu fonctionner quand le tsunami est arrivé. Il y avait une tendance à considérer que le nucléaire était une technologie comme les autres. Or il ne faut pas banaliser le nucléaire ; il ne convient pas à tous les pays. On ne peut pas fournir du nucléaire à des pays qui ne sont pas gérés de manière rationnelle. Pour reprendre l'exemple de la Libye de Kadhafi, imaginez le cas du patron de l'autorité de sûreté qui aurait voulu arrêter le réacteur, aurait-il été mis en prison, voire exécuté ? On ne pouvait pas, en conscience, faire des choses de ce genre.