J'ai sans doute été mise à la tête de la Cogema parce que j'avais à la fois une expérience dans le public et dans le privé, que je suis agrégée de sciences physiques, que j'avais travaillé au CEA sur la sûreté nucléaire, puis comme administratrice de Framatome. Je connaissais un peu le sujet et cela a dû jouer.
Cogema était à l'époque le point de cristallisation des antinucléaires, en particulier son usine de La Hague, qui recycle les combustibles usagés. Certains pays mettent ces combustibles usés dans un coin en attendant d'en faire quelque chose ; la France, elle, a créé une usine de retraitement, qui suscite l'admiration de beaucoup de pays, et que beaucoup utilisent. Le principe consiste à dissoudre ces combustibles et à séparer le plutonium de l'uranium. On parvient à en recycler 96 %.
J'avais du mal à comprendre que les antinucléaires prennent pour cible une usine de recyclage. En même temps, c'était bien vu, puisque la fermeture de La Hague aurait immédiatement eu pour effet d'emboliser tout le système nucléaire français. Ces attaques étaient très sérieuses et c'est la première chose que j'ai eue à gérer quand je suis arrivée à la tête de Cogema. Il était beaucoup question d'un tuyau qui déversait des effluents dans la mer et nous étions accusés de provoquer des leucémies chez les enfants en bas âge. Vous imaginez bien que si c'était vrai, cela aurait condamné l'usine. Nous avons énormément travaillé sur la transparence ; nous avons installé des webcams, et les gens regardaient ce qui se passait dans l'usine, c'est-à-dire pas grand-chose. Mais il y avait dans la population un besoin de savoir. Nous avons même lancé une campagne avec le slogan : « Nous n'avons rien à vous cacher. » Nous avons procédé à des mesures, distribué des compteurs ; en un mot, nous avons changé nos pratiques, qui étaient un peu secrètes, afin de décrisper les choses, et je crois que nous y sommes arrivés.
Née de la fusion de la Cogema avec Framatome et CEA Industrie, Areva est devenue, en dix ans, une société très attractive et connue un peu partout dans le monde. Il est dommage qu'elle ait changé de nom…